Apollinaire entre deux mondes C’est, me semble-t-il, à la porte du nouveau sièc
Apollinaire entre deux mondes C’est, me semble-t-il, à la porte du nouveau siècle qu’Apollinaire frappe « en pleurant » : c’est avec des motifs élégiaques et sur des airs anciens qu’il fait dans les excitantes nouveautés de la « Belle époque » son entrée… Pierre Brunel a fort justement intitulé Apollinaire entre deux mondes[1] la précieuse étude « mythocritique » qu’il consacre à ce poète. C’est en effet entre XIXe et XXe, entre l’Ancien et le Nouveau, comme entre « Ordre » et « Aventure », en avant et retournement, intimité et universalité, mythologie antique ou médiévale et modernité que le poète pose sa voix lyrique propre. Cet entre-deux constitue le poème en espace dialogique, expressif, conflictuel… où s’éprouvent les divers degrés de la familiarité et de l’incongruité, de la banalité et de l’érudition, comme s’il ne s’agissait plus vraiment d’opposer (ainsi que s’y employait encore Rimbaud) le noble et le vulgaire, mais de les rapprocher d’aussi près que possible. Ce qui revient à inclure à part entière dans le lyrisme ses chutes mêmes, comme à envisager une présence moins mordante et plus ludique de l’Ironie à ses côtés… Avec Apollinaire et quelques autres de son temps, une nouvelle plasticité du poème se fait jour. Plasticité que l’on pourrait dire temporelle et spatiale autant que formelle, puisque son œuvre sollicite à la fois une multiplicité de formes classiques ou novatrices, une multiplicité d’époques et une multiplicité de lieux. On pourrait même la dire menacée d’émiettement si la Voix lyrique n’assurait le liant, la continuité entre ces éléments hétérogènes… Que dire de Guillaume ? Une vie brève : Naît en 1880, meurt en 1918, à 38 ans, dans l’épidémie de grippe espagnole qui ravage Paris. Après avoir été soldat dans l’artillerie à la Grande guerre, blessé à la tête et trépané en 1916. N’est pourtant pas de la famille des « maudits ». Figure plus légère, plus « artiste » que celle des grands auteurs de la fin du XIXe. N’attache pas à la poésie une valeur suprême. Même s’il s’inscrit volontiers dans la filiation orphique et apollinienne. Pas un météore comme Rimbaud, mais un poète charnière ayant vécu 20 ans dans le XIXe et 18 dans le XXe… Un lyrique Pour André Breton, « Guillaume Apollinaire est le lyrisme personnellement ». Lyrisme dans les deux sens : expression personnelle et exaltation : il y a dans l’œuvre poétique de Guillaume Apollinaire à la fois une importante part d’expression subjective, personnelle, mélancolique et sentimentale et une insistance présence des motifs de l’envol (Christ aviateur, oiseaux…) et de l’inflammation enthousiaste (image prépondérante de l’ivresse suggérée dès le titre). A cela s’adjoignent d’autres importantes composantes de la donnée lyrique, tels que la musique (chansons, romances…), la flânerie (les poèmes composés en marchant), les motifs aquatiques… Ces éléments qui entrent dans la composition de la poétique apollinarienne sont également des données de sa personnalité, de sa vie affective. Un étranger Guillaume Albert Wladimir Alexandre Apollinaire de Kostrowitzky est le fils naturel d’une jeune camériste polonaise de 22 ans. Son père Francesco Flugi d’Aspremont, ancien officier de l’armée royale des deux Siciles, bel officier séducteur qui ne le reconnaît pas et se sépare de sa maîtresse en 1885. Apollinaire naît à Rome, passe son enfance à Monaco et à Cannes, fait sa rhétorique au lycée de Nice, puis s’installe avec sa mère et son plus jeune frère à Paris en avril 1889. Sa mère mène une vie décousue et bohème prétendument aristocratique. Elle change souvent de meublés. Il lui arrive aussi de changer de nom. Au sens baudelairien, Guillaume est un étranger : l’amoureux des « nuages qui passent »… Sujet en fuite, sans racines - Cosmopolitisme : sujet d’aucune province, proche des émigrants - Culture de bric et de broc conjuguée à d'assez solides bases classiques. - Goût également pour le moyen âge : il fréquente la bibliothèque Mazarinepour y consulter des textes médiévaux. Va revendiquer, avec une certaine complaisance, son statut d’émigrant et d’apatride, de bâtard et de métèque, dans une époque où commencent à se développer les « campagnes nationalistes, xénophobes, antisémites[2]. » Son oeuvre pose radicalement la question de l'identité lyrique. Un fabulateur Apollinaire entretient volontiers le mystère sur ses origines. Il encourage les rumeurs sur son ascendance (fils de prélat…) « Les nouvelles, c’est-à-dire les contes, sont ma chose » (Lettre à Tzara) : goût pour l’imaginaire, la fabulation, le merveilleux. Son enfance a été nourrie par les contes de fée et les romans de chevalerie. Perrault fut sa première lecture principale. Jeu entre le vrai et le faux, la vérité et le mensonge (motif du « faux amour » et des « fausses femmes » dans « La chanson du mal aimé » Cf l'histoire peu claire du vol des statuettes au Louvre... Un certain goût pour l’obscur, le rare, le précieux, le déroutant. Un sujet fantasque et complexe - Goût pour l’épice du bizarre et du déconcertant, les mots rares qu’il relève parfois par listes dans le dictionnaire - Sensibilité et brusquerie. Fantasque, facilement furieux. - Un côté érotomane et « mal aimé ». Goût marqué pour la sensualité, la vie charnelle. L’écriture érotique, le libertinage volontiers farceur, le retiennent : « Dame de mes pensées au cul de perle fine ». Est parfois passé pour un pornographe aux yeux de ses contemporains (entre sa 20e et sa 30e année, il publie sous le manteau des romans érotiques « Mirely ou le Petit Trou pas cher », « Les Onze mille verges », « Les Mémoires d’un jeune Dom Juan »). - Goût pour les bouges, les bars, les univers glauques et cosmopolites où se mélangent maquereaux, bohémiennes et prostituées : « J’aimais les femmes atroces dans les quartiers énormes »… On en revient ainsi au cosmopolitisme du début. La boucle du portrait est bouclée… Physionomie de L’œuvre Alcools n’est qu’un morceau d’une œuvre très abondante avec contes, récits, textes érotiques, textes dramatiques, chroniques… Grosse activité littéraire. Apollinaire publie dans les revues de l’époque telles que « Le Festin d’Esope » qu’il a lui-même fondée en 1903, « La revue blanche », « Le Mercure de France », « La Plume »... Dès 1900 (à 20 ans), il propose une pièce à un directeur de théâtre. Puis en 1901, il compose un roman « La Gloire de l’Olive », qu’il égare dans un train entre le Vésinet et Paris. Il est l’ami des peintres et des écrivains de l’époque. Sa première œuvre connue est « L’Enchanteur pourrissant » qu’il publie en volume en 1908, accompagnée de gravures de Derain. Deux pôles principaux : Alcools 1898-1913 : le pôle « ancien » ? Calligrammes 1913-1918 : le pôle plus « moderne », avec ses calligrammes d’abord appelés « idéogrammes lyriques » par leur auteur. Mais dans le premier volume prédomine la voix, dans le second un lyrisme visuel. Entre les deux vient s'inscrire la célèbre conférence de novembre 1917 sur « L’esprit nouveau et les poètes » Alcools Alcools est paru au Mercure de France en avril 1913. Tiré à environ 600 exemplaires dont 350 seront vendus la première année, ce qui n’est pas négligeable. La composition Les dates en sont données par le sous-titre 1898-1913 (quinze années). Né en 1880, Apollinaire a 18 ans en 1898. En 1913, à 33 ans, il est un des principaux représentants de l’avant-garde Cette période de composition va de la fin du symbolisme à l'affirmation de « L’esprit nouveau » et à la veille de la Première guerre mondiale. Pendant ces quinze années, Apollinaire a ébauché plus de 250 poèmes b) Les séries, les séquences chronologique ("Merlin", "Le Larron", "L’ermite", "L’adieu"...) 1901-1903 : L a féconde période des Rhénanes (près de la moitié des poèmes d’Alcools sont composés en 1901-1902) et de l’amour pour Annie Playden : "Les colchiques", La synagogue, "Rhénanes d’automne", "Les femmes", "Le vent nocturne", "Les sapins", "Clair de lune". 1902 : suite des Rhénanes : "Nuits rhénanes", "Mai", "les cloches", "la Lorelei", "la tzigane", les deux premières strophes de "Fiançailles" Apollinaire est alors précepteur en Rhénanie chez une riche allemande, la vicomtesse de Milhau. 1903-1906 : intermède parisien : temps de publications en revues, de fréquentation des milieux littéraires et artistes 1903 : "La Chanson du Mal aimé" : en 1903 Apollinaire compose une grande partie de ce poème achevé en 1904. C’est un poème de fin d’amour. « Chacun de mes poèmes est un événement de ma vie, le plus souvent tristesse ». 1907-1912 : Le temps de Montmartre et de Marie Laurencin (rencontrée en mai 1907) : "Lul de Faltenein", "Le brasier", la fin de « Fiançailles », "Poème lu au mariage d’André Salmon", "Vendémiaire"... Se rapproche notamment en 1908 de Jules Romains et des unanimistes. Puis en 1909 de Gide et de la NRF L’organisation interne Lorsqu’il composera son recueil, en 1911 & 1912, Apollinaire ne s’attache pas à suivre un ordre chronologique. S’il conserve parfois des suites, il se plaît également à brouiller les cartes, notamment en plaçant « Zone uploads/Litterature/ apollinaire-entre-deux-mondes-les-alcools.pdf
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