V. 2 - N. 4 - 2012 Analyse littéraire et exégèse biblique Camille Focant* Resum
V. 2 - N. 4 - 2012 Analyse littéraire et exégèse biblique Camille Focant* Resumé Le présent travail exposé a débuté par une introduction théorique ; elle a mis en relief les relations difficiles entre histoire et fiction dans l’exégèse biblique au fil des siècles ainsi que le parallélisme constant entre les métho- des de l’analyse littéraire et celles qu’utilisent les interprètes de la Bible. J’ai ensuite situé ma démarche d’interprétation aujourd’hui dans le cadre de la narratologie, afin de souligner la contribution de l’apport de l’analyse littéraire pour une compréhension en profondeur de l’intention du texte. Mots-clés: Analyse Littéraire, Exégèse Biblique, Narratologie, Histoire et Fiction. * Professeur émérite d’exégèse du Nouveau Testament de l’Université catholique de Louvain. Licencié en philologie biblique (UCL,1973). Docteur en théologie (UCL,1975). Doyen honoraire de la Faculté de théologie.Vice-recteur honoraire du secteur des sciences humaines. Directeur de la Revue théologique de Louvain. Membre de l’Académie Royale de Belgique (Classe des Lettres et des Sciences morales et politiques). Domaines de recherche: Évangile de Marc. Étude rédactionnelle et analyse narrative; Lettres de Saint Paul (en particulier Philippiens). Analyse rhétorique et théologique. Appartenance à des associations scientifiques : Association Catholique Française pour l’Étude de la Bible (1986) ; Association Européenne de Théologie Catholique (1991) ; Colloqium Biblicum Lovaniense (1992) ; Studiorum Novi Testamenti Societas (1993) ; Society of Biblical Literature (2011-). Comités d’éditions scientifiques: Revue théologique de Louvain (1995) ; Commentaire biblique: le Nouveau Testament (Paris, Cerf) (1997) ; New Testament Studies (Editorial Board) (2001-2003) ; Théologiques (Montréal) (2007) ; Le Nouveau Testament commenté (2009- 2012). Bibliographie significative: Marc, un évangile étonnant. Recueil d’essais (BETL, 194), Leuven, Peeters – University Press, 2006, XIV-402 p.; L’évangile selon Marc (Commentaire biblique: Nouveau Testament, 2), Paris, Cerf, 2004, 662 p.; Une christologie de type “mystique” (Mc 1.1-16.8), in New Testament Studies 55 (2009) 1-21; Eschatologie et questionnement éthique dans l’évangile de Matthieu, in Revue théologique de Louvain 39 (2008) 519-545; (ed.), The Synoptic Gospels. Source Criticism and the New Literary Criticism (BETL, 110), Leuven, Peeters – University Press, 1993, XXXIX-670 p. Arquivo recebido em 1 de outubro de 2012 e aprovado em 29 de novembro de 2012 DOI - 10.19143/2236-9937.2012v2n4p29-53 — 30 — Teoliterária V. 2 - N. 4 - 2012 Resumo O presente trabalho começa por uma introdução teórica destacando as difíceis relações entre história e ficção na exegese bíblica ao longo dos séculos, assim como o paralelismo constante entre os métodos de análise literária e os que utilizam os intérpretes da Bíblia. Em seguida, situo o atual procedimento de interpretação no contexto da narratologia a fim de evidenciar a contribuição da análise literária para uma compreensão profunda da intenção do texto. Palavras-chave: Análise Literária, Exegese Bíblica, Narratologia, História e Ficção. En un certain sens, la sainte Écriture grandit avec ceux qui la lisent. (Grégoire le Grand, Moralia in Job, XX, 1) Quidquid recipitur ad modum recipientis recipitur. (adage scolastique) L a Bible fait partie du patrimoine littéraire de l’humanité. Il n’est donc pas étonnant qu’elle soit étudiée comme littérature, avec les métho- des utilisées à chaque époque dans l’analyse littéraire. Cet exposé comportera trois parties. Dans la première, je voudrais rappeler quelques étapes importantes des relations difficiles entre histoire et fiction dans l’approche de la Bible du 19e siècle à nos jours. Cela me permettra de situer ma démarche actuelle. Dans les deux autres parties, je donnerai quelques exemples de ce que peut apporter la lecture de l’évangile de Marc comme une œuvre littéraire. Il s’agira d’éclairages variés sur la Passion de Jésus, d’abord à travers deux récits de rencontre (deuxième partie), puis à travers une analyse du code architectural dans l’évangile de Marc (troisième partie). I. Les rapports difficiles entre histoire et fiction en exégèse biblique L’interprétation des textes bibliques s’est toujours faite en parallèle avec les méthodes d’analyse littéraire en cours dans la culture ambiante. Son histoire témoigne de la relation difficile à bien établir entre histoire et fiction. Ainsi, par exemple, la méthode allégorique mise en œuvre par Origène — 31 — Teoliterária V. 2 - N. 4 - 2012 et qui a eu tellement de succès dans l’histoire chrétienne n’est pas née sui generis. Défendre avec vigueur le caractère divin des Écritures inspi- rées par l’Esprit Saint1 n’empêche pas Origène d’y découvrir des pierres d’achoppement, des éléments qui offensent la raison2. Comment faire lorsque l’on se trouve confronté à ce qui n’est pas eulogon (« de bon sens », « raisonnable ») ? Pour résoudre cette difficulté, Origène va re- courir aux moyens offerts par sa culture. À son époque, les œuvres d’Ho- mère étaient, elles aussi, considérées comme inspirées par les Grecs3. Cela ne les empêchait pas de s’étonner de la façon dont il présentait les dieux et leur moralité douteuse ou de questionner les connaissances historiques, géographiques et scientifiques d’Homère. Face aux adunata relevés dans ses œuvres, dans le but de concilier les mythes avec la phi- losophie, une des stratégies d’interprétation était de distinguer la vérité historique de la fiction poétique. Origène va procéder de façon parallèle en distinguant le sens littéral, obvie (historique) qu’il faut dépasser pour atteindre le sens caché, symbolique4. L’exégèse allégorique qui va mar- quer durablement l’interprétation de la Bible s’enracine donc dans une théorie grecque de la lecture5. Même si elle fera débat tout au long de l’histoire chrétienne, cette exé- gèse allégorique ne verra vraiment la révolte sonner contre elle qu’avec l’avènement de l’exégèse historico-critique au 19e siècle, et en particulier 1. Origène, De Principiis, IV,1. 2. Origène, De Principiis, IV,2,8-9. 3. Voir Héraclite le Stoïque , Quaestiones Homericae, 53,2 ; 76,1. André Paul, « Inspiration biblique », dans Encycopaedia Universalis, t. 8, 1972, 1058-1060 (1058) rappelle à juste titre l’invocation au début de l’Odyssée : « Muse, dis-moi…, déesse née de Zeus, conte ces aventures… ». Il cite aussi Platon (Ion), pour qui les bons poètes ne le sont pas par un effet de l’art, mais « parce qu’un Dieu est en eux et qu’il les possède (entheoi ontes kai katechomenoi) ». 4. Pour plus de détails sur tout ceci, on consultera avec profit la première partie de l’article de Jean-Louis Ska, « Les récits bibliques en quête de lecteurs au cours des âges » (Actes du colloque du RRENAB à Louvain-la-Neuve, 24-26 mai 2012, à paraître). 5. De ce point de vue, Folker Siegert, « Early Jewish Interpretation in a Hellenistic Style », dans Magne Sæbø, Hebrew Bible, Old Testament : the History of its Interpretation. 1, From the Beginnings to the Middle Ages (until 1300), Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1996, t. 1 (Antiquity), 130-198 (141), a raison d’écrire: « There is no hermeneutics which could be considered specifically or exclusively biblical ». — 32 — Teoliterária V. 2 - N. 4 - 2012 les travaux emblématiques d’Anton Jülicher sur les paraboles6. Si avec l’exégèse historico-critique, on assiste au retour en force de la recherche du sens littéral, force est bien vite de reconnaître la maigreur des ré- sultats obtenus et un degré d’incertitude relativement élevé7. C’est dans ce contexte qu’intervient Rudolf Bultmann. Lui qui a mené avec grande rigueur critique et beaucoup de sévérité le travail d’historien8, ne peut pas s’en satisfaire sur le plan herméneutique. Après le décapage historique, il ne reste en effet plus grand-chose de certain. Pour la dynamique de la foi, Bultmann va s’appuyer sur une analyse existentiale inspirée de Heidegger. Et toujours pour servir une herméneutique existentiale, il va procéder à ce qu’il appelle une démythologisation, c’est-à-dire l’aban- don de la représentation mythologique de l’univers au sein de laquelle la Bonne nouvelle s’est exprimée, une représentation cosmologique de type préscientifique, incroyable pour l’homme moderne. Cette démytho- logisation « est mue par la volonté de comprendre mieux le texte, c’est- à-dire de réaliser l’intention du texte »9. Ce que Paul Ricœur développera en disant que le mythe donne à penser. La visée profonde du mythe est d’exprimer, certes en termes d’outre-monde, une compréhension que l’homme acquiert de lui-même en rapport au fondement de son exis- tence. Pour sauvegarder cette compréhension, il convient d’interpréter les représentations objectivantes du mythe pour restituer « le sens que l’homme peut prendre de sa dépendance à l’égard de cela qui se tient à 6. Adolf Jülicher, Die Gleichnisreden Jesu, Freiburg im Breisgau, Mohr, 1899 (Darmstadt, Wissenschaftliche Buchgesellschaft, 1969). 7. Cela a été mis en lumière dans le célèbre ouvrage d’Albert Schweitzer, Von Reimarus zu Wrede. Eine Geschichte der Leben-Jesu-Forschung, Tübingen, Mohr Siebeck, 1906. 8. Voir surtout son maître ouvrage : Die Geschichte der synoptischen Tradition (Forschungen zur Religion und Literatur des Alten und Neuen Testaments 12), Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1921. 9. Paul Ricœur, Préface, dans Rudolf Bultmann, Jésus. Mythologie et démythologisation, Paris, Seuil, 1958 (original allemand, 1926), 9-28 (17), qui précise ce qui est en jeu : « briser le faux scandale, constitué par l’absurdité de la représentation mythologique du monde pour un homme moderne, et faire apparaître le vrai scandale, la folie de Dieu en Jésus-Christ, qui est scandale pour tous les hommes dans tous les temps ». — 33 — Teoliterária uploads/Litterature/ analyse-litte-raire-et-exe-ge-se-2012-25p-focant.pdf
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- Publié le Jui 09, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
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