Cuaderno 75 | Centro de Estudios en Diseño y Comunicación (2019). pp 51-66 ISSN
Cuaderno 75 | Centro de Estudios en Diseño y Comunicación (2019). pp 51-66 ISSN 1668-0227 51 Virginia de la Cruz Lichet Vers une taxonomie de la mémoire (...) Vers une taxonomie de la mémoire. Pratiques artistiques colombiennes sur la reconstitution de faits historiques Virginia de la Cruz Lichet * Fecha de recepción: febrero 2018 Fecha de aceptación: abril 2018 Versión final: diciembre 2019 Résumé : En raison du Bogotazo (1948), l’histoire de la Colombie se résume à l’histoire d’un conflit armé où la violence devient la toile de fond. Dans ce contexte, les trauma- tismes de la société forment une sorte de mémoire collective qui configure une nouvelle cartographie de la douleur. En réponse à cela, les artistes colombiens parlent de l’Art comme d’un langage à contre-courant, cherchant à créer un espace de réflexion pour la réparation. De nombreuses pratiques artistiques, souvent des installations multimédia, leur permettent d’entrecroiser différents temps. Ces œuvres environnantes créent alors un discours contre-hégémonique, soit un acte de résistance face à la réalité de ce contexte. Mots clés : Histoire - Temps - Mémoire - Installations multimédia - Colombie. [Résumés en espagnol, anglais et portugais sur les pages 65-66] (*) Docteure en Histoire de l’Art, Université Complutense de Madrid, 2010. Professeur- chercheur d’Histoire de l’art en Licence d’Arts Plastiques et de Design, UFV, Madrid 2010/2015- et au département d’espagnol et LEA, Université Rennes 2, France, 2016-2018. Sous-directrice de la Galerie Rafael Pérez Hernando, Madrid, 2008/2011. Elle réalise ac- tuellement sa deuxième thèse de doctorat intitulée “Mémoire et identité : construction, reconstruction à travers l’art contemporain colombien, des années 1960 à nos jours” à l’Université Rennes 2. Depuis 2003 elle a été membre de différents projets de recherche et a réalisé des séjours de recherche à l’étranger. Elle est aujourd’hui également commissaire d’exposition et critique d’art. (Voir CV en espagnol sur p. 65) Introduction En raison du Bogotazo (1948), l’histoire de la Colombie se résume à l’histoire d’un conflit armé où la violence devient la toile de fond. Dans ce contexte, les traumatismes de la société apparaissent comme une sorte de mémoire collective qui configure une nouvelle cartographie de la douleur. En réponse à cela, les artistes parlent de l’Art comme d’un langage à contre-courant, cherchant à créer un espace pour la réparation qui permet la réflexion ; des faits qui, par ailleurs, doivent être reconstitués car l’Histoire doit être réé- crite. Dans cette démarche d’exploration et de taxonomie des différents récits, de sélection des faits historiques qui sont partie intégrante de l’histoire de la Colombie et qui rendent Cuaderno 75 | Centro de Estudios en Diseño y Comunicación (2019). pp 51-66 ISSN 1668-0227 52 Virginia de la Cruz Lichet Vers une taxonomie de la mémoire (...) mémoire aux victimes, les artistes utilisent un processus archéologique de récupération du temps et des narrations pour reconstituer les faits. De nombreuses pratiques artis- tiques, souvent des installations multimédia, s’appliquent à entrecroiser différents temps. Ces œuvres environnantes construisent un discours contre-hégémonique qui se présente comme un acte de résistance face à la réalité de ce contexte et permettent d’élaborer de nouvelles temporalités convergentes. Les artistes réécrivent ainsi cette autre histoire, ame- nant le passé au présent pour pouvoir l’interpréter à nouveau. Pour cela, les faits opèrent comme des indices qui prennent tout leur sens dans un récit chronologique d’évènements passés. Dès lors, les artistes deviennent un outil sociologique et historique puisqu’à travers leurs œuvres, ce sont finalement de nouvelles histoires des souffrances vécues que nous pouvons nous représenter. La Colombie, en situation de crise depuis plus de soixante ans, se trouve aujourd’hui dans une période d’incertitude en rai- son de la signature d’un traité de paix qui a mis plus de quatre ans à être rédigé à La Havane (Cuba) et qui n’a pas été validé par les Colombiens lors du référendum du 2 oc- tobre 2016. Or pour retrouver la paix, il semble nécessaire de récupérer cette histoire afin de revoir la manière dont elle a été écrite à partir d’un discours hégémonique. Dès lors, la Colombie se présente sous un angle beaucoup plus complexe, prise en étau dans une violence qui n’est pas simple à définir et qui ne peut être réduite à une seule modalité ou à un terme trop général. La violence en Colombie se présente ainsi sous une forme strati- graphique, provenant de différents groupes en conflit : les militaires, les paramilitaires, les guerrilleros, les trafiquants de drogue et, à leurs côtés, la population civile souvent définie comme “victime” de ces conflits. Depuis les années 1990, le nombre de victimes s’accroît et dépasse celui des morts par conflits de guerre. C’est ainsi que cette réalité colombienne a été nommée “la sale guerre” ou encore “la guerre contre la société1” , faisant allusion à une crise humanitaire réelle. (Ruiz Guerra, 2005) Stratégie nº 1 : L’évidence du crime et la reconstitution des faits Dans un pays ayant vécu un état de violence quasi permanent depuis plus de soixante-dix ans, les artistes se sont appliqués à dénoncer les ravages des crimes. Cette violence faisant partie intégrante du quotidien, la société a développé une grande capacité de résistance à son égard, tel que l’indique le rapport Basta ya2. Si l’année 19483 est considérée par tous comme le début de cette ère à la suite de l’assassinat de Jorge Eliécer Gaitán et la révolte consécutive de El Bogotazo, cette période est plus qu’une simple confrontation entre les Libéraux et les Conservateurs, connue depuis la fin du XIXe siècle. Une des pratiques les plus répandues dans l’expression de cette violence et des crimes commis est la “figure du disparu” . Le Registro Único de Víctimas [Registre Unique de Victimes] (RUV) de la Unidad de Atención y Reparación Integral a las Víctimas [Unité de service et de réparation aux vic- times] a indiqué en 2013 que le nombre officiel de civils morts à cause du conflit depuis 1985 était de 166069. Il faut cependant ajouter à ce chiffre les 11 238 victimes entre 1958 et 1985 et les 40 787 combattants morts sur le terrain. En conséquence, nous pouvons dire que le conflit armé a fait plus de 220 000 morts recensés, dont 81,5% de civils et 18,5 % de combattants. (GMH, 2013, p. 32) Malheureusement ces chiffres officiels ne sont pas Cuaderno 75 | Centro de Estudios en Diseño y Comunicación (2019). pp 51-66 ISSN 1668-0227 53 Virginia de la Cruz Lichet Vers une taxonomie de la mémoire (...) réels. Beaucoup de ces assassinats n’ont pas encore été révélés par leurs auteurs et le chiffre des portés disparus, présumés morts, n’est pas comptabilisé. Par ailleurs, une autre réalité indéniable a changé la physionomie du territoire colombien : les “déplacés” , près de 6 mil- lions de personnes (GMH, 2013, p. 34). À cela il faut inclure en tant que victimes de guerre les personnes ayant subi des violences sexuelles, des tortures, les séquestrés, etc. (Sofsky, 1996, pp. 155-170). Le Registro Nacional de Desaparecidos [Registre National des Disparus] a chiffré en novembre 2011 à 50 891 le nombre de disparitions, parmi lesquelles plus d’un tiers de disparitions forcées. Cette ampleur ne peut être comprise lorsque nous consta- tons que ce chiffre dépasse amplement celui enregistré durant les dictatures militaires dans d’autres pays d’Amérique Latine comme par exemple les 485 disparitions forcées du Paraguay entre 1958 et 1988, les 979 du Chili entre 1973 et 1990 ou encore les 9 000 en Argentine entre 1976 et 1983 (GMH, 2013, pp. 30-110). Il faut préciser que le statut de “disparu forcé” (desaparición forzada) est défini par le GMH (2013) comme toute personne qui a été privée de liberté et qui est portée disparue. Il ne s’agit pas d’un kidnapping puisque l’assaillant ne demande aucune rançon et ne se met pas en contact avec la famille. Cette modalité de violence est la plus difficile à mesurer par son invisibilité dans les médias, peu reconnue par les autorités compétentes, car il y a une intention claire de rendre invisible les faits par les acteurs armés: “l’on savait que lorsque quelqu’un disparaissait, toute la famille mourait à petit feu” (p. 57), déclare une femme en 2010 à San Carlos, Antioquia. La dissimulation de ce crime et sa reconnaissance presque inexistante s’explique par trois éléments : la confusion de ce délit avec l’homicide ou l’enlèvement ; la minimisation de son impact face à la nature spectaculaire et la grande visibilité d’autres crimes comme les massacres ou les actions de guerre; la difficulté ou l’impossibilité de dénoncer les faits en raison des pressions subies par les responsables de ces crimes. La disparition forcée devient, dès lors, un crime contre l’humanité selon le Droit International et a été la pratique de violence la plus fréquente lorsque l’on optait pour une stratégie d’invisibilité et consistant à semer la terreur (GMH, 2013, p. 58). Pour cela, l’usage des fosses communes et des disparitions dans les fleuves n’était qu’une stratégie pour faire disparaitre les corps. Entre 2005 –date de la Loi Justicia y Paz [Justice et Paix]– et 2012, 4809 cadavres ont uploads/Histoire/ 1022-texto-del-arti-culo-4666-1-10-20191004.pdf
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- Publié le Aoû 09, 2022
- Catégorie History / Histoire
- Langue French
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