Augustin Hamon LA PSYCHOLOGIE DU MILITAIRE PROFESSIONNEL (extraits) (l) Les ext
Augustin Hamon LA PSYCHOLOGIE DU MILITAIRE PROFESSIONNEL (extraits) (l) Les extraits qui suivent ont été choisis pour donner un aperçu, aussi complet que possible, des analyses proposées par A. Hamon. Nous avons, de façon systématique, laissé de côté tous les faits tirés des journaux et revues de Vépoque qui illustrent les propos de Vauteur. (îan Lubek et Erika Apfelbaum.) « Les criminalistes, écrivions-nous dans un mémoire (2), n'étudient que certaines manifes- tations de l'acte antisocial, celles, qui, dans notre état de civilisation, révoltent le plus les sentiments de la moyenne des hommes. Ils oublient d'étudier les autres manifestations du crime, manifestations plus graves que les précédentes, mais ne paraissant pas telles parce que notre habitude à les voir perpétrer nous empêche de concevoir combien elles sont nuisibles... De là résulte que la majorité des criminalistes étudie ce que je puis qualifier de crime exception- nel (3). » En effet, tous les criminalistes se sont bien plus occupés des criminels emprisonnés, ceux que M. Manouvrier appelle la lie des criminels, que de la multitude de gens prétendus honnêtes que nous côtoyons tous les jours dans toutes les professions. Il en est ainsi parce que « les criminalistes ont emboîté le pas à la police, oubliant que la police n'avait nullement été chargée de faire l'analyse psychologique indispensable au criminologue (4). » Nos études sociologiques nous ont amené à cette constatation: la criminalité légale est HERMÈS 5-6, 1989 83 AUGUSTIN HAMON infime, quasi négligeable, par rapport à la criminalité occulte. Une étude de cette dernière présenterait donc une importance bien plus considérable que l'étude de la criminalité légale, surtout si l'on a soin de donner du Crime une expression philosophique. Nous avons, dans un mémoire récent (5), tenté de trouver cette expression et nous sommes arrivés à cette définition : Le Crime s'entend de tout acte qui lèse la liberté individuelle. Il ne s'agit que de la liberté d'agir, c'est-à-dire de la faculté d'exécuter une volition, la liberté de vouloir n'existant pas. On voit combien cette large conception du crime permet d'intéressantes études qui sont, en fait, autant psychologiques que criminologiques. On conçoit, avec une telle définition l'importance d'un examen criminologique ou psychologique des grandes classes profes- sionnelles de la société. La difficulté d'une semblable étude est considérable, il ne faut point se le dissimuler ; elle gît en l'apport des faits. Pour le criminaliste traitant des cas tératologiques du crime, les faits sont relativement aisés à trouver : il y a eu procès, enquête policière ; il y a des statistiques judiciaires, pénitentiaires. Pour le criminologue traitant du crime philosophique- ment défini, rien de tout cela ne lui sert beaucoup. Il lui faut recueillir dans les livres, les journaux, les revues, etc., les faits innombrables qui s'y trouvent, souvent peu apparents, faits qui décèlent l'état d'âme non pas des individus pris individuellement, mais collectivement, par profession. Il y a certainement — et tout le monde en a la perception — dans une collectivité telle qu'un peuple, un état d'esprit général qui fait que tous les membres de cette collectivité ont, sur des choses communes, des conceptions analogues. De même dans chacune des grandes divisions sociales comme l'armée, la magistrature, la police, la finance, le commerce, etc., il est un état d'âme spécial à la profession. C'est cette essence qu'il importe de dégager si l'on veut faire l'étude de la criminologie à une époque quelconque. Par là, on peut préjuger de la difficulté d'écrire un travail complet, une criminologie sociale (pp. 3-5) (...) Cet essai qui, en donnant la psychologie du militaire professionnel, montre l'influence du milieu sur la forme de la criminalité, est le premier d'une série de mémoires que nous nous réservons d'écrire successivement sur la police, la magistrature, la presse, la finance, le commerce, l'industrie (p. 6). I. Questions de méthode* Pour écrire ces chapitres de criminologie, cette section de la sociologie, on se trouve dans la même situation que l'historien dressant l'histoire d'un pays, que le géographe décrivant une contrée. Force leur est d'indiquer nommément les personnages politiques, les hommes de guerre, etc., les montagnes, les fleuves, les villes. De même, le criminologue se trouve dans l'obligation de citer les noms des individus-exemples. Ainsi il donne plus de poids aux faits. 84 La psychologie du militaire professionnel Tout le monde comprendra, en effet, que si on désigne dix petits commerçants comme falsificateurs, on n'aura point l'essence professionnelle spéciale au commerce, tandis que si on désigne dix gros commerçants, on peut prétendre assez justement connaître cette essence. Il y a là une question de proportionnalité qui intervient car il est moins de gros commerçants que de petits ; donc si le nombre-exemple est le même, il y a plus de probabilité pour avoir le type essentiel de la moralité avec les exemples pris parmi les gros que parmi les petits. En outre, on sait que l'imitation est une des qualités de l'homme (6) ; nous sommes tous, à des degrés divers, portés à imiter d'autant plus que le modèle occupe une situation plus honorée. Il y a chez tous comme une appétence vers le mieux, ce mieux étant, pour beaucoup, représenté par la position élevée du modèle. Ces quelques explications montrent l'esprit qui m'a guidé lorsque je désigne par leurs noms les individus-exemples. Dans ces essais, le lecteur remarquera sans doute que mes exemples sont plus souvent pris dans la nation française que chez les autres peuples de même civilisation. Cela vient de ce que, Français, je puise mes documents dans les journaux, revues, ouvrages français bien plus qu'aux mêmes sources étrangères. En fait, cela a peu d'importance, car l'Europe, les Etats-Unis et divers autres pays, jouissent d'une civilisation identique en ses grandes lignes. La profession revêt l'individu d'un vernis professionnel identique partout où la civilisation est semblable car la conséquence est une analogie, sinon une identité professionnelle. Un officier allemand res- semble, comme état d'esprit et manière d'être, à un officier français bien plus que tout autre français civil. Rien ne ressemble plus à un commerçant anglais qu'un commerçant américain, allemand ou français. Il y a comme une sorte d'habitus moral, spécial à tous les individus d'une même profession. Par suite, quoique les exemples français soient plus nombreux, la généralisa- tion s'impose en ces ébauches de criminologie professionnelle (pp. 7-9). II. Pourquoi devient-on militaire professionnel? En France, l'idée libertaire avait soulevé la nation à l'époque révolutionnaire ; dans les autres pays, la haine de l'envahisseur français, après les conquêtes napoléoniennes, souleva les peuplés. Il est résulté de ces phénomènes cette croyance générale que le militaire professionnel est soldat par dévouement à la patrie, par patriotisme. Cette croyance, génitrice d'une sorte d'auréole autour de ces individus, est absolument fausse. Les faits sont là comme preuves (p. 18)... ... Ce n'est point par patriotisme que le professionnel militaire exerce sa profession. Elle est pour lui un métier qui le fait vivre et en même temps acquérir de la gloire, des richesses, des honneurs. On est militaire professionnel, comme on est industriel ou financier, par intérêt personnel sans qu'intervienne l'idée de dévouement à la patrie. D'ailleurs, en temps de paix, la 85 AUGUSTIN HAMON patrie est bonne fille pour ces professionnels ; elle les entretient sinon luxueusement au moins suffisamment, sans qu'ils aient beaucoup de travail à faire. En temps de guerre, les profes- sionnels sont noyés dans la masse des militaires par obligation et ces deux genres de soldats se dévouent autant Tun que l'autre, le premier ayant Pespoir d'acquérir de la gloire et des honneurs, ce qui ne tente guère le cerveau de l'obscur soldat, réserviste, territorial, la veille encore civil (p. 23). III. Effets de la profession sur la mentalité de ses membres On vient de voir par quelques faits-types quelle est la nature du métier des armes et on a pu constater que la violence en est la caractéristique. Il n'est point nécessaire d'avoir été soldat pour le savoir, il suffit de tant soi peu réfléchir. Les individus qui, par vocation, choisissent un tel métier, décèlent évidemment, par cette élection, une propension naturelle à la brutalité. Ils savent que la fonction du militaire est de tuer et, malgré ce, ils entrent en cette carrière des armes. Il y a certainement chez ces individus une organisation physiologique qui les rend, pour remplir les conditions meurtrières de la profession militaire, plus aptes que ne le seraient d'autres individus portés par leur manière d'être vers le commerce, l'industrie, l'art, la science. Les militaires professionnels sont donc des prédisposés sur lesquels les conditions mésologiques de la profession retentiront fortement pour déterminer un état d'âme spécial, constatable en temps de paix aussi bien qu'en état de guerre. Les militaires professionnels se recrutent dans la classe riche (noblesse et grosse bourgeoi- sie) et dans la classe moyenne. Pour ce « beau métier des armes », la source du recrutement est à peu près la même que pour les corps médical, enseignant des lycées et collèges, que pour les magistrats, les hommes de science, artistes, littérateurs, ingénieurs. Tous ces individus, de ces professions diverses, uploads/Geographie/hermes-1989-5-6-83.pdf
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- Publié le Mai 02, 2021
- Catégorie Geography / Geogra...
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