JEAN ANOUILH (1910-1967) Le théâtre français du XXe siècle frappe par son aspec

JEAN ANOUILH (1910-1967) Le théâtre français du XXe siècle frappe par son aspect hétéroclite, tradition et expériences diverses se partagent la scène. Dans le cadre de toute cette diversité, trois directions plus importantes s'imposent à l'observation: le théâtre de tradition, le théâtre existentialiste et le théâtre de l'absurde. À côté de maintes expériences visant à renouveler les structures dramatiques, le théâtre de tradition connaît un succès que rien ne vient altérer. Il accorde la primauté au texte (et non pas à l'image dramatique comme le fera le théâtre moderne), construit des personnages cohérents dont l'évolution obéit aux lois de la causalité et s'adresse à l'intelligence surtout (par opposition au théâtre moderne qui s'adresse surtout aux sens, au subconscient, à l'intuition). Des auteurs comme Jean Giraudoux, Jean Cocteau, Jean Anouilh donnent un lustre particulier à ce théâtre traditionnel qu'ils imprègnent cependant de l'inquiétude moderne. Le premier contact avec le théâtre de Jean Giraudoux a été révélateur pour la vocation du jeune Anouilh. Au fait, une profonde affinité de conception et de sensibilité liait les deux écrivains: Anouilh allait continuer la quête de la pureté entreprise par Giraudoux. Plus pessimiste, plus radical dans ses exigences, plus allergique à tout compromis avec la médiocrité, Anouilh situera souvent cette quête au niveau d'une âpre critique de la société de son temps. Selon le registre dans lequel s'inscrivait sa protestation contre les diverses formes d'avilissement portant atteinte à la dignité et à la pureté humaines, Anouilh avait qualifié ses pièces comme roses (fantaisie), noires (pessimisme moral), brillantes ou grinçantes. De son oeuvre on peut citer: L’Hermine – romantisme, Le Voyageur sans bagage – réalisme inquiétant, La Sauvage, Antigone –réalisme mythique, L'Alouette, Pauvre Bitos ou le dîner de têtes, Becket ou l'honneur de Dieu, Cher Antoine ou l'Amour raté. Anouilh connait son premier grand succès avec Le Voyageur sans bagage. Pièce „rose” par son dénouement, la pièce exprime le drame d'un amnésique qui, après dix-sept ans d'oubli (durée qui équivaut à l'âge de l'adolescence et pendant laquelle il fait l'apprentissage de la pureté) redécouvre la famille bourgeoise qui avait été la sienne, son univers mesquin et avilissant, et se découvre lui-même, tel qu'il avait été, médiocre et corrompu. Désespéré, il refuse de se réintégrer dans cet univers et, par chance, réussit à se forger une nouvelle identité. Une autre hypostase de l'adolescence qui, au nom de la pureté, se refuse à l'intégration dans la vie sociale est envisagée dans La Sauvage et surtout, d'une façon radicale, dans la version donnée par Anouilh au destin tragique d'Antigone. Dans cette version, Antigone refuse la planche de salut offerte par Créon parce qu'elle préfère mourir à l'âge de la pureté plutôt que de vivre dans la médiocrité et accepter les compromis auxquels l'existence sociale allait fatalement la contraindre. La noire solitude de sa mort, malgré la présence du garde qui l'accompagne, explique et justifie mieux cette décision: assoiffée de tendresse et de compréhension, elle essaye de découvrir chez le garde un peu de chaleur humaine. Mais, avec une cruauté involontaire, insensible au fait que la jeune fille allait mourir, il l'entretient sur ses préoccupations mes- quines, liées à son métier, à sa possible promotion. La tonalité de désespoir de cette fin tragique trahit le pessimisme dominant d'Anouilh. Antigone a été représentée pour la première fois à Paris en 1944, c’est-à- dire durant l’occupation allemande. Le personnage d’Antigone symbolise la résistance en luttant contre les lois de Créon, qui représente le pouvoir. Cependant, malgré son destin tragique, la figure héroïque de Jeanne d'Arc, évoquée dans L'Alouette, constitue, au contraire, une source tonifiante d'espoir. Les victoires de l'héroïne, soutenue par l'enthousiasme des troupes, représentent autant de victoires de la pureté face à la bassesse des intrigues politiques et à la mesquinerie des intérêts qui décident des événements historiques. La pièce a pour point de départ le moment Jeanne d`Arc, l'un des plus lumineux de l'histoire de France. La démarche essentielle du dramaturge a été celle de démythiser son personnage en le rapprochant de l'humanité réelle. La pièce est construite sur un procédé très proche de ce qu'on appelle "le théâtre dans 1 le théâtre". On est au moment du procès de Jeanne où ses ennemis sont à la recherche de preuves qui puissent constituer autant d'actes d'accusation. Pour cela, on procède, tour à tour, à la reconstitution des principaux moments de la vie de l'héroïne: du moment de l'apparition de l'Archange pendant qu'elle gardait les moutons dans sa Lorraine natale, en passant par la rencontre du futur roi Charles (moment-clé de la vie du personnage), le siège et la prise d'Orléans, jusqu'à sa prise à Compiègne. Pendant sa rencontre avec le prince Charles à Chinon, Jeanne, sur les épaules de laquelle pèsent la grâce divine et le devoir de sauver la France, fait preuve d'une forte personnalité. Elle réussit à rendre au futur roi la force de caractère d'un vrai commandant. Et cela rien que par le jeu. Par le charme du comportement enfantin, cette petite paysanne sauvage, têtue et débrouillarde y perd de son mystère mythique, mais sa personnalité apparaît d'autant plus complexe qu'elle s'avère appartenir simultanément à deux registres d'existence: mythique et humain. Warwick remplit un rôle important dans l'économie de la pièce: il représente le point de vue contraire à celui accrédité par le mythe et pour cela il est l'un des instruments de l'auteur pour la démythification de son héroïne. Il est ainsi une sorte de raisonneur en variante cynique du dramaturge. Warwick, s'avère être un bon analyste politique et social de la situation. Il montre que la victoire française est due à la „petite alouette chantant dans le ciel de France” et c’est toujours lui qui nous fait voir une double France, celle représentée d'une part par l'alouette chantant immobile dans le soleil et en train de se faire tirer dessus” et d'autre part la France faite "d'imbéciles, d'incapables et de crapules". Ainsi, Jean Anouilh réussit à nous restituer à travers son personnage la partie d'humanité qui avait été submergée par les stéréotypies du mythe. La fin de la pièce, à son tour, ne concorde pas avec la vraie fin de Jeanne, sa mort sur le bûcher. La pièce finit sur l'apothéose de l'héroïsme comme si l'auteur, après avoir déconstruit le mythe, voudrait le ressusciter. Malgré la générosité de son message, la dramaturgie d'Anouilh présente un cas assez surprenant de survivance. Jusqu'à la moitié du siècle la dramaturgie d'Anouilh, représentative pour le théâtre poétique qui avait dominé la scène de „entre-deux-guerres”, y avait occupé une place de choix, le fait qu'il a continué à écrire et à faire jouer son théâtre poétique pendant plus d'un quart de siècle après les années '50 peut sembler assez surprenant. Le refuge d’ Anouilh dans la tradition s'explique par son opinion que la société de consommation instaurée après la Deuxième Guerre mondiale aliène et déshumanise, c'est-à-dire avilit l'intégrité et la pureté qu'il s'était proposé de défendre. Si son théâtre a bien résisté à la concurrence de la dramaturgie nouvelle ce fut, en une certaine mesure, grâce à sa profonde connaissance du métier et à son ouverture face aux solutions scéniques nouvelles. Il utilise avec maîtrise, dans L'Alouette, la technique brechtienne de la „distanciation”; il réussit à réaliser des moments de „participation", selon les exigences d'un théâtre -événement (perspective Artaud) ; il réalise, dans La Valse des toréadors un déclenchement de haine absurde et dérisoire qui rappelle certaines farces tragiques de facture surréaliste ou certaines pièces de Ionesco. D'autre part, le caractère généreux du message d'Anouilh (lié au thème éternel de la pureté et actualisé par la critique des réalités contemporaines) peut justifier, lui aussi, la survivance de son théâtre. Mais c'est surtout grâce aux accents de sincérité et à la chaleur humaine qui se dégagent de sa façon de traiter cette thématique que le nom de l'auteur de L'Alouette restera lié à un moment de qualité de l'histoire du théâtre français contemporain. 2 uploads/Litterature/ anouilh-tub-89.pdf

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