Linguistique et sociolinguistique du verlan à travers le monde Jazmín Vázquez R
Linguistique et sociolinguistique du verlan à travers le monde Jazmín Vázquez Ríos (javari@hotmail.com) UNIVERSITÉ DE BERNE Resumen Dos sentidos contrarios ejercen una influencia sobre la creación de argot: la distinción del orador y la unión del grupo. Son principalmente perceptibles en contextos multiculturales, donde la situación social y la lengua condicionan la utilización de un cierto sociolecto para construir una identidad particular. En este artículo se destacan similitudes sorprendentes entre las creaciones argóticas de diferentes países. Abstract The argotic creation is influenced by two opposed directions: the one that distinguishes the speaker and the other that unites the group. It is especially observable in multicultural contexts where the social situation and the spoken language condition the use of a certain sociolect to build an own identity. Astonishing similarities between the argotic creations of different countries are to be highlighted in this article. Palabras clave Sociolecto Creaciones de argot Verlan Lunfardo Mattenenglisch Key words Sociolect Argotic creations Verlan Lunfardo Mattenenglisch AnMal Electrónica 26 (2009) ISSN 1697-4239 INTRODUCTION On dit souvent que les jeunes parlent un langage non soigné, qu’ils déforment, voire qu’ils violent la langue. Une des raisons pour lesquelles ces stéréotypes existent est le verlan. L’opinion commune est qu’on utilise ce sociolecte pour que les autres ne comprennent pas ce qu’on dit, pour être spécial. Mais aussi les adultes se servent du verlan. Les raisons pourraient être cherchées dans la culture des locuteurs, dans la couche sociale à laquelle ils appartiennent, dans leur environnement, dans leur Verlan à travers le monde AnMal Electrónica 26 (2009) J. Vázquez Ríos ISSN 1697-4239 198 identité, etc. Mais il n’est pas repérable pourquoi ces parlers font du charme à certaines personnes. Une explication définitive du phénomène qu’est l’utilisation de langues secrètes reste donc problématique. Dans ce travail, on part de l’hypothèse que des créations argotiques comme le verlan (ré-)apparaissent dans les lieux où plusieurs cultures s’entrechoquent. Par conséquent, l’utilisation d’un sociolecte n’aurait pas à voir avec une certaine tranche d’âge, mais plutôt avec un contexte multiculturel dans lequel il faut s’adapter à la situation et à la langue. D’une part, il s’agirait de mélanges et de calques (produits par négligence ou par besoin de mots techniques) conditionnant l’utilisation d’un certain sociolecte, d’autre part, la volonté non seulement de se distinguer, mais surtout d’unir le groupe, jouerait un rôle important. Les deux directions opposées, la distinction du sujet parlant et l’union du groupe, formeraient la base du charme secret des sociolectes. Afin d’étayer notre supposition d’exemples, on comparera le cas du verlan avec d’autres sortes de verlan à travers le monde. Une autre question qu’on se posera à ce propos est celle de savoir le degré de la similitude entre les verlans des différents pays. Est-ce que les procédés anagrammatiques sont pareils? Et le vocabulaire, comment est-il développé? On proposera, finalement, des réflexions sur ce sujet avant de tirer une conclusion. LE VERLAN Pour Méla, le verlan est «la langue miroir dans laquelle se reflètent les multiples tensions de la société, la diversité des références des verlanisants» (1991: 73). Représentatif pour son système de permutation, le terme verlan est l’inversion de l’envers. Les graphies vers-l’en et verlen sont aussi connues, mais la plus répandue et celle qui a pu s’imposer est verlan. Le verlan des banlieues est très présent depuis les années 90 du XXe siècle. Mais ce jeu sur les mots était en usage déjà avant: la chanson Laisse béton, 1976 ( = laisse tomber) de Renaud s’est servie de cette façon de parler devant un grand publique qui ne connaissait pas ce qui jusqu’à ces jours-là était une langue souterraine. Il est vrai qu’au XXe siècle, les prisonniers, ainsi que certains adolescents parisiens, se communiquaient en verlan. Mais le phénomène de AnMal Electrónica 26 (2009) Verlan à travers le monde ISSN 1697-4239 J. Vázquez Ríos 199 l’inversion des syllabes d’un mot est encore plus ancien. Déjà en 1585, on trouve le mot Bonbour pour désigner un Bourbon, au XVIIIe siècle, Louis XV est appelé Sequinzouil et la première moitié du XIXe siècle nous tient prêt le mot Lontou pour le bagne de Toulon (pour les exemples, voir Calvet 1999: 60). Il faut remarquer qu’il ne s’agit que de quelques apparitions de mots isolés, et non pas de mots tirés d’un contexte verlanisé de son côté. Le procédé d’inversion n’était appliqué qu’à quelques termes et de façon relativement limitée. Aujourd’hui, l’utilisation du verlan n’est pas la même qu’au XVIe siècle. Le verlan est devenu un argot de banlieue et de bande qui est parlé de plus en plus par des «jeunes de situation sociale plus aisée, […] les lycéens des beaux quartiers» (Calvet 1999: 64). Mais ce sont surtout des garçons qui l’utilisent pour parler entre eux, pour être cool, pour faire partie du groupe ou pour se détacher ou démarquer d’autres cliques (ou des parents dans le cas des lycéens). Plus que d’autres adolescents, les beurs (les jeunes d’origine arabe) s’en servent comme marqueur d’identité. Les autres (les jeunes plus aisés, les enfants, les filles et les médias) parlent un verlan plus délavé et soft, quelquefois même ludique. Puisque l’utilisation du verlan varie selon les locuteurs, on peut se poser la question de savoir qui parle le verlan et pourquoi. Selon Méla (1991), le verlan est une contradiction du français standard : au lieu de viser la clarté, il vise la mystification et permet d’exprimer ce dont le français standard n’ose pas parler. L’une des fonctions de ce sociolecte est donc euphémique1. Mais les fonctions qui peuvent être attribuées au verlan varient selon le locuteur (à ce propos, voir Méla 1997: 31-32). Histoire Depuis les années 1980, la France a pu observer la distinction de plus en plus claire d’un groupe social nouveau: les beurs. (McNeill 1999). Selon la définition de Hargreaves, les beurs sont les enfants d’immigrants nord-africains (1989: 661). À la fois d’origine arabe et de culture française, ce groupe biculturel cherchait sa place 1 Cette fonction est surtout repérable dans la forme d’utilisation du verlan des filles. Dans le contexte suisse romand, beaucoup de filles changent au code du verlan pour émettre une injure ou de gros mots. Verlan à travers le monde AnMal Electrónica 26 (2009) J. Vázquez Ríos ISSN 1697-4239 200 dans la société. Ceci a automatiquement entraîné des tensions et de la résistance. La Marche pour l’égalité et contre le racisme en 1983 thématisait la discrimination subie par cette (apparemment) nouvelle partie de la population. On percevait cette minorité ethnique comme une classe sociale à part. Les différentes vues des et les définitions proposées par certains auteurs n’ont que souligné cette perspective2. De nouveaux mots comme beurgeoisie ou banlieusard ont été créés, montrant la démarcation au niveau de la langue. Les beurs, de leur côté, se détachaient par la langue qu’ils utilisaient: un français mélangé avec l’arabe, des mots argotiques cryptés et du verlan. Dès qu’on risque de ne plus être «secret», on invente de nouveaux mots (Seguin et Teillard 1996: 18-19). Mais à la fois le désir d’être compris et accepté est là: «Au Maroc, les Marocains me traitaient de sale Français… En France, les Français me traitent de sale Arabe… Maintenant, je suis perdu. Je ne sais plus qui je suis» (Seguin et Teillard 1996: 104). C’est peut-être ce conflit d’identité (langue, nationalité, religion) qui pousse certains beurs à s’engager dans des projets comme un dictionnaire sur le parler de la banlieue, tel que décrit par Seguin et Teillard. Ils veulent être compris. Le détachement (se manifestant non seulement par la manière de parler, mais également par la musique écoutée, par la façon de s’habiller, etc.) ne serait donc qu’une fonction secondaire semi-intentionnée. Aujourd’hui, «l’influence culturelle la plus forte dans le milieu verlanophone» (Méla 1997: 27) est le Rap noir américain. Le groupe de rap Sniper, par exemple, s’appelait autrefois Persni, ce qui est la verlanisation de son nom actuel. L’influence linguistique vient plutôt du lexique arabe (qui est déjà très présent dans le français populaire3). En principe, le verlan emprunte des mots à différentes sources et néglige en même temps des synonymes courants. Le vocabulaire qui se prête au verlan est restreint à peu de domaines, mais dans ceux-ci, on trouve plusieurs mots en verlan pour un mot français. La drogue s’appelle chicha (= haschisch), teuch (= shit), dropou (= poudre), son instrument tarpé (= pétard; joint) et l’état d’esprit foncedé (= se défoncer; se droguer). Les champs sémantiques privilégiés sont en relation avec la société qui utilise le verlan. 2 Tahar Ben Jelloun, par exemple, voit les beurs comme les «enfants du sous-prolétariat de travailleurs immigrés et travailleurs manuels» élevés en France, et il affirme qu’on associe automatiquement au mot beur la banlieue, les problèmes d’intégration, etc. 3 On pense au bled [= maison, chez soi], au toubib [= médecin] et kiffer [= aimer], entre autres. AnMal Electrónica 26 (2009) Verlan à travers le monde ISSN 1697-4239 J. Vázquez Ríos 201 Quant à l’utilisation du verlan, il est à observer que le succès du verlan et son emploi dans des films (La Haine, uploads/Litterature/ 08-verlan.pdf
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- Publié le Jan 06, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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