Architecture domestique et « vie privée » des élites de l’Afrique romaine L’app

Architecture domestique et « vie privée » des élites de l’Afrique romaine L’apport des travaux d’Y. Thébert et l’historiographie récente (1985-2003) Jean-Pierre Guilhembet et En relisant « L’architecture domestique en Afrique romaine » Roger Hanoune Facteur de renouveau historiographique, la contribution d’Yvon Thébert à l’Histoire de la vie privée, dirigée par Philippe Ariès, Georges Duby et Paul Veyne (1985), a proposé de l’architecture domestique des élites une analyse, motivée par les vestiges archéologiques de l’Afrique du nord et nourrie d’une réflexion théorique et globale sur les sociétés de la Méditerranée antique, dont sont dégagés ici les fondements méthodologiques et les thèses essentielles. La contribution d’Yvon Thébert au premier tome, dirigé par Paul Veyne, de l’Histoire de la vie privée patronnée par Philippe Ariès et Georges Duby, est un mémoire d’une centaine de pages de texte, doté d’un très important apparat graphique ou photographique. Il a été rédigé et mis au point en et publié au dernier trimestre de . Intitulé « Vie privée et architecture domestique. Le cadre de vie des élites africaines », il comporte trois subdivisions, respectivement consacrées à la nature de Jean-Pierre Guilhembet est maître de conférences à l’École normale supérieure - Lettres et Sciences Humaines de Lyon. Roger Hanoune est maître de conférences à l’université Charles De Gaulle-Lille (UMR HALMA ). . Le texte de cet article reprend pour l’essentiel celui de l’intervention prononcée le mercredi juin , lors de la journée d’étude en hommage à Yvon Thébert, tenue à l’Université Paris VII. Nous avions alors convenu avec R. Hanoune qu’il se chargeait des aspects spécifiquement archéologiques. Nous n’avons pas pris en compte F. Ghedini et al. (, avec d’innombrables références à « l’essai stimulant » d’Y. Thébert, « référence incontournable », et une préface de P . Gros qui met en perspective l’historiographie récente) et Hales (: , « c'est grâce au travail de Thébert sur les maisons d'Afrique du nord qu'on est le mieux à même de comprendre la maison romaine comme phénomène impérial plutôt qu'italien »), parus ultérieurement. . Y. Thébert (). Réédition du volume en format de poche, dans la collection Points Seuil, en , avec une illustration succincte. A f r i q u e & h i s t o i r e , 2 0 0 5 , n ° 3 Jean-Pierre Guilhembet & Roger Hanoune 72 D o s s i e r l’architecture domestique des classes dirigeantes africaines, aux composantes de la maison des notables africains, et au fonctionnement de la domus. Le chapeau de présentation rédigé par Paul Veyne, fort laudatif, donne le ton d’emblée: « Il nous semble que cette étude est très neuve ». Manifestement, l’auteur du Pain et du cirque a été intéressé par une approche centrée sur les fonctions, l’art et la vie de la maison – et non pas principalement sur sa matérialité. Il précise d’ailleurs, dans un entretien paru à la fin de l’année : « Un archéologue comme Yvon Thébert […] a bien compris que l’important n’était pas dans la place des murs, mais dans la façon dont [la] maison était vue, comment on y circulait, comment le Romain y vivait». Le susnommé aurait très certainement récusé le terme « archéologue » comme définition absolue et exclusive de son identité – et ce d’autant plus que la phrase exprime bien, dans ses sous- entendus, les rapports subtils et délicats de P . Veyne et de l’archéologie. Il aurait à coup sûr souhaité préciser qu’il n’avait jamais rencontré « le Romain », mais qu’importe… À la vérité, ce qui avait incité P . Veyne à confier cette section à cet « archéologue », c’était la lecture de l’article sur la romanisation et la déromanisation de l’Afrique, paru quelques années plus tôt dans les Annales, dont on retrouve, en filigrane, dans l’Histoire de la vie privée, la solide réflexion, théorisée et ainsi explicitée au préalable, sur la position des élites africaines au sein de l’Empire. La seconde caractéristique de l’étude – à savoir une sensibilité spécifique, voire exacerbée, à la circulation à l’intérieur de l’espace domestique, et pas seulement aux cohérences et échos du décor ou aux perspectives visuelles, plus classiquement étudiées – procède, elle, de l’expérience du spécialiste de l’architecture thermale, second champ de recherches de prédilection de l’auteur, dont la réflexion sur les maisons de prestige de l’Afrique romaine a marqué une étape. Une contribution à replacer dans les prémices du renouveau des recherches historiques sur la maison romaine Mesurer l’importance de cette contribution oblige à la replacer, au moins en quelques paragraphes, dans le contexte des travaux sur les résidences urbaines antiques produits au début des années . Comme le souligne Simon Ellis dans la préface de son livre de , si en , il y avait très peu de savants travaillant sur la maison ou des thèmes d’histoire sociale connexes, « à la fin des années quatre-vingt, étaient parus des articles d’Andrew Wallace-Hadrill, d’Yvonne [sic] Thébert et de [lui]-même ». Malgré cette fâcheuse féminisation du prénom, le diagnostic historiographique est assez juste. . P . Veyne (éd.) (: ). . P . Veyne (: ). . Y. Thébert (). Sur cet article, voir les analyses développées ici même par A.E. Veïsse et M. Sebaï. . S. Ellis (: VII). Voir trois bilans historiographiques successifs et complémentaires: R. Hanoune (), J-P . Guilhembet () et P . Allison (). Ce sont surtout les publications archéologiques qui dominent alors; les synthèses ne sont pas légion, la dernière en date, celle de Mac Kay, en , n’a vraiment satisfait personne. Les études d’architecture domestique restent principalement centrées sur Pompéi et les villes campaniennes, les efforts demeurent tournés vers l’élaboration de typologies. On insiste beaucoup, au sein de ces dernières, sur les domus à double atrium de Pompéi et l’on y voit volontiers, et avec insistance, le signe d’une bipartition de l’espace domestique en deux zones, publique et privée. On vient enfin d’introduire, dans le panorama sociologique des résidences, des considérations intéressantes sur les maisons « atypiques », c’est-à-dire en fait sur les logements des couches moyennes et populaires, auxquelles les fouilleurs consacrent désormais plus d’attention, un peu partout dans l’Empire romain. Les travaux essentiels qui, dans la seconde moitié des années , relancent et renouvellent l’intérêt de l’analyse historique de l’architecture domestique, sont ceux d’Yvon et d’A. Wallace-Hadrill, singulièrement le gros article de ce dernier sur « la structure sociale de la maison romaine », suivi d’analyses thématiques, fondées sur l’exploitation d’un échantillon de maisons pompéiennes. On relèvera d’emblée que ces deux études sont clairement focalisées sur les « riches demeures urbaines »: il me semble que l’on observe là une tendance dominante des années /, avec un retour, au centre des recherches, de la « maison noble », qu’elle soit à atrium ou non. La concomitance des deux publications – ou plutôt sans doute la quasi simultanéité des deux rédactions , car il faudrait sinon supposer que les Anglo-Saxons découvrent A History of Private Life en seulement – est manifeste. Si l’on tente d’en composer un diptyque, que retenir de la confrontation? En première approche, la démarche de l’historien britannique semble similaire à celle du chercheur français: partant des relations entre maison et statut, il propose des pistes d’interprétation des maisons romaines, en s’appuyant sur un carré sémiotique simple, construit selon deux axes de différenciation, une fois rejetées les différenciations de « genre » (homme/femme) et d’âge (jeunes/vieux), à savoir les axes public/privé, puissant/humble. Il décortique lui aussi le langage du public et du privé, avant de proposer des réflexions sur l’articulation de la maison. Si le cheminement est parfois dissemblable, comme nous aurons l’occasion de l’observer, aucune divergence sensible n’est à relever et les conclusions communes sont multiples et substantielles, notamment les quatre suivantes: – le refus d’accepter une conception bipartite ou bipolaire de l’espace domestique en partie privée et partie publique, . A.G. Mac Kay (). . Voir le bilan minutieux dressé en par R. Hanoune ( : -). . A. Wallace-Hadrill (). . Y. Thébert (: ). . A. Wallace-Hadrill (: n. ) le signale en note. . « An excellent discussion of the North Africa material that reaches similar conclusions to the present study » précise A. Wallace-Hadrill (: n. ), ce que confirment de nombreux renvois introduits dans les notes de la version publiée en de l’article de . 73 Architecture domestique et « vie privée » des élites de l’Afrique romaine Jean-Pierre Guilhembet & Roger Hanoune 74 – l’importance reconnue à la circulation des modèles et des formes, voire aux citations pures et simples, entre architecture publique et constructions privées, selon une thématique déjà mise en valeur quelques années auparavant, entre autres par F. Coarelli, – le rôle décisif qu’il faut restituer aux tissus et tentures dans la plasticité des espaces domestiques, malgré les rares traces matérielles de ces dispositifs qui peuvent servir à fragmenter les pièces, canaliser les circulations, etc., – la nécessité de reconnaître à la domus une cohérence structurelle, due pour une large part à son utilisation comme lieu de uploads/Litterature/ architecture-domestique-et-vie-privee.pdf

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