QUE SAIS-JE ? Le Coran FRANCOIS DEROCHE Directeur d'études à l'Ecole pratique d
QUE SAIS-JE ? Le Coran FRANCOIS DEROCHE Directeur d'études à l'Ecole pratique des hautes études Troisième édition mise à jour 10e mille Introduction résenter le texte fondateur d'une grande religion est un exercice difficile : pour les musulmans, le Coran est la parole de Dieu et s'impose absolument à l'homme sans discussion – tout au plus est-il loisible d'essayer de pénétrer son sens. Pour l'historien, il s'agit d'un texte surgi dans l'histoire de l'humanité au viie siècle. Pourtant, si l'on considère l'enracinement du Coran dans l'histoire, force est de reconnaître que les musulmans sont loin de l'ignorer : sans rien retrancher à la portée universelle de la Révélation, leur tradition exégétique retrouve en effet dans le texte maintes références à des personnages et à des événements contemporains de Muḥammad, références qui fournissent souvent des renseignements pour éclaircir les obscurités du texte. Les circonstances entourant les révélations formèrent d'ailleurs très tôt la matière d'ouvrages spécifiques. Le Coran n'est certes pas seulement un texte historique, il est un texte dont le message a traversé les temps ; mais il est permis de l'aborder sous l'angle de vue de l'historien comme un ensemble de prédications qui ont pris place dans la première moitié du viie siècle, à destination d'un auditoire dont la langue et les références culturelles étaient celles de l'Arabie du Nord-Ouest de l'époque. Cet ouvrage est consacré au Coran et au Coran seulement : l'islam ne se réduit pas à son texte fondateur et son enseignement, qui inclut d'autres sources, ne coïncide pas totalement avec celui qui figure dans la vulgate (voir chap. II). Un exemple bien connu est celui du châtiment de l'adultère : la peine prévue dans le texte est de cent coups de fouet alors que la loi musulmane (charî‘a) a retenu la lapidation en se fondant sur la déclaration de ‘Umar qui se souvenait d'avoir entendu de la bouche de Muḥammad une révélation prescrivant ce châtiment. Mais comme ‘Umar était seul à se rappeler ce point, les compilateurs ne l'inclurent pas dans leur recension. Des écarts existent également entre la littéralité de cette dernière et les doctrines que les commentateurs musulmans ont élaborées au cours des âges : pour n'en prendre qu'un exemple, une étude récente de Jane McAuliffe met en lumière le décalage qui se manifeste entre la présentation des chrétiens telle qu'elle apparaît dans le Coran et la façon dont ils sont envisagés dans l'exégèse musulmane des mêmes versets. Ces raisons, qui ne P sont assurément pas recevables par un musulman, expliquent le choix qui a été fait ici de rester aussi près que possible du texte lui-même ; le lecteur désireux de compléter son information sur l'islam pourra se reporter dans cette même collection au volume de Dominique Sourdel (L'islam), ou encore à celui d'Ali Mérad sur L'exégèse coranique. L'existence de ce dernier ouvrage nous a autorisé à nous dispenser de dresser le tableau des divers chemins empruntés par les commentateurs musulmans au cours des âges. En revanche, il nous a paru utile d'évoquer certaines des orientations de recherche qui ont été suivies en Europe et en Amérique essentiellement. L'une des conséquences de ces études a été l'amélioration des traductions en langues occidentales. Certes, comme le veut le dogme de l'inimitabilité du Coran (i‘jâz), ce dernier ne peut être traduit et il conviendrait de parler d'« essai d'interprétation ». Mais il fallait bien emprunter ce détour pour rendre accessible le texte coranique au lecteur qui ne connaît pas l'arabe, tout en restant conscient que les traducteurs ont pratiqué avec assiduité les commentateurs musulmans et ont été influencés par eux. Plusieurs traductions françaises sont d'une qualité estimable. Le choix a été fait ici de recourir à celle de Denise Masson, révisée par le Dr Sobhi el-Saleh (Beyrouth, 1977). Lorsque son interprétation nous a paru discutable d'un point de vue philologique ou moins illustrative du style coranique, nous avons suivi Régis Blachère (XXV, 6 ; LXXXIII, 25 et 27 ; LXXXVII, 6 ; XCVI, 1 ; C, 1-6) ou proposé une traduction (IV, 34 ; XVII, 106 ; XLI, 3 ; LXXXV, 21-22). Les renvois faits au Coran se référent à la numérotation de l'édition du Caire ; lorsque, sur un point, plusieurs versets pouvaient être invoqués, nous avons généralement retenu un passage qui nous paraissait de nature à éclairer notre propos. Chapitre I Le contexte historique de la révélation coranique I. L'Arabie à la veille de l'islam 1. Le milieu et les hommes À l'époque historique, la péninsule arabe est inégalement occupée : au Sud peuplé d'agriculteurs où se sont développés des états relativement stables, s'opposent le Centre et le Nord, zones de déserts, de steppes et de montagnes arides, que parcourent les nomades et où des oasis permettent çà et là quelques installations de sédentaires. La chaîne montagneuse qui longe la mer Rouge est particulièrement favorisée sous ce rapport, jalonnée comme elle l'est par des oasis comme La Mekke, Yathrib (qui deviendra Médine) ou encore al-‘Ulâ. Ces conditions naturelles peu favorables sont dans une certaine mesure compensées par la position de l'Arabie sur la voie commerciale qui relie le monde méditerranéen à l'Inde : selon les époques, elle emprunte un cheminement terrestre ou transite par les mers qui bordent la péninsule, mais sont dans l'ensemble peu favorables à la navigation à cause des récifs et de la rareté des mouillages en mer Rouge. En outre, les actes de piraterie rendent la voie maritime périlleuse. Les pistes de l'Arabie ne sont guère plus sûres, tributaires comme elles le sont des conditions de sécurité ; les déplacements requièrent des ententes entre les négociants et les nomades qui fournissent les moyens de transport, principalement des dromadaires, les guides et la protection nécessaire à ces traversées dangereuses, mais qui n'en représentent pas moins une menace pour les échanges puisqu'ils sont également des pillards redoutés. Ce trafic constitue une source de revenus, mais ceux-ci demeurent soumis à des variations qui sont en dehors du contrôle des habitants de la péninsule. L'Arabie est dominée par une organisation où les tribus jouent un rôle primordial. Deux grands groupes s'y remarquent, les Arabes du Sud et ceux du Nord, qui sont présentés dans la tradition locale comme des descendants d'Abraham, les premiers par Ismâ‘îl/Ismaël, les seconds par Qaḥṭân. Mais le morcellement est beaucoup plus important. Jusqu'à une époque très récente, des états ou confédérations reposant sur une base tribale ont temporairement étendu leur emprise sur des zones beaucoup plus vastes et donné naissance à d'éphémères royaumes établis autour d'une des oasis de l'Arabie centrale : au cours de l'Antiquité, ce fut le cas de Dédan/al-‘Ulâ et de Qaryat al-Faw, par exemple. L'Arabie du Sud se distingue par la plus grande stabilité de ses structures politiques. Toutes ces populations parlent des langues qui appartiennent à l'ensemble sémitique ; elles se répartissent schématiquement en deux groupes, le nordarabique, dont fait partie l'arabe, et le sudarabique, et nous sont connues par l'épigraphie, car l'écriture s'était répandue dans l'ensemble de la péninsule. Deux systèmes alphabétiques sont utilisés dont l'un, celui des inscriptions de l'Arabie du Sud, est particulièrement bien adapté à la notation de ces langues puisqu'il compte 27 à 29 consonnes, soit une pour chaque phonème – à l'exception des voyelles. La civilisation de l'Arabie du Sud est dans une phase de déclin au vie siècle, ce qui explique en partie l'apparition dans le nord de l'Arabie d'un alphabet comportant un nombre beaucoup plus restreint de signes (de 15 à 18 selon la position) et qui paraît dérivé, au moins en partie, du syriaque. À la fin du vie siècle, l'Arabie n'est pas un espace coupé du monde environnant : sa position sur des voies commerciales l'ouvre à des influences extérieures et l'installation d'Arabes sur la frange du Croissant fertile facilite des échanges de toutes sortes. À la veille de l'apparition de l'islam, l'Arabie se trouve impliquée dans le conflit qui oppose Byzance et la Perse sassanide. Au sud, les Persans sont intervenus directement pour évincer les Éthiopiens poussés par les Byzantins à défendre les intérêts chrétiens au Yémen (voir ci-dessous). Au nord, ces deux puissances se sont assuré chacune l'appui d'un royaume arabe installé sur ces confins : dans le sud-ouest de l'actuel Iraq, autour de leur capitale, Ḥîra, les Lakhmides soutiennent la Perse, tandis que les Ghassânides, qui dominent une région à cheval sur la Syrie orientale et la Jordanie, se sont mis au service de Constantinople. C'est d'ailleurs dans cet espace qu'ont été découvertes les premières traces de l'écriture arabe, des inscriptions du vie siècle qui révèlent des influences chrétiennes. 2. Les religions Le domaine religieux montre bien que l'Arabie elle-même a été marquée par ses voisins. Certes, les conditions extrêmement dures de l'existence des habitants de l'Arabie déserte laissent supposer que nombre d'entre eux faisaient face à des préoccupations qui laissaient peu de place à une vie spirituelle et l'islam qualifiera cette période d'âge de l'ignorance (jâhiliyya). Le paganisme ancestral demeure encore très important, la situation à La Mekke le montre suffisamment. Des formes de culte bien connues dans le monde uploads/Histoire/ deroche-le-coran-deroche-francois.pdf
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- Publié le Dec 26, 2022
- Catégorie History / Histoire
- Langue French
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