Jacques Attali Une brève histoire de l’avenir Fayard Alas ! I t is delusion all
Jacques Attali Une brève histoire de l’avenir Fayard Alas ! I t is delusion all : The future cheats usfrom afar, Nor can w e be w hat w e recall, Nor dare w e think on w hat w e are Hélas, tout est illusion : L’avenir se moque de nous à distance. Nous ne pouvons ni ressembler à nos souvenirs, Ni oser nous accepter comme nous sommes. LORD BYRON, Stanzasfor Music. AVANT-PROPOS Aujourd’hui se décide ce que sera le monde en 2050 et se prépare ce qu’il sera en 21 00. Selon la façon dont nous agirons, nos enfants et nos petits-enfants habiteront un monde v iv able ou trav erseront un enfer en nous haïssant. Pour leur laisser une planète fréquentable, il nous faut prendre la peine de penser l’av enir, de comprendre d’où il v ient et comment agir sur lui. C’est possible : l’Histoire obéit à des lois qui permettent de la prév oir et de l’orienter. La situation est simple : les forces du marché prennent en main la planète. Ultime expression du triomphe de l’indiv idualisme, cette marche triomphante de l’argent explique l’essentiel des plus récents soubresauts de l’Histoire : pour l’accélérer, pour la refuser, pour la maîtriser. Si cette év olution v a à son terme, l’argent en finira av ec tout ce qui peut lui nuire, y compris les États, qu’il détruira peu à peu, même les États-Unis d’Amérique. Dev enu la loi unique du monde, le marché formera ce que je nommerai l’hyperempire, insaisissable et planétaire, créateur de richesses marchandes et d’aliénations nouv elles, de fortunes et de misères extrêmes ; la nature y sera mise en coupe réglée ; tout sera priv é, y compris l’armée, la police et la justice. L’être humain sera alors harnaché de prothèses, av ant de dev enir lui-même un artefact, v endu en série à des consommateurs dev enant eux-mêmes artefacts. Puis, l’homme, désormais inutile à ses propres créations, disparaîtra. Si l’humanité recule dev ant cet av enir et interrompt la globalisation par la v iolence, av ant même d’être libérée de ses aliénations antérieures, elle basculera dans une succession de barbaries régressiv es et de batailles dév astatrices, utilisant des armes aujourd’hui impensables, opposant États, groupements religieux, entités terroristes et pirates priv és. Je nommerai cette guerre l’hyperconflit. Il pourrait lui aussi faire disparaître l’humanité. Enfin, si la mondialisation peut être contenue sans être refusée, si le marché peut être circonscrit sans être aboli, si la démocratie peut dev enir planétaire tout en restant concrète, si la domination d’un empire sur le monde peut cesser, alors s’ouv rira un nouv el infini de liberté, de responsabilité, de dignité, de dépassement, de respect de l’autre. C’est ce que je nommerai l’hyperdémocratie. Celle-ci conduira à l’installation d’un gouv ernement mondial démocratique et d’un ensemble d’institutions locales et régionales. Elle permettra à chacun, par un emploi réinv enté des fabuleuses potentialités des prochaines technologies, d’aller v ers la gratuité et l’abondance, de profiter équitablement des bienfaits de l’imagination marchande, de préserv er la liberté de ses propres excès comme de ses ennemis, de laisser aux générations à v enir un env ironnement mieux protégé, de faire naître, à partir de toutes les sagesses du monde, de nouv elles façons de v iv re et de créer ensemble. On peut alors raconter l’histoire des cinquante prochaines années : av ant 2035, prendra fin la domination de l’empire américain, prov isoire comme celle de tous ses prédécesseurs ; puis déferleront l’une après l’autre trois v agues d’av enir : hy perempire, hy perconflit, puis hy perdémocratie. Deux v agues a priori mortelles. Une troisième a priori impossible. Sans doute ces trois av enirs se mêleront-ils ; ils s’imbriquent déjà. Je crois en la v ictoire, v ers 2060, de l’hy perdémocratie, forme supérieure d’organisation de l’humanité, expression ultime du moteur de l’histoire : la liberté. Pour expliquer et étay er ce pronostic, j’entends raconter ici l’histoire de cet av enir. Entreprise absurde, dira-t-on. Tant d’év énements, tant d’indiv idus peuv ent en inv erser le cours ! Et, de surcroît, si le fondement de l’Histoire est la conquête de la liberté indiv iduelle, alors cette finalité même la rend imprév isible. Quelques exemples suffisent à s’en conv aincre : si, en 1 7 99, le général Bonaparte n’av ait pas pris un tel ascendant sur ses contemporains, la Rév olution française aurait pu immédiatement accoucher d’une république parlementaire, gagnant ainsi un siècle sur l’Histoire réelle. Si, en juin 1 91 4, un assassin, à Sarajev o, av ait raté sa cible, la Première Guerre mondiale ne se serait pas déclenchée, en tout cas pas de la même façon. Si, en juin 1 941 , Hitler n’av ait pas env ahi la Russie, il aurait pu, comme le général Franco, mourir au pouv oir et dans son lit ; si le Japon, la même année, av ait attaqué la Russie au lieu des États-Unis, ceux-ci ne seraient peut-être pas entrés dans la guerre et n’auraient pas libéré l’Europe, comme ils n’ont ensuite jamais libéré ni l’Espagne ni la Pologne ; la France, l’Italie et le reste de l’Europe seraient ainsi peut-être restés sous la botte hitlérienne au moins jusqu’à la fin des années 1 97 0. Enfin si, en 1 984, le secrétaire général du parti communiste sov iétique, Youri Andropov , n’était pas mort prématurément, et si le successeur de son successeur av ait été, comme il était prév u, Grigori Romanov au lieu de Mikhaïl Gorbatchev , l’Union sov iétique existerait probablement encore. Absurde aussi de tenter de prév oir l’av enir, car toutes les réflexions à son sujet ne sont en général que des élucubrations sur le présent : ainsi, dès les premières sociétés humaines, les discours sur les temps futurs se résumaient à prédire un éternel retour des astres et des récoltes. Pour les prêtres et les augures, le monde ne pouv ait surv iv re qu’en obtenant le retour de la pluie et du soleil ; un monde meilleur n’était possible que dans un au-delà cosmique, espace idéal, lui aussi stable, cy clique, dont l’av ènement tenait plus au bon v ouloir énigmatique des dieux qu’aux actions des hommes. Quand il dev int clair que l’innov ation pouv ait améliorer la v ie matérielle, intellectuelle et esthétique, apparurent, d’abord autour de la Méditerranée, quelques peuples déterminés à concev oir et mettre en œuv re un progrès terrestre. Ceux qui pensèrent ensuite l’av enir de la Terre (philosophes, artistes, juristes, puis sav ants, économistes, sociologues, romanciers, futurologues) le décriv irent encore, en général, comme le prolongement naïf de leur propre présent. Par exemple, à la fin du XVIe siècle, tous pronostiquaient que l’apparition en Europe des caractères mobiles de l’imprimerie ne ferait que renforcer les deux pouv oirs alors dominants, l’Église et l’Empire ; de même, à la fin du XVIIIe siècle, la majorité des analy stes ne v oy aient dans la machine à v apeur qu’une attraction de foire qui ne changerait rien au caractère agricole de l’économie ; de même encore, à la fin du XIXe siècle, l’électricité n’av ait, pour l’essentiel des observ ateurs, qu’un seul av enir : permettre d’éclairer autrement les rues. Et si, au début du XXe siècle, certains prév oy aient l’apparition du sous-marin, de l’av ion, du cinéma, de la radio, de la télév ision, personne – pas même Jules Verne – ne pensait que cela pourrait v enir modifier l’ordre géopolitique alors dominé par l’Empire britannique ; personne non plus a fortiori ne v oy ait v enir le déclin de l’Europe, la montée du communisme, du fascisme et du nazisme ; encore moins la v enue de l’art abstrait, du jazz, de l’arme nucléaire ou de la contraception. De même, à la fin du siècle dernier, beaucoup considéraient encore l’ordinateur personnel et Internet comme des curiosités de peu d’importance, et rares ceux qui imaginaient le mariage homosexuel. Enfin, récemment encore, très peu d’analy stes ont v u v enir le retour de l’islam au cœur de l’Histoire. Aujourd’hui encore, la plupart des récits sur l’av enir ne sont que des extrapolations de tendances déjà à l’œuv re. Rares sont ceux qui se risquent à des prév isions décalées, à annoncer des bifurcations, des renv ersements, des changements de paradigme, en particulier en matière de mœurs, de culture ou d’idéologie. Moins encore à anticiper les crispations idéologiques qui pourraient ralentir ou même interdire ces profondes ruptures. Et pourtant, dans le prochain demi-siècle, tout changera dans de multiples directions, qu’il est tout à fait possible de dessiner. Après les av oir év oquées au début de cet av ant-propos en quelques lignes, en v oici un résumé en quelques pages. Tout commencera par un boulev ersement démographique. En 2050, sauf catastrophe majeure, 9,5 milliards d’êtres humains peupleront la Terre, soit 3 milliards de plus qu’aujourd’hui. L’espérance de v ie dans les pay s les plus riches approchera le siècle ; la natalité stagnera sans doute uploads/Histoire/ attali-jacques-une-breve-histoire-de-l-x27-avenir.pdf
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- Publié le Sep 21, 2022
- Catégorie History / Histoire
- Langue French
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