Alter Revue de phénoménologie 22 | 2014 Hans Jonas Eschatologie et temps de la
Alter Revue de phénoménologie 22 | 2014 Hans Jonas Eschatologie et temps de la fin Le problème de l’histoire « entre » Jonas et Anders Edouard Jolly Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/alter/297 DOI : 10.4000/alter.297 ISSN : 2558-7927 Éditeur : Association ALTER, Archives Husserl (CNRS-UMR 8547) Édition imprimée Date de publication : 15 novembre 2014 Pagination : 101-121 ISBN : 978-2-9550449-0-2 ISSN : 1249-8947 Référence électronique Edouard Jolly, « Eschatologie et temps de la fin », Alter [En ligne], 22 | 2014, mis en ligne le 01 décembre 2017, consulté le 30 avril 2019. URL : http://journals.openedition.org/alter/297 ; DOI : 10.4000/alter.297 Ce document a été généré automatiquement le 30 avril 2019. Revue Alter Eschatologie et temps de la fin Le problème de l’histoire « entre » Jonas et Anders Edouard Jolly Introduction 1 Cet article prend pour objet d’analyse un thème restreint : le sens de la technique, confronté au problème de l’histoire « entre » Hans Jonas et Günther Anders. Sur un plan biographique, Jonas mentionne à plusieurs reprises Anders dans ses Souvenirs essentiellement pour décrire leur rencontre, lorsqu’ils étaient tous les deux étudiants. Il le désigne également, dans leur correspondance, comme étant l’un de ses plus vieux amis1 . En dépit de la grande richesse de cette corres-pondance, particulièrement dans les lettres émouvantes de 1975 échangées lors du décès d’Arendt, l’aspect biographique restera ici peu exploité. Il s’agit surtout de s’intéresser à la technique comme phénomène historique, plus précisément eschatologique, et « entre » les deux auteurs, à partir de leur correspondance entreposée tant dans les archives à l’Université de Konstanz qu’aux Archives de littérature de la Bibliothèque nationale d’Autriche à Vienne. Étant donné l’existence de travaux qui mettent en scène la discussion entre Jonas et Anders, l’idée est ne pas se contenter d’une philosophie comparée2, mais de dégager un socle commun, à savoir les fondements de leurs pensées de l’histoire mondiale, qui prédéterminent leurs éthiques respectives. Élaborées toujours en vue de l’avenir, ces réflexions s’articulent en fonction de l’effectivité propre à la technique contemporaine dont l’emprise couvre le globe terrestre. Elle édifie le monde humain dans lequel chacun est mis en demeure de se situer pour ainsi dire « époqualement ». 2 Cette dernière expression, « monde humain », se comprend uniquement comme terrain historique concret dans lequel chacun est amené à s’intégrer à la naissance, puis qu’il doit laisser en héritage aux générations suivantes, après sa mort. Cependant, dès lors qu’une problématique eschatologique s’énonce, cet héritage pose question : si l’ultime désastre écologique se produit, qu’un point de non-retour dans la destruction environnementale est franchi ou qu’une dépendance aux appareillages techniques remplace les dépendances biologiques et naturelles au lieu d’en soulager chacun, alors il n’y aura plus rien à léguer Eschatologie et temps de la fin Alter, 22 | 2014 1 aux générations suivantes. Elles-mêmes ne viendront peut-être pas à naître et en cela resteront incapables de raconter l’histoire de leurs prédécesseurs en ajoutant la leur au continuum narratif de l’histoire de l’humanité. 3 Le problème d’ordre général peut se résumer ainsi : en quoi est-il possible d’affirmer que la technique contemporaine est un phénomène historique dont les finalités, multiples et disparates, soulèvent la question des fins ultimes ? La situation du risque nucléaire, question d’ordre eschatologique, est généralisable aux différentes problématiques environnementales. Jonas évoque ainsi les problèmes de la surpopulation, du déséquilibre de la balance calorimétrique planétaire et d’autres encore. Cette eschatologie s’entend également comme achèvement du monde, une fin des temps, au sens d’une destruction de l’histoire provoquée par une disparition du monde humain. Suivant Anders, le monde technicisé forme une totalité dont la finalité générale est celle d’une exclusion de l’homme, réduit à n’être présent qu’en tant que matière première des régimes de production. Cette double voie de réflexion s’initie dans la correspondance entre Jonas et Anders et se déploie dans leurs élaborations respectives d’une philosophie de l’histoire, avec des éthiques correspondantes. Le parcours conjoint des positions soutenues par les deux auteurs permet en dernier lieu de s’interroger sur les fondements théologiques du sens de l’histoire. « Entre » eux, c’est-à-dire en dégageant les structures communes qui conditionnent leurs divergences apparentes, s’ouvrirait peut-être la possibilité de libérer le sens de l’action politique et sociale de ces fondements historiques présupposés. L’origine époquale d’un questionnement partagé 4 Les premières lettres de la correspondance entre Jonas et Anders sont instructives essentiellement en tant qu’elles témoignent d’un accord tacite sur le terme d’« eschatologie ». Tous deux en font usage de manière à qualifier la situation technique ou technologique de la seconde moitié du XXe siècle. Dans sa lettre du 18 septembre 1954, Anders se réjouit d’abord de la lecture de textes sur la mobilité et l’émotion envoyés par Jonas et s’étonne qu’en dépit de leur séparation de plusieurs dizaines d’années, depuis leurs études dans les années vingt, ils en soient venus à développer des thèmes similaires, à savoir essentiellement une philosophie de la nature. Anders précise également s’occuper à cette époque d’une analyse de « la situation eschatologique produite par une certaine arme »3. Néanmoins, la correspondance s’interrompt par la suite pendant plusieurs années. En effet, dans une lettre à Arendt du 11 août 1959, Jonas explique avoir revu Anders et en être terriblement déçu et attristé. Les temps difficiles de l’exil l’ont rendu insupportable, jaloux, orgueilleux, lui qui se prend pour « le prophète de l’apocalypse »4. Jonas ajoute que sa femme Lore et lui eurent besoin de deux jours pour encaisser le choc. Dans cette lettre à Arendt, Jonas décrit la transformation d’une personne qu’il n’a pas vue depuis la période d’avant-guerre. Anders parle alors sans s’adresser à son interlocuteur, reste prisonnier de ses critiques du conformisme universitaire et de sa monomanie face au risque d’une guerre nucléaire. Cette obsession devrait selon lui interdire à tout le monde d’oser continuer à faire de la philosophie selon les modalités de l’exercice académique, autrement dit sans préoccupation pour une effectivité sociale et politique des écrits philosophiques. Jonas termine sa lettre en disant simplement : « pour la première fois de ma vie j’ai perdu un ami »5. Dans sa réponse du 22 août 1959, Arendt demande davantage d’explications à Jonas, puis dans une lettre du 17 septembre, qui répond probablement à une autre lettre de Jonas, elle déclare qu’il est Eschatologie et temps de la fin Alter, 22 | 2014 2 triste qu’Anders vive dans ses illusions, dont témoigne l’auto-citation récurrente de son roman Die molussische Katakombe dans le premier tome de Die Antiquiertheit des Menschen, alors que ce roman demeure non publié. En effet, les écrits de cette période, en particulier ceux qui composent le volume littéraire Kosmologische Humoreske, comportent de multiples renvois à ce roman rédigé au début des années 30 et publié seulement en 1992. 5 La correspondance semble reprendre à partir d’une lettre d’Anders envoyée à Jonas seulement en août 1973, lettre à laquelle ce dernier répond le 19 octobre de la même année. Apparemment Jonas a été touché par la lettre de son ancien ami. Il y complimente un texte sur la déduction de l’espace et du temps qu’Anders a repris à partir d’une version de 19596. Il y relève un point d’accord important, certes de peu d’importance en ce qui concerne le thème de l’histoire, mais relativement éclairant concernant une affirmation récurrente chez Jonas et qui les distingue tous les deux fondamentalement de Heidegger7 : Nous est commun le sentiment, sans que nous nous soyons entretenus à ce propos, qu’il est inconcevable que les philosophes n’aient pas reconnu de manière décisive, en tant qu’ontologique, pour l’essence de l’homme, qu’il doive se nourrir8. 6 Outre cet élément notable, dans cette même longue lettre, Jonas avoue que l’éthique doit être fondée à partir de l’ontologie, contrairement à la superstition (Aberglaube) moderne qu’aucun devoir ne pourrait se laisser déduire de l’être9. Cette exigence provient toujours selon lui des perspectives futures laissées ouvertes par la situation technologique. Jonas ajoute également le fait qu’il travaille alors à la plus importante entreprise philosophique de sa vie et en envoie une quarantaine de pages à Anders afin d’avoir son avis. Retenons surtout l’idée que pour Jonas l’avenir reste toujours ouvert et qu’il ne semble, du moins dans cette correspondance, jamais requérir d’analytique des ultimes à la façon dont Anders développe sa pensée de la désuétude, à savoir l’analyse des abandons successifs d’idéaux divers (liberté, individu, imagination, mort ou encore l’histoire) au profit d’idéaux techniques. 7 En réponse, le 11 novembre 1973, Anders affirme être entièrement d’accord avec Jonas sur l’idée d’une éthique pour l’époque de la technologie, qu’il désignerait davantage comme « époque de la technique ». Il remarque surtout que ce dernier s’avance jusqu’aux « questions fondamentales les plus nihilistes » telles que la suivante : « pourquoi doit-il y avoir un futur ? »10. À cette occasion, Anders envoie à Jonas entre autres son texte « Endzeit und Zeitende », évoqué plus précisément dans la fin de cet article. Par la suite, dans sa lettre du 18 janvier 1974, Jonas s’accorde sur l’idée que le uploads/Histoire/ alter-297.pdf
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Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Sep 06, 2022
- Catégorie History / Histoire
- Langue French
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