La «statuomanie »et l'histoire Author(s): Maurice Agulhon Source: Ethnologie fr

La «statuomanie »et l'histoire Author(s): Maurice Agulhon Source: Ethnologie française, nouvelle serie, T. 8, No. 2/3, Pour une anthropologie de l'art (1978), pp. 145-172 Published by: Presses Universitaires de France Stable URL: http://www.jstor.org/stable/40988487 . Accessed: 24/02/2015 15:23 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact support@jstor.org. . Presses Universitaires de France is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Ethnologie française. http://www.jstor.org This content downloaded from 200.68.120.225 on Tue, 24 Feb 2015 15:23:21 PM All use subject to JSTOR Terms and Conditions Maurice Agulhon Université Panthéon - Sorbonne La « statuomanie » et l'histoire Dans le grand retour d'intérêt qui se manifeste aujourd'hui pour le XIXe siècle, il était naturel que des historiens tout court, et pas seulement des histo- riens de l 'art, viennent à se tourner vers cette réalité caractéristique que furent les statues. L'étude de cet énorme accumulation d 'œuvres de- vrait en bonne méthode commencer par la constitu- tion de leur recensement. Y parviendra-t-on jamais ? (voir ci-après notre Annexe sur les sources possibles). En attendant, faute d'avoir recensé les objets, mais après avoir cependant passé beaucoup de temps à observer des lieux, lire des livres et fouiller des cartons, nous nous décidons à livrer ici un recense- ment des problèmes. Nous le savons tout aussi in- complet et provisoire que notre fichier de monu- ments. Mais l'expérience nous a appris qu'un article de cette nature, marquant une étape - et non pas le but - d'une recherche, pouvait avoir plus d'avanta- ges que d'inconvénients pour le chercheur isolé et même pour la communauté «savante»*. L'histoire de l'Art, ou de l'objet d'art (mais « l'ob- jet d'art » relève-t-il toujours de l'Art avec majus- cule?) doit évidemment faire sa place à l'espèce nombreuse des statues d'hommes célèbres érigées sur les places publiques l . Cette espèce étant aussi décriée qu'elle est abondante, nous avons conservé, pour en parler, le terme péjoratif mais déjà traditionnel de «statuomanie2», même si le présent article se pro- pose d'atténuer un peu le mépris par une meilleure compréhension historique. Le moment en est venu en effet. Nous montrerons, sans trop de peine, que la statuomanie, en France du moins, est déjà un phénomène d'Histoire; elle a eu son commencement, son apogée et son déclin; sans être morte, elle ne fait sous nos yeux que survivre. Comprendre, cependant, c'est replacer d'abord dans un contexte, ou dans- plusieurs contextes, éven- tuellement. Nous avons déjà suggéré, dans un article de cette même revue3, que la statuomanie appartenait émi- nemment à l'histoire du décor urbain. C'est en effet la ville agrandie, élargie, aérée du XIXe siècle qui a multiplié les places, les boulevards, les perspectives et les promenades, et qui a appelé l'es monuments pour en meubler l'espace. A cet égard, les statues de grands hommes forment une partie (numériquement importante, et peut-être même la plus importante) d'une catégorie plus vaste dans laquelle on peut faire entrer avec elles des édifices semi-utilitaires (les fon- taines monumentales, souvent décorées en leur centre d'un motif ornemental, emprunté à la géométrie, ou à la statuaire mythologique); d'autres édifices non utili- taires mais d'intention éducative : monuments reli- gieux (croix de mission, et surtout statues de la Vierge Marie), monuments politiques (statues de la République) ou historico-politiques (commémorations de batailles, de sièges, de révolutions, monuments aux morts de telle ou telle guerre); voire même des allégories purement décoratives, empruntées à la my- thologie, ou encore glorifiant la Ville elle-même. Ajoutons, pour en terminer brièvement avec la ty- pologie, qui n'est pas ici dans notre propos, ces deux observations. D'une part, il existe des monuments mixtes, c'est-à-dire qui combinent au moins deux des catégories élémentaires que l'on vient d'esquisser (grand homme associé à une allégorie de sa ville natale, ou de la Gloire, ou de la Liberté; fontaine monumentale supportant une allégorie politique, etc.). Certains même, à la limite, sont triples : le monument Testelin, de Lille4, inauguré en 1894, pouvait se lire à la fois comme un hommage à Teste- lin, une statue de la République et une commémora- tion de la défense nationale de 1870-71 à la frontière Nord! D'autre part, au sein même de la sous-catégo- rie de la statue individuelle, la liste des bénéficiaires a tendu à s'étendre et à se diversifier : d'abord, la chose est bien connue, en descendant l'échelle so- ciale, depuis les héros nationaux jusqu'aux notables de chefs-lieux de canton, mais aussi en passant des personnages réels aux personnages fictifs : on statu- fiera l'homme ou la femme du peuple anonyme et typique, soit avec une connotation populiste et socia- lisante5, soit avec une connotation régionaliste6; on arrivera à l'homme ou à la femme imaginaire, héros célèbre d'une œuvre littéraire7; enfin, à la limite, jusqu'à l'animal, réel, typique ou légendaire8. Tout cela donc appartient à l'histoire du décor urbain, ou, si l'on veut, à l'étude de l'intégration de l'art, didactique ou gratuit, à la ville. C'est la raison pour laquelle, soit dit en passant, nous n'évoquons ici que pour mémoire les statues du Père-Lachaise. Si This content downloaded from 200.68.120.225 on Tue, 24 Feb 2015 15:23:21 PM All use subject to JSTOR Terms and Conditions 146 Maurice Agulhon importantes qu'elles soient pour l'histoire de l'Art comme pour celle des mentalités, leur appartenance à un lieu funéraire spécialisé et écarté fait d'elles une catégorie encore traditionnelle. C'est l'art dans la rue qui nous occupe. Ce contexte urbanistique pourtant - sur lequel nous re- viendrons quelque jour à nouveau - n'est pas celui qui a le plus intéressé les auteurs qui ont évoqué spécifiquement la statuomanie. Ils y ont généralement perçu deux autres choses : d'une part la multiplica- tion, la vulgarisation et la dégradation de la sculpture réaliste-figurative du XIXe siècle; et d'autre part, conjointement, un aspect des mœurs politiciennes de la IIIe République. Illustrons brièvement ces deux thèmes. A propos de l'épanouissement de la statuomanie durant l'administration du sous-secrétaire d'Etat aux Beaux-Arts, Dujardin-Baumetz (1906-1913), Mme Jeanne Laurent a les termes les plus sévères... « Quant à ses commandes de sculptures, elles nous ont valu des « cimetières » de statues qu'on a disper- sés à grand peine. (...) Les plus mauvais sculpteurs furent comblés de commandes. On encombra les pla- ces et les jardins de statues et de groupes d'autant plus emphatiques de conception qu'ils étaient plus mous de facture... » Sculpture d'autant plus médio- cre, explique encore cet auteur, que les maîtres, bé- néficiaires de la commande, se contentaient parfois d'exécuter un modèle et laissaient à leurs élèves, et parfois à de simples salariés, le soin de le reproduire en pierre ou en marbre9. Cette mauvaise sculpture aurait eu souvent, au-delà de ses nobles visées officielles (honorer, éduquer), des buts réels moins louables. Voici, tiré d'un amu- sant pamphlet de*189310, un exemple de ce thème satirique : « Parmi les bronzes de pacotille qui peu- plent jusqu 'à nos moindres carrefours, et qu 'érigent des comités de politiciens ou des cénacles de brasse- ries, moins pour honorer leurs morts que pour leò exploiter, combien en est-il qui sortent un peu de la banalité ? Le statuaire bâcle son œuvre, car il faut être prêt pour l'inauguration dont la date est imposée par des calculs électoraux ou autres. Les derniers échos des discours officiels ne se sont pas éteints dans la rumeur confuse des faits quotidiens que, déjà, le public passe indifférent, sans s'inquiéter même de son nom, devant le nouveau grand homme en paletot de la Belle Jardinière qui, du haut de son piédestal, sert désormais de point de ralliement aux moineaux dans la verdure d'un square, ou remplit l 'office de « refuge » au centre de quelque place. . . Ainsi passent ces célébrités d'occasion que le bruit intéressé mené autour d'elles tire pour quelques jours seulement de l 'oubli. Mais, qu 'importe ! Les malins ont ramassé quelque chose dans l'affaire, - man- dats, palmes ou rubans - et le tour est joué. L 'art n'a rien à voir dans tout cela... » Nous avons bien ici les deux sources, un peu par hasard convergentes, de la mauvaise réputation. Mau- vaise, la sculpture; mauvaises, les mœurs culturelles; la statuomanie qui procède de l'une et des autres sera donc traitée en termes péjoratifs. C'est même la rai- son pour laquelle le gigantesque coup de balai donné par Vichy et les occupants nazis, malgré la fâcheuse réputation des exécutants, est généralement peu re- gretté. Un grand nombre des statues envoyées à la fonte n'ont pas été reconstruites; certaines n'ont même plus le socle de pierre vide pour rappeler leur existence. L'événement de 1940 s'est en effet abattu sur le peuple des statues comme un choc sur uploads/Histoire/ agulhon-la-statuomanie-et-l-x27-histoire.pdf

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  • Publié le Aoû 01, 2022
  • Catégorie History / Histoire
  • Langue French
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