FRIEDRICH ENGELS LE ROLE DE LA VIOLENCE DANS L'HISTOIRE Edition électronique ré

FRIEDRICH ENGELS LE ROLE DE LA VIOLENCE DANS L'HISTOIRE Edition électronique réalisée par Vincent Gouysse à partir du Tome III des Œuvres choisies de Karl Marx et Friedrich Engels publié en 1970 aux Editions du Progrès, Moscou. WWW.MARXISME.FR 2 LE RÔLE DE LA VIOLENCE DANS L'HISTOIRE1 Appliquons maintenant notre théorie à l'histoire contemporaine de l'Allemagne et à sa pratique de la violence par le sang et par le fer. Nous y verrons avec évidence pourquoi la politique du sang et du fer devait réussir provisoirement et pourquoi elle doit nécessairement finir par faire faillite. En 1815, le Congrès de Vienne avait, en trafiquant, partagé l'Europe d'une manière telle que l'incapacité totale des puissants et des hommes d'Etat apparaissait clairement devant le monde entier. La guerre générale des peuples contre Napoléon fut la réaction du sentiment national foulé aux pieds chez tous les peuples par Napoléon. En récompense, les princes et les diplomates du Congrès de Vienne piétinèrent ce sentiment national avec encore plus de mépris. La plus petite dynastie eut plus de valeur que le plus grand peuple. L'Allemagne et l'Italie furent à nouveau éparpillées en petits Etats, la Pologne fut démembrée pour la quatrième fois, la Hongrie demeura sous le joug. Et on ne peut même pas dire que les peuples subissaient une injustice : pourquoi s'étaient-ils laissé faire, et pourquoi avaient-ils salué en le tsar de Russie [Alexandre Ier. (N.R.)] leur libérateur ? Mais cela ne pouvait durer. Depuis la fin du moyen âge, l'histoire travaille à constituer l'Europe sur la base de grands Etats nationaux. Seuls, des Etats de cet ordre sont l'organisation politique normale de la bourgeoisie européenne au pouvoir, et ils sont de même la condition indispensable pour l'établissement de la collaboration internationale harmonieuse entre les peuples, sans laquelle il ne peut y avoir de pouvoir du prolétariat. Pour assurer la paix internationale, il faut d'abord écarter toutes les frictions nationales évitables, il faut que chaque peuple soit indépendant et maître chez soi. Avec le développement du commerce, de l'agriculture, de l'industrie et, ainsi, de la puissance de la bourgeoisie, le sentiment national s'élevait donc partout, les nations éparpillées et opprimées exigeaient leur unité et leur indépendance. Partout en dehors de la France, la révolution de 1848 eut donc pour but autant la satisfaction des revendications nationales que celle des exigences de liberté. Mais, derrière la bourgeoisie d'emblée victorieuse, s'élevait partout déjà la figure menaçante du prolétariat, qui avait en réalité remporté la victoire, et poussait la bourgeoisie dans les bras des adversaires qui venaient d'être vaincus : de la réaction monarchique, bureaucratique, semi-féodale et militaire, à laquelle succomba la révolution de 1849. En Hongrie, où cela ne fut pas le cas, les Russes entrèrent et écrasèrent la révolution. Non content de cela, le tsar se rendit à Varsovie et s'y érigea en arbitre de l'Europe, et nomma Christian de Glücksburg, sa créature docile, à la succession du trône de Danemark. Il humilia la Prusse comme elle ne l'avait jamais été, en lui interdisant même les plus faibles désirs d'exploiter les tendances allemandes à l'unité, en la contraignant à restaurer la Diète fédérale2 et à se soumettre à l'Autriche. Tout le résultat de la révolution, au premier coup d'œil, sembla donc être que la Prusse et l'Autriche étaient gouvernées selon une forme constitutionnelle, mais dans l'esprit ancien, et que le tsar régnait en maître sur l'Europe plus encore qu'auparavant. Mais, en réalité, la révolution avait tiré rudement la bourgeoisie, même dans les pays démembrés, et en particulier en Allemagne, de la vieille routine dont elle avait reçu l'héritage. La bourgeoisie avait obtenu une participation, modeste toutefois, au pouvoir politique ; et tout succès politique de la bourgeoisie est mis à profit en un essor économique. La « folle année »,3 que l'on avait heureusement derrière soi, montrait à la bourgeoisie d'une manière palpable qu'elle devait maintenant en finir une fois pour toutes avec la léthargie et l'indolence d'autrefois. Par suite de la pluie d'or californienne et australienne4 et d'autres circonstances, il y eut une extension des relations du marché mondial et un essor des affaires comme il n'y en avait jamais eu auparavant ; il s'agissait d'y mettre la main et de s'y assurer une participation. Les débuts des grandes industries, qui prenaient naissance depuis 1830 et surtout depuis 1840 sur les bords du Rhin, en Saxe, en Silésie, à Berlin, et dans les villes isolées du Sud, furent désormais rapidement perfectionnés et élargis ; l'industrie à domicile des cantons s'étendit de plus en plus ; la construction des chemins de fer fut accélérée et, avec tout cela, l'accroissement énorme de l'émigration créa une ligne transatlantique allemande qui n'eut pas besoin de subventions. Plus que jamais auparavant, les commerçants allemands se fixèrent au-delà des mers sur toutes les places commerciales ; ils furent les intermédiaires d'une partie de plus en plus importante du commerce mondial et commencèrent peu à peu à négocier le placement non seulement des produits anglais, mais aussi des produits allemands. 3 Cependant, le provincialisme allemand, avec ses multiples législations différentes du commerce et des métiers, devait bientôt devenir une entrave insupportable à cette industrie, dont le niveau s'élevait énormément, et au commerce qui en dépendait. Tous les deux kilomètres un droit commercial différent, partout des conditions différentes dans l'exercice d'un même métier, et partout d'autres chicanes, des chausse-trapes bureaucratiques et fiscales, souvent encore des barrières de corporations contre lesquelles aucune concession ne prévalait ! Et avec tout cela les nombreuses législations locales diverses, les limitations du droit de séjour qui empêchaient les capitalistes de lancer en nombre suffisant les forces de travail disponibles sur les points où la terre, le charbon, la force hydraulique et d'autres ressources naturelles permettaient d'établir des entreprises industrielles ! La possibilité d'exploiter librement la force de travail massive du pays fut la première condition du développement industriel ; partout, cependant, où l'industriel patriote rassemblait des ouvriers attirés de toute part, la police et l'assistance publique s'opposaient à l'établissement des immigrants. Un droit civil allemand, l'entière liberté de domicile pour tous les citoyens de l'Empire, une législation industrielle et commerciale unique, ce n'étaient plus là les rêveries patriotiques d'étudiants exaltés, c'étaient désormais les conditions d'existence nécessaires de l'industrie. En outre, dans chaque Etat, dans chaque petit Etat, autre monnaie, autres poids et autres mesures souvent de deux ou trois espèces dans le même Etat. Et de ces innombrables monnaies, mesures ou poids, pas un seul n'était reconnu sur le marché mondial. Est-il étonnant dès lors que des commerçants et des industriels, qui échangeaient sur le marché mondial et avaient à faire concurrence à des articles d'importations, dussent faire usage encore des monnaies, poids et mesures de l'étranger ; est-il étonnant que le fil de coton dût être dévidé en livres anglaises, les tissus de soie fabriqués au mètre, les comptes pour l'étranger établis en livres sterling, en dollars et en francs ? Et comment pouvait-on réaliser de grands établissements de crédit dans ces régions monétaires restreintes, ici avec des billets de banque en gulden, là en thalers prussiens, à côté en thalers-or, en thalers à « deux tiers », en marks- banque, en marks courants, à vingt, vingt-quatre gulden, avec les calculs, les fluctuations infinis du change ? Et lorsque, enfin, l'on parvenait à surmonter tout cela, combien de forces n'étaient pas passées dans toutes ces frictions, combien de temps et d'argent n'avait-on pas perdu ! Et en Allemagne aussi, on commença enfin à se rendre compte qu'aujourd'hui, le temps, c'est de l'argent. La jeune industrie allemande avait à faire ses preuves sur le marché mondial, elle ne pouvait grandir que par l'exportation. Il fallait pour cela qu'elle jouît à l'étranger de la protection du droit international. Le commerçant anglais, français ou américain pouvait se permettre plus encore au-dehors que chez lui. La légation de son pays intervenait pour lui, et, en cas de nécessité, quelques navires de guerre intervenaient aussi. Mais le commerçant allemand ! C'est tout au plus si dans le Levant, l'Autrichien pouvait compter sur sa légation, et encore ne l'aidait-elle pas beaucoup. Mais lorsqu'à l'étranger un commerçant prussien se plaignait à son ambassade d'une injustice dont il avait été victime, on lui répondait presque toujours : « C'est bien fait pour vous, qu'avez-vous à faire ici, pourquoi ne restez- vous pas gentiment chez vous ? » En outre, le ressortissant d'un petit Etat ne jouissait nulle part d'aucun droit. Où que l'on allât, les commerçants allemands se trouvaient sous une protection étrangère française, anglaise, américaine, ou ils s'étaient rapidement fait naturaliser dans leur patrie nouvelle. [Remarque d'Engels au crayon dans la marge : « Weerth ». (N.R.)] Et même si leur légation avait voulu s'employer pour eux, à quoi cela aurait-il servi ? Les consuls et les ambassadeurs allemands étaient traités outremer comme les décrotteurs de chaussures. On voit par là comment les aspirations à une « patrie » unique avaient un arrière-plan très matériel. Ce n'était plus le Drang nébuleux de corporations d'étudiants rassemblées à leurs fêtes de la Wartburg5, « où uploads/Histoire/ engels-le-role-de-la-violence-dans-l-histoire.pdf

  • 30
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager
  • Détails
  • Publié le Jui 02, 2022
  • Catégorie History / Histoire
  • Langue French
  • Taille du fichier 0.6648MB