1 À la lisière du bocage Histoires de luttes territoriales pour la défense des

1 À la lisière du bocage Histoires de luttes territoriales pour la défense des communaux Liières n° 1 Nulle terre sans guerre 2 À la lisière du bocage • Roman de Rou p. 5 • À la lisière du bocage p. 7 • Annexe « De la ZAD aux Communaux » version brochure, printemps 2015 3 À la lisière du bocage Si nous parvient aujourd'hui l'écho persistant des jacqueries et des communaux, des révoltes et des insurrections d’hier, c'est parce que nous habitons les lisières d’un bocage ingouvernable, celui de la ZAD de Notre-Dame-des- Landes. C’est parce que ces expériences passées entrent en résonance avec nos vies, avec nos trajectoires actuelles et que nous y puisons des pratiques et des critiques, des gestes et des imaginaires collectifs. Ces histoires nous voudrions les faire entendre, les faire vivre, les diffuser pour qu’elles infusent le mouvement et deviennent communes. Les traces que ces expériences de luttes passées laissent derrière elles - souvenirs, mythes et récits - marquent le territoire même. Habiter quelque part, c’est incorporer des bribes de mémoire collective qui vivent en nous, qui hantent nos luttes comme nos rêves. Pour nous qui habitons, défendons et cultivons en commun ce bocage, ces restes sont des indications pour naviguer dans le tumulte du mouvement de lutte contre l’aéroport et son monde. Ils sont des repères pour s’y projeter au-de là de l’urgence activiste qui cherche à nous capturer dans le présent, nous enfermer dans le court terme. À la lisière du bocage, s’expérimentent de nouvelles formes de communisation des terres. Alors que le mouvement de lutte contre l’aéroport a gagné en puissance et en intensité depuis qu’il a su défendre le bocage pendant l’opération César, se pose désormais en pratique la question d’usages communs d’un territoire qui puissent s’affranchir des logiques gestionnaires, policières et marchandes qui président à son aménagement. Raconter la genèse du bocage, parcourir les récits de luttes paysannes pour la défense des communaux, c’est glaner de quoi nourrir les perspectives communes qui s’ébauchent ici et maintenant sur la ZAD. Nulle terre sans guerre « Nulle Terre sans guerre », c’est un vieux proverbe qui nous sert de fil conducteur pour comprendre la guerre qui nous est faite partout, et de tout temps. Une guerre dont l’objet est la maitrise du territoire, et donc le contrôle des populations. Une guerre à laquelle nous prenons part, contre les pouvoirs en place, en arrachant des territoires à leur emprise pour y éprouver des formes de vie commune. Des jacqueries médiévales naquirent les Romans. Ces récits mélodiques, en vers, circulaient de bouche à oreille aussi rapidement que le son du tocsin appelait à prendre les armes. Les Romans répandaient partout l’écho des récits de toutes celles et ceux qui ne pouvaient pas écrire leur histoire dans les annales ; mais se la racontaient autour de la cheminée, se la chantaient durant le travail collectif des champs, la faisaient vivre dans le moindre de leur geste quotidien. Nulle Terre Sans Guerre a quelque chose du recueil d’histoires partisanes. Nulle Terre Sans Guerre érige le pillage en méthode d’écriture. Glaner des bribes de textes, de récits, les confronter, les mélanger. Tisser des correspondances, naviguer à la lisière entre plusieurs récits, à l’entrecroisement d’une multitude de trames narratives. Nulle Terre Sans Guerre c’est une collection de textes rangés en vrac dans une cabane en bois, quelques piles de livres éparpillés ça et là, un chaotique amas d’archives que nous agençons au gré d’un quotidien de lutte. Un livre- puzzle dont des bribes seront éparpillées au détour de lectures collectives ou d’émissions de radio, sous formes de petits livrets ou de brochures photocopillables. Des bribes qu’il faudra glaner, des fragments qu’il faudra agencer au fil de leur parution. Les éléments de Nulle Terre Sans Guerre seront dispersés en deux séries de quatre fragments : - lisières - histoires partisanes 4 5 Roman de Rou Récit de l'insurrection des paysans normands de 997 « N'avait encore guère régné Ni guère n'avait Duc été, Lorsque se leva une guerre Qui dut grand mal faire à la terre. Les vilains et les paysans, Ceux du bocage et ceux des champs, Ne sait par quel entichement, Ni qui les mut premièrement, Par vingt, par trentaine, par cent, Ont tenu plusieurs parlements Ce mot d'ordre vont conseillant S'ils le peuvent mettre en avant Et dire tout haut entre amis : "Qui est plus haut est ennemi." Privément ils en ont parlé Et plusieurs l'ont entre eux juré Que jamais ne pourront admettre D'avoir de Seigneur ni de Maitre. Avec les Seigneurs, rien de bon. Jamais ne peut avoir raison Leur Gagne pain ou leur labeur. Chaque jour passe à grand'douleur, En peine sont et en ahan, l'autre an fut mal et pis cet an. Chaque jour on leur prend leurs bêtes Pour les corvées et pour les aides; Tant il y a plaintes et querelles Et taxes vieilles et nouvelles, Ne peuvent un heure avoir paix. Chaque jour un nouveau procès : Procès pour les biefs et les forêts, Pour la mouture et les monnaies, Pour les impôts et les chemins, Et des procès pour le moulin; Procès d'hommage et de feauté, De chasse, de rixe, ou de corvées… "Allons nous par un serment, Nous et nos biens défendons Et tous ensemble nous tenons. Et si nous veulent guerroyer, Bien avons contre un chevalier Trente ou quarante paysans Maniables et combattants. Car aux seigneurs il en cuira Si vingt ou trente forts à bras Qui seuls ne s'en pourraient défendre Se réunissent pour les prendre. A coups de massues et de pieux, De flèches, de bâtons, d'épieux, Haches avons arcs et grisarmes, Et des pierres pour qui n'a pas d'armes; Grâce au nombre que nous avons, Des chevaliers nous défendrons. Ainsi pourrons aller au bois, Prendre des arbres à notre choix; Au vivier prendre les poissons; Dans les forêts la venaison. De tout ferons nos volontés, Dans les bois, les eaux, les prés." Soit par homme, soit par sergent Soit par femme, soit par enfant, Par colères ou saouleries, Assez tôt Richard fut instruit Que vilains "Communes faisaient" Et ses droits lui enlèveraient, A lui comme aux autres Seigneurs, Qui ont vilains et vavasseurs. A son oncle Raoul, Richard De cette agitation fit part. Raoul était plein de vaillance Et homme de grande expérience. "Sire, dit-il, en paix soyez, Et vos paysans me laissez. Point n'est besoin que vous bougiez, Mais que vos troupes m'envoyiez, Avec aussi vos chevaliers." Et Richard lui dit : "Volontiers". Raoul envoya ses coursiers Partout le pays épier Et tant allant Raoul épiant Et par ses espions enquêtant, Tant par malade qu'homme sain, Qu'ils put s'emparer des Vilains, Organisant les parlements Et qui collectaient des serments. Raoul s'emporta tellement Qu'il n'y eut aucun jugement; Tous les fit tristes et dolents; A plusieurs fit ôter les dents Et les autres fit empaler, Ou leur fit les yeux arracher, Couper les poings, jambes rôtir, Quand ils devraient tous en mourir. Les autres fit brûler vivants Ou jeter dans le plomb bouillant. Les fit ainsi tous arranger Horribles furent à regarder. Ne furent depuis en lieu vus Qu'ils n'y fussent bien reconnus. La Commune n'alla pas plus loin Et se tinrent cois les vilains. » - Adaptation par Pierre Daix 6 Carte de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes et de ses alentours en 1789. On y distingue Chanais, l’Epine, le Moulin de Rohanne, la Boissière et le Chêne de Pérrières, perdus au milieu d’une vaste étendue de landes. Le bocage est une mosaïque de prairies, de champs enclos séparés par des haies et des talus. Le bocage n’est pas une image de carte postale capturée par l’objectif du touriste urbain. Il n’est pas un paysage naturel mais une configuration de l’espace physique issue d’un rapport de force territorial. Raconter le bocage, sa construction puis sa destruction, signifie pour nous raconter la matérialisation dans le territoire de l’hégémonie d’un certain ordre politique. Raconter le bocage signifie donc rompre à la fois avec l’idée d’écologie et avec l’idée de nature. « Dans la campagne comme en ville, mais invisiblement cette fois, l’homme est partout présent ; elle est son oeuvre autant qu’un fruit de la nature. Le rébus où s’unissent les ruisseaux, les chemins, les champs et les clôtures forme un tout si cohérent que le citadin le prend pour un donné originel alors qu’il est le produit d’une longue conquête poursuivie tant bien que mal à travers les siècles. Dans nos campagnes il n’y a pas de forêts vierges, mais des garennes (...) Si la futaie monte si haut, c’est au travail de la hache et aux règlements de Colbert qu’elle le doit. Et si à la lisière des troncs jaillissent de l’herbe rase, c’est parce qu’une faux obstinée tranche les broussailles et coupe les foins (...) Qui considère la campagne dans nos pays d’Europe ne voit ni l’homme, ni la nature mais leur alliance. » - Le jardin de Babylone, Bernard Charbonneau C’est la paysannerie comme forme de vie collective qui uploads/Litterature/ a-la-lisiere-du-bocage.pdf

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