1 Entretien avec Michel Vovelle – jeudi 7 avril 2005 Aix en Provence Dans le ca

1 Entretien avec Michel Vovelle – jeudi 7 avril 2005 Aix en Provence Dans le cadre de ses recherches sur l'historiographie de la Révolution française, Julien Louvrier avait réalisé un entretien avec Michel Vovelle, à Aix-en-Provence, en 2005. Il en a confié la transcription à la SER. Sa publication est un hommage au grand historien de la Révolution française Julien Louvrier : J’ai prévu une série de huit questions, dans une progression à la fois thématique et chronologique. Je voulais que l’on commence, si vous êtes d’accord, par la question du marxisme, le marxisme de l’historiographie révolutionnaire d’une part, votre marxisme dans le cadre de l’histoire des mentalités d’autre part. L’un des principaux caractères de l’historiographie de la Révolution française en France après 1945, est constitué d’une part de son engagement à gauche, d’autre part de son rapport au marxisme, au sens large. En découvrant l’histoire des représentations, des attitudes devant la mort, tout en vous réclamant d’une tradition d’histoire sociale, vous vous placez à la fois dans la continuité de vos prédécesseurs et collègues et en rupture. Dans quelle mesure, alors que l’on pourrait être tenté d’expliquer les mentalités par des phénomènes géographiques ou culturels éloignés des catégories de référence de l’explication marxiste comme les classes ou les groupes sociaux, l’histoire des mentalités est-elle marxiste ? Pour résumer, que doit l’histoire des mentalités à la grille de lecture marxiste et quelle est l’autonomie de l’une vis-à-vis de l’autre dans votre démarche ? Michel Vovelle : c’est un thème que j’ai essayé d’aborder de front dans Idéologies et Mentalités1 et sur lequel je pourrais apporter une réponse assez primaire ou rustique. Mon marxisme n’est pas très élaboré. J’entends que, quand Maurice Godelier m’a dit « tu es un drôle de coco », j’ai répondu « c’est vrai ». C’est vrai, c'est-à-dire que ma formation marxiste est élémentaire, comme elle l’était d’ailleurs pour tous les gens de ma génération. Pour ma génération, c’est-à-dire l’Ecole Normale de Saint-Cloud dans les années cinquante, notre marxisme se réduisait à quelques affirmations élémentaires. J’ai poursuivi cette formation et en même temps j’en indique les limites. Chez ceux auxquels je me réfère, c'est-à-dire les historiens de la Révolution française et autres, ni Albert Mathiez, ni Albert Soboul, ni Georges Lefebvre ne se voulaient marxologues ou marxistes approfondis. James Friguglietti nous dit que Mathiez n’avait qu’une perception grossière du marxisme2. On peut dire de même pour Georges Lefebvre, mais dans une lecture cependant plus approfondie. Et enfin, Albert Soboul, vous le savez, s’est toujours refusé à se définir comme historien marxiste. Dans cette tradition, dans cet héritage, que reste-t-il du marxisme, ou de ce que l’on peut appeler un héritage jaurésien élargi ? Et bien c’est une lecture, que l’on peut retrouver chez Ernest Labrousse, qui est celle du primat de l’économique sur le social, sur le culturel qui vient à la traîne, et cette lecture « jauréso-labroussienne », si je puis dire, est celle qui a dominé toute une tradition, avec sans doute des nuances. Albert Soboul a été sûrement celui qui a affirmé l’appartenance la plus directe, je n’oserais pas dire la plus dogmatique, à un héritage marxiste, mais avec un volant de liberté incontestable. Et enfin, pour moi, le marxisme, qu’est-ce que ça représente ? Et bien, ce n’est pas rien du tout. Dans mes années de formation, dès le stade initial, j’ai eu un premier contact avec le marxisme par l’intermédiaire 1 Michel VOVELLE, Idéologies et mentalités, Maspéro, Paris, 1982, 331p. 2 Voir la biographie d’Albert Mathiez par James FRIGUGLIETTI, Albert Mathiez, historien révolutionnaire (1874, 1932), Société des Etudes Robespierristes, 1974, 261p. 2 de mon professeur en classe de Math. élem. au lycée Marceau à Chartres, Marc Soriano, qui a été un des rares à se présenter comme marxiste. Ensuite, ça a été une formation sur le tas, une formation où le marxisme nous était transmis par les manuels, ceux du PCI (Parti Communiste International), le Livre Rouge et le Livre Vert, c'est-à-dire un marxisme très vulgaire, très élémentaire ; et en même temps un certain nombre de livres de base comme La lutte des classes1 de Marx par exemple, qui étaient les ouvrages les plus directement assimilables dans la pédagogie marxiste des années cinquante. Mais il y avait bien sûr quelques ouvertures. Dans les années cinquante, mon collègue et ami Gilbert Moget, italianiste qui est mort prématurément, assistant à Saint-Cloud comme moi, m’avait embauché pour la première traduction des Oeuvres choisies2 de Gramsci dans les années 56 à 60. Donc je ne peux pas prétendre à une innocence dans la formation marxiste, mais j’assume l’étiquette que m’a transmise Maurice Godelier : « tu es un drôle de coco ». De cette imprégnation marxiste, ou de cette « préformation » pour parler comme Ernest Labrousse, il m’est resté cette idée d’une histoire totale ou totalisante, avec cet enchaînement, de l’économique au social et du social à ce niveau que les uns appelaient alors les civilisations, qu’on a appelé ensuite les mentalités et qui sont maintenant les représentations. J’appartiens à la génération de ceux qui ont endossé cet héritage sans le récuser et qui ont gardé l’idée que l’histoire sociale est la fine pointe de l’histoire des mentalités, de cette histoire des mentalités qui se mettait en place alors et que, plus Mandrou et Duby que Braudel, étaient en train d’élaborer. J.L : A ce propos, vous dites dans le livre d’entretien publié avec Richard Figuier3, que les archives d’histoire sociale ont été un point de départ bien utile. Si je comprends bien, on partait alors avec un cadre de pensée ou un cadre de travail « marxiste », appliqué à l’histoire sociale, ce qui signifiait dans votre cas une plongée dans les archives notariales par exemple, et on en revenait avec une découverte, les mentalités. M.V : Mais bien sûr, bien sûr. D’abord il y a cet apprentissage, un apprentissage de l’histoire. Il faut revenir à mon premier contact avec Ernest Labrousse. Je me présente, je ne le connaissais pas et je lui dis que je voudrais faire un Diplôme d’Etudes Supérieures, une maîtrise on dirait aujourd’hui, sur la Commune de Paris. Il me dit « non, je vais vous donner un travail sur Chartres à la fin du XVIIIe ». Et là, j’ai été introduit à une histoire qui était labrousienne, c'est-à-dire une histoire qui était d’héritage ou de formation marxiste et cela, chez Labrousse, remontait aux origines. Cette histoire, passant par l’économique, de l’économique au conjoncturel et au social, cette histoire était celle que nous pouvions et que nous aimions aborder, nous, les jeunes chercheurs qui dans ces années 1960 cherchaient à faire une histoire marxiste. Cette histoire marxiste n’était pas aisée, parce que somme toute, Ernest Labrousse en était un des rares représentants. Les historiens communistes avaient été jusqu’à ce stade limités, d’une part parce qu’ils étaient hors du jeu de l’historiographie officielle et qu’ils n’avaient pas la parole et d’autre part parce que dans le cadre même du Parti, ils avaient peine à se faire entendre. Alors ces historiens, Tersen, Dautry ou Bruhat, ils nous envoyaient à Labrousse. Et Labrousse, qui était-ce vis-à-vis de l’histoire marxiste ? C’est l’époque où la cellule Saint-Just de Paris, cette nébuleuse devenue célèbre par la suite, François Furet, Emmanuel Le Roy-Ladurie, Annie Kriegel et autres, le dénonçait. Ils dénonçaient Ernest Labrousse comme « complice du capitalisme », « complice de Léon Blum, agent des américains ». Mais en même temps, ces historiens préparaient leurs thèses avec lui. 1 Karl MARX, La lutte des classes. 2 Antonio GRAMSCI, Oeuvres choisies, traduction et notes de Gilbert Moget et Armand Monjo, préface de Georges Cogniot, Editions Sociales, Paris, 1959, 534p. 3 Michel VOVELLE, Les aventures de la raison (entretiens avec Richard Figuier), Belfond, 1989, 190p. 3 Alors, on allait voir Labrousse. C’est Emile Tersen, mon maître à Saint-Cloud, qui m’a envoyé voir Labrousse. Et c’est Labrousse qui m’a dit : « Sur la Commune de Paris, non, c’est déjà pris, c’est Jacques Rougerie ». Labrousse m’a donc introduit, comme les autres, à une histoire. Cette histoire était-elle marxiste ? Elle était sociale, elle était classiste, elle était cette histoire qui mesure, qui compte et qui pèse, à la façon de Simiand. Donc, j’ai été introduit à cette histoire labroussienne et par là même, à une histoire sociale. Histoire sociale, dont je me suis non pas détaché, mais dont j’ai eu à prendre mes distances lorsque, avec ma génération, qui fut celle d’Agulhon et de quelques autres, nous avons senti à la fois la limite assumée par Labrousse vis-à-vis de Mousnier et le fait que nous nous sommes rendus compte qu’il fallait essayer d’aller voir plus loin. Vous savez aussi que cela coïncidait, dans les années cinquante- six, avec un moment où les espoirs du changement dans le monde étaient devenus difficiles, et pour moi, en 1956, c’était difficile de continuer. J.L : Après l’intervention des troupes soviétiques à Budapest ? M.V : Oui, c’est la Hongrie. Pourquoi le progrès n’est-il pas linéaire ? Comment se fait-il uploads/Histoire/ entretien-avec-michel-vovelle.pdf

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  • Publié le Fev 27, 2021
  • Catégorie History / Histoire
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