Revue de primatologie 4 (2012) Varia ..........................................

Revue de primatologie 4 (2012) Varia ................................................................................................................................................................................................................................................................................................ Chris Herzfeld Les pongos et les jockos sont-ils des animaux ou des hommes ? L ’épreuve de l’incertitude, de Rousseau aux singes parlants ................................................................................................................................................................................................................................................................................................ Avertissement Le contenu de ce site relève de la législation française sur la propriété intellectuelle et est la propriété exclusive de l'éditeur. 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Référence électronique Chris Herzfeld, « Les pongos et les jockos sont-ils des animaux ou des hommes ? L’épreuve de l’incertitude, de Rousseau aux singes parlants », Revue de primatologie [En ligne], 4 | 2012, document 2, mis en ligne le 15 décembre 2012, Consulté le 18 janvier 2013. URL : http://primatologie.revues.org/1010 ; DOI : 10.4000/ primatologie.1010 Éditeur : Société francophone de primatologie http://primatologie.revues.org http://www.revues.org Document accessible en ligne sur : http://primatologie.revues.org/1010 Document généré automatiquement le 18 janvier 2013. © SFDP Les pongos et les jockos sont-ils des animaux ou des hommes ? L’épreuve de l’incertitude, (...) 2 Revue de primatologie, 4 | 2012 Chris Herzfeld Les pongos et les jockos sont-ils des animaux ou des hommes ? L’épreuve de l’incertitude, de Rousseau aux singes parlants Historique Soumis 19 juillet 2012. Accepté 9 octobre 2012 1 Introduction 1 Dans la moisson d’informations collectées lors des grandes explorations financées par quelques puissantes nations européennes, à partir du XV e siècle, figurent les premiers témoignages à propos des grands singes dans leur milieu naturel (Valentin Ferdinand, Andrew Battel, Duarte Lopez, Pierre du Jaric, Samuel Blommaert, Jacob de Bondt, dit Bontius - Herzfeld, 2012). Par ailleurs, au XVI e siècle, Don Pedro Gonzales, ou Petrus Gonsalvus, noble né à Ténériffe en 1537, suscite beaucoup d’interrogations. Il est atteint d’une maladie génétique rare, l’hypertrichose, qu’il a transmise à ses enfants : ils sont tous entièrement couverts de poils. Ce syndrome dit « d’Ambras » (hypertrichosis lanuginosa congénitale) ne doit pas être confondu avec l’hirsutisme, développement anormal du système pileux, chez les femmes, dû à un dérèglement hormonal. Les poils ne sont alors abondants que sur la face et le thorax. Le cas est documenté par Aldrovandi dans son Histoire de Monstres. Il a en effet eu l’occasion d’examiner les Gonzales en 1592. La famille est connue grâce à différentes représentations picturales, notamment celle réalisée par Lavinia Fontana de Zappis, toujours conservée dans la chambre des merveilles des Habsbourg, au château d’Ambras à Innsbruck (Autriche), château qui fut la résidence d’été de l’archiduc Ferdinand II de Habsbourg (1529-1595), protecteur des arts et des sciences, de 1566 à 1570. Le classicisme du portrait, peint à la manière des effigies princières, les beaux atours des personnages et leur inscription dans une civilisation raffinée augmentent encore le contraste avec l’aspect « bestial » des sujets. On considère en effet que les Gonzales sont des créatures sylvestres, des hommes sauvages, des curiosités ou des merveilles de la nature. Pour ajouter à la confusion ambiante, Gonzales a également été décrit comme un homme-loup. L’ayant rencontré, ou ayant vu son portrait ou celui de ses enfants, les savants de l’époque cautionnent l’existence de créatures étranges, éventuellement issues de la mythologie, elle-même hantée par les hybrides, les monstres, les satyres, les faunes et les ondins. Entre humains et animaux, les primates anthropoïdes sont obscurément rattachés à ces êtres des confins du monde. 2 Au XVII e siècle, quelques primates arrivent en Europe. Sont-ils des hommes, des hybrides ou des singes ? Les observations du Hollandais Nicolaes Tulp, dit Tulpius (1593-1674) (Tulpius, 1641) et la dissection magistrale du Britannique Edward Tyson (1651-1708) (Tyson, 1699) ont notamment pour objectif de le découvrir. Chirurgien et anatomiste réputé, Tulpius est représenté dans La leçon d’anatomie du Docteur Tulp de Rembrandt (1632), actuellement conservée à la Mauritshuis, à La Haye. Il ne disséquera néanmoins pas le chimpanzé envoyé d’Angola, au prince d’Orange-Nassau, mais en décrira le comportement dans ses Observationes medicae (1641) : la jeune femelle boit au bock, s’essuie les lèvres avec délicatesse et dort en s’enveloppant d’une couverture. Seul animal à figurer dans l’ouvrage, en raison de ses proximités physiques et comportementales remarquables avec l’homme, le singe est appelé Satyrus indicus, Orang-outan ou Homo sylvestris. Traduite par « homme des bois », cette formulation est la transposition du terme « orang hutan », utilisé par les populations javanaises, les mots « orang » et « hutan », signifiant « personne » et « forêt ». Envoyé à Batavia (aujourd’hui Jakarta) par la Compagnie néerlandaise des Indes Orientales, le médecin hollandais Jacob de Bondt, dit Bontius (1591-1631) en avait en effet pris connaissance. Il introduit ainsi le nom d’Orang-outan en Europe, sous sa forme latine, « Homo sylvestris », Les pongos et les jockos sont-ils des animaux ou des hommes ? L’épreuve de l’incertitude, (...) 3 Revue de primatologie, 4 | 2012 dans la première édition de son Historiae Naturalis et Medicae Indiae Orientalis (1658). Cette formule traduit parfaitement le sentiment de perplexité qui frappe alors les naturalistes, incertains du statut à attribuer à cette créature à l’aspect humain, mais qui vit comme un animal sauvage. 2 La leçon d’anatomie du Professeur Tyson 3 Artisan de la proximité anatomique entre humains et anthropoïdes, qu’il établit pour la première fois de manière « scientifique », Tyson mène la dissection d’un chimpanzé, arrivé à Londres en 1699. Les ressemblances sont tellement troublantes qu’il crée une nouvelle catégorie, celle des anthropoïdes. Il confirme néanmoins la position surplombante de l’humain et classe le spécimen parmi les animaux. Si le primate qu’il décrit minutieusement est en tout point semblable à l’Homme sur le plan anatomique, il ne peut en effet prétendre à son élévation spirituelle. Le nom générique de « pygmée », alors attribué à tous les singes ayant forme humaine, témoigne du brouillage catégoriel qui trouble l’homme de la Renaissance. En eux, on pensait effectivement découvrir les êtres hybrides qui peuplent les récits des Anciens. On s’était donc étonné de la taille des premiers anthropomorphes transférés en Europe, car on les pensait aussi grands que les êtres humains. Les simiens adolescents ou adultes étant difficiles à trouver et ne pouvant être capturés vivants en raison de leur force impressionnante, seuls de très jeunes individus parvenaient alors en Occident. 3 Qu’est-ce que l’Homme ? 4 Au XVIII e siècle, l’intérêt pour ces êtres des frontières est d’autant plus vif que l’interrogation centrale en philosophie se mue progressivement en une question anthropologique : Qu’est- ce que l’Homme ? Le siècle connaît un engouement populaire exceptionnel pour l’histoire naturelle, ainsi qu’un fort intérêt pour les espèces exotiques, parmi lesquelles les chimpanzés et les orangs-outans. Les savants en appellent aux premières observations directes, aux rapports de dissection, aux données naturalistes, tout en étant habités par des croyances diverses, ainsi que par les créatures évoquées par les encyclopédistes médiévaux et les savants de la Renaissance. Les travaux de Tulpius et de Tyson constituent des données de première main. Les naturalistes s’efforcent alors de rassembler tous les savoirs disponibles à propos des anthropomorphes. C’est également le cas de Jean-Jacques Rousseau (1712-1778) dans sa fameuse note du Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, qui date de 1755. Il y examine avec beaucoup de rigueur un certain nombre de connaissances à propos des grands singes et réfléchit à la question de leur appartenance au genre humain. Il cite le texte de Battel (Purchas, 1625) qui mentionne le Pongo (sans doute un gorille) et l’Enjoko (un chimpanzé), les rapprochant de l’Orang-Outang, originaire des Indes orientales, dont on dit qu’il tient le milieu entre humains et babouins. Le Pongo montre « une ressemblance exacte avec l’homme », tout en étant plus grand et plus fort. Rousseau mentionne également Dapper et le Quojas-Morros, nom attribué par les indigènes au chimpanzé. Il reprend ensuite la description de Tulpius. Les êtres mentionnés semblent présenter moins de différences avec l’humain, qu’il n’existe de divergences entre les hommes. Rousseau se demande donc pourquoi ils ne font pas partie de l’Humanité. Il estime que ses contemporains projettent de nombreux préjugés sur les singes, définissant différents critères de démarcation, de son point de vue, trop rapidement déclarés comme déterminants : apparence physique, capacité à faire du feu, absence de langage et limites intellectuelles. On n’a en effet pas les moyens, à son époque, de les mettre à l’épreuve. Le citoyen de Genève s’autorise donc à les relativiser et les déclare insuffisamment pertinents en soi. Il n’arrive pas lui-même à déterminer de critère décisif et exclusif (de Fontenay, 1998). 4 Des candidats équivoques à l’humanité 5 On ne peut donc uploads/Histoire/ 2012-de-rousseau-aux-singes-parlants.pdf

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  • Publié le Dec 30, 2021
  • Catégorie History / Histoire
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