Insaniyat n°s 23-24, Janvier – Juin 2004, p.p. De l’étymologie de Wahran : de O
Insaniyat n°s 23-24, Janvier – Juin 2004, p.p. De l’étymologie de Wahran : de Ouadaharan à Oran Farid BENRAMDANE* A la mémoire de Zoubida KHALDI HAGANI La toponymie algérienne : ancrage historique et évolution linguistique Dénomination, usage et variété wihran – wahran – ouaran – ouarân – wahrân – wihrayn – ouadaharan – horan – oran ou tihart – tahart – tiaret –tiyaret, rusicada – skikda – soukaykida, tlemcen – tilimsen – tilemsen- trimizen ou ghilizane, ghilizâne, ighil izzan, relizane, etc. Les formes multiples de ces appellations, leurs diverses adaptations morphologiques selon des couches historiques et de leurs substrats linguistiques respectifs aussi différents : berbère / berbérisé, latin / latinisé, punique / punicisé, arabe / arabisé, espagnole / hispanisé, français / francisé ou tout simplement dialectisés (arabe algérien ou maghrébin) ne sont pas pour le linguiste une quelque dépréciation, un manque de prestige ou la corruption d’un style « pur » ou « purifié ». Bien au contraire, cette multiplicité dans les usages linguistiques d’aujourd’hui comme de tout temps, d’ailleurs, obéit à des lois d’évolution naturelle de toute langue. C’est à travers ces diverses réalisations linguistiques de la dénomination d’un même lieu que nous recherchons justement l’élément constant, une certaine régularité. De toutes façons, il y en a toujours une, au minimum. Ceci pour avertir que s’il y a une régularité dans toute manifestation langagière, c’est indubitablement le changement, la variation linguistique. Et comme, de surcroît, nous sommes dans une société à tradition orale, seule compte la * Enseignant, Université de Mostaganem. Chef de projet PNR « Dénomination et représentations mentales onomastiques (toponymiques et anthroponymiques) en Algérie » CRASC – Oran. Farid BENRAMDANE 2 réalité des règles phonétiques et des lois dialectologiques, c’est-à-dire que « le changement doit suivre les tendances générales d’évolution d’une langue »1. Toute explication doit, par conséquent, être circonscrite dans cette intelligence, sinon les commentaires capricieux et les interprétations les plus fantaisistes se multiplieront à l’infini2. C’est pourquoi, dans le corps de notre démonstration, nous soumettrons à notre analyse les différentes interprétations formulées jusqu'à présent, ainsi que les questionnements restés en suspens quant à l’étymologie de wahran et de son nom de peuplement, Ifri. Nous tenterons de démonter et de démontrer les mécanismes d’interprétation lexicale et sémantique des uns et des autres, les tenants et les aboutissants de quelques hypothèses de sens passées, de la période coloniale précisément, et actuelles. Remarquons tout de même la difficulté de ce genre de recherche dans le champ algérien et/ou maghrébin, du fait de cette spécificité culturelle qu’est l’oralité : les possibilités de formation, de transformation, les risques d’altérations sont toujours présents. Et il en est toujours ainsi de toute recherche ayant trait à l’origine, à la genèse des choses et des mots : « plus on remonte dans le temps, plus la recherche a un caractère conjectural » souligne à juste titre une éminente spécialiste en toponymie (Marie Thérèse Morlet) dans l’Encyclopédie Universalis. Les choses sont certes délicates, mais pas impossibles : les voies du Maghreb ne sont pas aussi obscures et aussi impénétrables que ne le pensent certains…3 La toponymie : entre appellation linguistique et récupération historique Très peu de témoignages, anciens, existent sur la signification de wahran, des témoignages, par exemple d’origine latine, espagnole, turque. Le nom de wahran est cité pour la première fois par Ibn Haouqâl et El Bekri, le premier vers 971 et le deuxième en 1068. Nous supposons que le nom de Wahran existait avant l’arrivée des Arabes au Maghreb 1- Brucker, Charles : L’étymologie.- Paris, Que sais-je ? PUF 5ème édition, 1998.- p.8 2- Ces précautions d’ordre méthodologique ne nous dispenseront pas de mettre en relief l’imaginaire linguistique entretenant les diverses interprétations de wahran, y compris les étymologies populaires et les explications les plus « hardies ». Elles signaleront le mode de traitement linguistique privilégié, et à ce titre, elles seront décrites et analysées. 3 Nous n’emprunterons pas également le raccourci à caractère étymologique tel que relevé dans la toute récente publication de l’Encyclopédie de l’Islam (Tome XI, 2003) : « Wahrân, nom arabe d’une vielle située sur le littoral Ouest de l’Algérie et appelée en français Oran ». – p.54 De l’étymologie de Wahran : de Ouadaharan à Oran 3 central. Son emplacement, son port stratégique, qui faisait l’objet de luttes incessantes entre les différentes dynasties (musulmane, espagnole, turque...) la fait entrer dans l’histoire que telle que nous le connaissons aujourd’hui. Ibn Haouqâl, dans son célèbre passage, décrit Oran de la manière suivante : « Ouahran est un port tellement sûr et si bien abrité contre tous les vents, que je ne pense pas qu’il ait son pareil dans tous les pays des Berbères... La ville est entourée d’un mur et arrosée par un ruisseau venant du dehors ; les bords du vallon où coule ce ruisseau sont couronnés de jardins produisant toutes sortes de fruits »4. Par contre, dans l’antiquité, les environs de Wahran sont mentionnés dans deux documents, relevés, en 1906, par Stephane Gsell dans son « Atlas archéologique de l’Algérie », dans le feuillet consacré à Oran et à ses environs. Ces documents d’origine latine La table de Peutinger et L’itinéraire d’Antonin (Tauxier, 1884, Essai de restitution de la table de Peutinger pour la province d’Oran) mentionnent plusieurs noms dont les plus connus sont Portus Divini et Portus Magnum : « Les portes des Dieux ». Les spécialistes les ont identifiés surtout à la baie de Mers el Kébir et d’Oran, sans pour autant que ne soient cités leurs noms originels, du moins, tels qu’ils étaient usités par les populations autochtones. Ceci pour dire, comme le signale Benkada, que le site a attiré dès la préhistoire, les premiers établissements humains5. De l’avis de nombreux spécialistes, préhistoriens et paléontologues (Balout, Doumergue, Chamla...), les grottes d’Oran, précisément celles du Murdjadjo, montagne surplombant la ville, sont les plus riches de toute l’Afrique du nord. Plusieurs hypothèses ont été avancées par des spécialistes et de non- spécialistes quant à l’interprétation de ces toponymes (wahran, wihran, oran, etc.) qui sont, en réalité, à l’origine des hydronymes (noms de cours d’eau) : Oued Wahran, Ouadaharan, Ouad Ouahran, etc. L’hypothèse la plus plausible, reprise depuis dans toutes les explications, est celle formulée par Pellegrin en 1949 dans son livre Les noms de lieux d’Algérie et de Tunisie. Etymologie et interprétation.6 Oran ainsi que d’autres toponymes comme Tiaret, Tahert, Taher... sont des formes 4- Ibn Hauqal, Configuration de la terre. Kitab Surat al-ard. Introduction et traduction avec index par Krames, J.H. et Wiet, G. Tome 1. Ed. B.D. Maisonneuve et Larose, Paris, I964, p. ???? 5- « (...) les vestiges ont été retrouvés un peu partout sur le plateau d’Oran. Quant aux grottes explorées dans les environs immédiats de la ville, elles sont nombreuses. Leur mobilier nettement caractéristiques permet d’affirmer qu’elles furent habitées avant et durant la période néolithique (époque de la pierre polie) » Benkada, S, ????????????????? 6- Pellegrin, A. : Les noms de lieux d’Algérie et de Tunisie.- Tunis, Etymologie et interprétation. Ed. SAPI. Farid BENRAMDANE 4 dérivées d’un nom de souche libyco - berbère qui veut dire « lion ». Il n’a malheureusement pas fait une analyse technique de l’articulation linguistique de ces vocables7. A cet effet, la détermination du sens primitif de tout toponyme ou nom de lieu est intimement liée au mode de désignation originaire du lieu; en d’autres termes, savoir dans quelle langue le nom a été créé, ensuite tenter de formuler l’hypothèse de l’époque de sa formation. Tous les historiens s’accordent à dire que le peuplement initial de la région de wahran était établi depuis la préhistoire sous le nom de IFRI, dénomination ethnonymique et toponymique faisant référence à l’importante station préhistorique du même nom, ayant donné naissance à un nom de peuplement humain (ou ethnique / ethnonyme) de souche berbère: Tribu d’Ifri ou Qabilat Yifri pour reprendre la formule usitée par les auteurs et chroniqueurs arabes. Interprétations et apparentement : entre wahran et Oran Pellegrin, dans son ouvrage précité, fait explicitement dériver Oran et non Wahran de la forme touareg « ouaran » (1949) et non de l’autre forme tout aussi touareg et plus proche du vocable usité par les populations actuelles et anciennes, et telle que relevée par les auteurs arabes et non arabes (espagnols, portugais, italiens, français, etc.) à partir de X° siècle : « wahran ». De manière très subtile, il est suggéré que la forme française ou francisée «oran » serait très proche du touareg « ouaran ». Ce type de rapprochement à caractère phonique et morphologique que nous rencontrons de temps à autre dans les discours sur la toponymie locale, est sous-tendu par des présupposés historiques, idéologiques et linguistiques précis, ceux, entre autres, de l’apparentement du berbère à un fonds linguistique indo-européen: « ... un certain nombre de vocables en usage dans les dialectes berbères actuels sont issus du fonds indo- européen ». Allant plus loin dans son raisonnement, Pellegrin rattache le substrat linguistique pré-berbère à un « peuplement européen très ancien du pays »8. Nous sommes, d’emblée, et de manière on ne uploads/Histoire/ etymologie-d-x27-oran-insaniyat-2007 1 .pdf
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- Publié le Jui 29, 2022
- Catégorie History / Histoire
- Langue French
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