http://contextes.revues.org/5399 ELLE : un outil d’émancipation de la femme ent
http://contextes.revues.org/5399 ELLE : un outil d’émancipation de la femme entre journalisme et littérature 1945-1960 ? 1ELLE est un magazine international, sur une tranche haut de gamme, véhiculant des modes, au-delà des modèles exclusivement français. Le propos de sa créatrice Hélène Gordon-Lazareff était : 1 Fenwick (Mihri), « J‟étais là au premier numéro… », ELLE, n° 3000, pp. 107-110. Faire un journal de mode, mais pas seulement. Un journal moderne. Pratique. Avec des photos. Donc des photographes. Mais qui ne soit pas une revue. D‟ailleurs, les revues comme Vogue faisaient la part belle à l‟illustration, et peu à la photo. Un journal qui s‟adresse à toutes les femmes. Et qui soit cependant sophistiqué. 1 2 Interview de Valérie Toranian, rédactrice en chef de ELLE. Cité dans Delassein (Sophie), Les dimanc (...) 2Le style rédactionnel ELLE était né et il continue de rayonner par sa plume et ses illustrations depuis plus de soixante ans. Par delà la mode, le magazine propose une formule mêlant littérature et information, tout en promouvant un nouveau rôle pour la femme. « ELLE n‟est ni exclusivement féministe ni exclusivement branché, c‟est un journal où tous ces éléments se côtoient. Sa diversité fait sa richesse et son équilibre2. » Le magazine est plus audacieux que ses concurrentes Claudine et Marie-France, reprises du Marie-Claire d‟avant-guerre. ELLE ose offrir de la nouveauté à des femmes que la guerre aura changées. Elles ne sont plus ces filles soumises à leur père, à leur mari, à la figure patriarcale. Elles disposent depuis quelques mois du droit de vote, dont elles useront timidement en cette année de lancement du magazine. L‟originalité de l‟hebdomadaire est de présenter la femme sur un pied d‟égalité avec l‟homme et, surtout de mettre en avant des femmes exerçant des métiers masculins ou ayant un comportement émancipé. Hélène Gordon- Lazareff innove ainsi en valorisant la gent féminine, tout en satisfaisant aux impératifs de neutralité des annonceurs. Dès son premier numéro, la femme émancipée est mise à l‟honneur par le biais de la littérature, avant que le ton des articles et le choix des sujets et rubriques ne prolongent cette volonté affichée sans revendication outrancière. Comment ce magazine féminin auquel on appose volontiers le terme « futile » se construit-il autour d‟une image forte de la femme loin des clichés d‟avant-guerre ? Ce discours, cette valorisation seront particulièrement prégnants entre 1945 et 1960, car les combats féministes sont encore à mener. De plus, à partir des années 1960 et au début des années 1970, le magazine s‟essouffle, comme ses confrères, dans la quête d‟une nouvelle image de la femme. Ces quinze premières années d‟existence marquent bien un nouveau tournant dans l‟inscription idéologique d‟une femme tendant à être l‟égale de l‟homme. Pour mieux comprendre la construction nouvelle de ce magazine élaboré par des femmes pour des femmes, nous nous attacherons dans un premier temps à analyser le contexte de cette presse au sortir de la guerre et à comprendre l‟héritage de la presse magazine d‟avant 1939. Puis, nous étudierons la littérature dans ELLE en tant qu‟agent de promotion d‟une image de femme libre dont le comportement et les écrits libres choquent la société d‟alors. Enfin, ce sont les destins de femmes devenues journalistes grâce à l‟hebdomadaire que nous décrypterons, le magazine constituant un tremplin pour le journalisme féminin car il ose offrir des postes à responsabilités à des femmes alors que ces dernières ont rarement reçu une formation académique les préparant aux métiers de la presse. Ces journalistes inventeront une nouvelle image de la femme et lui donneront la parole dans le magazine féminin comme à la télévision, en particulier grâce aux réseaux que leur ouvre ELLE. Le contexte éditorial 3 Auclair (Marcelle) & Prevost (Françoise),Mémoires à deux voix, Paris, France Loisirs/ Éditions du (...) 4 Ibid., p. 287. 5 Sullerot (Evelyne), La presse féminine, Paris, Armand Colin, « Kiosque », 1963, p. 53. 6 Marie-Claire, février 1938. 7 Soulier (Vincent),Presse féminine, la puissance frivole, Paris, L‟Archipel, 2008, p. 98. 8 En 1963, le magazine tire à 1 069 785 exemplaires (source OJD, cité dans Sullerot (Evelyne), op. ci (...) 3Le modèle français de référence pour les journaux féminins français au sortir de la deuxième guerre mondiale est Marie-Claire. Apparu durant l‟entre-deux guerres, il a proposé une vraie révolution dans le monde de la presse destinée aux femmes. Marie-Claire crée un nouveau marché plus bourgeois différencié de la presse féminine populaire – qui s‟était essentiellement consacrée au roman-feuilleton, puis au roman-photo – mais aussi des magazines pratiques, dont le succès était basé sur les modèles et patrons pour la confection à domicile. Il s‟est également éloigné de la presse haut de gamme symbolisée par Vogue, titre importé des États-Unis, en 1920, mais dont le prix et les produits mis en avant le destinent à une élite bien qu‟à son lancement en 1937 Jean Prouvost affirme vouloir faire deMarie-Claire « le Vogue du pauvre ». L‟idée aurait été lancée au départ par une femme, Marcelle Auclair. Cette dernière souhaitait « une revue où la femme trouverait tout ce dont elle a besoin (comme dans la page de Paris-Soir [qu‟elle animait chaque semaine à la demande de Jean Prouvost]) dans un style nouveau, un esprit neuf, présentée avec élégance, bien imprimée sur un papier bon marché3 ». Marcelle Auclair est venue au journalisme en remplaçant Colette que la rubrique de beauté du magazine Marianne« ennuie à périr4 ». Cette revue est lancée en 1932 par Emmanuel Berl et financée par Gaston Gallimard et André Malraux. Elle répond, jusqu‟à son rachat par Raymond Patenôtre, en 1937, à l‟influence antisémite desGringoire et Candide d‟extrême droite. Après son rachat et sa dépolitisation par Lucien Vogel et André Cornu pour en augmenter les tirages, dans une tentative avortée de concurrencer Match, Marcelle Auclair a l‟idée de proposer d‟étendre les pages beauté et mode pour créer un magazine uniquement destiné aux femmes. Jean Prouvost refuse dans un premier temps l‟idée, mais à la perspective que Gaston Gallimard y investisse, il adopte finalement le concept qui deviendra Marie-Claire. Le lancement du magazine féminin s‟accompagne d‟une campagne publicitaire, inspirée elle aussi de l‟expérience américaine de Marcelle Auclair. La maquette est plus aérée que celles des magazines féminins de l‟époque ce qui accroît l‟aspect luxueux de ses pages. Son prix facial réduit et ses rubriques techniques et pratiques en font un magazine grand public. Sa « couverture était entièrement nouvelle : elle représentait délibérément toujours une tête de femme, en couleurs, belle, jeune, gaie5. » À cet emprunt à la presse américaine, on peut ajouter le ton volontairement optimiste. Marcelle Auclair y dispense ses conseils de beauté et d‟hygiène, une « nouvelle philosophie de la vie » et déjà instille une volonté d‟émancipation par une « stricte collaboration6 » entre femmes et hommes. Pendant la Seconde Guerre mondiale, le magazine se replie sur Clermont-Ferrand, Bordeaux puis Lyon sous la direction de Philippe Boegner, fils de l‟Église réformée7. En juin 1940, Jean Prouvost devient directeur de l‟information dans le gouvernement de Paul Reynaud, puis haut commissaire à l‟Information dans le gouvernement Pétain, poste dont il démissionne un mois plus tard lorsque le Maréchal reçoit les pleins pouvoirs. Cette nomination et sa démission lui valent la rancœur de la Résistance et du régime de Vichy.Marie-Claire continue de paraître, même si sa pagination et sa diffusion s‟étiolent jusqu‟à la Libération de Paris. Le magazine, comme d‟autres publications du groupe, est interdit fin juillet 1944 et doit attendre dix ans avant de reparaître sous le titre de L’Album de Marie-Claire. Son nouveau rédacteur en chef sera Marcel Haedrich, qui travaille sous la direction d‟Hervé Mille. Dès son premier numéro en 1954, il compte parmi ses collaboratrices Françoise Prevost, la fille de sa créatrice, Marcelle Auclair. Cette dernière ne reprend le chemin de la rédaction qu‟en 1955, à la demande de son public qui s‟étonne de son absence dans cette nouvelle édition. La fidélité du lectorat est importante autour de ce titre innovant, qui récupère rapidement son audience d‟avant-guerre8. Ainsi les 500 000 exemplaires du premier numéro seront-ils rapidement épuisés. 9 Feyel (Gilles), « La presse féminine au XIXesiècle (1794-1914) », dans La vie des femmes, la press (...) 10 En 1930, il tire à 1 130 000 exemplaires (Bonvoisin (Samra-Martine) & Maignien (Michèle), La presse(...) 11 Les restrictions de papier l‟amènent à devenir bi-mensuel, puis mensuel en 1942. 12 Sullerot (Evelyne),op. cit., p. 33. 4Entretemps, sa disparition laisse le champ libre au Petit Écho de la Mode, qui pendant la guerre avait modifié sa périodicité. Ce magazine avait été créé en 1879 sous le titre de Petit Journal de la Mode. La famille catholique Huon de Penanster et Emmanuel Ferre devaient le racheter un an plus tard et transformer son titre. Rebaptisé Le Petit Écho de la Mode, il trouva rapidement son public et tirait en 1885 à 100 000 exemplaires, grâce notamment aux romans-feuilletons détachables et à de nombreuses gravures de mode. Il devint le point de départ d‟une entreprise de presse, qui éditera Rustica, Mes Romans ou bien encore Lisette. En 1893, l‟hebdomadaire uploads/Histoire/ elle-un-outil-d-x27-emancipation-de-la-femme-entre-journalisme-et-litterature-1945-1960.pdf
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- Publié le Aoû 06, 2022
- Catégorie History / Histoire
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