QUEL UNIVERSALISME AUJOURD'HUI ? Par Etienne BALIBAR 3 Décembre 1993 INTRODUCTI

QUEL UNIVERSALISME AUJOURD'HUI ? Par Etienne BALIBAR 3 Décembre 1993 INTRODUCTION A LA SOIREE Gerard BOMBEL : C'est une rude tâche qui m'échoit; le camarade Claude Gobeaux m'a demandé d'assurer cette présentation : spontanément, j'ai répondu positivement parce que j'avais plaisir à retrouver Etienne Balibar, qui lui ne se souvient plus de moi. Mais moi, j'ai eu l'occasion de le voir à l'époque des cours sur la philosophie spontanée des savants qui se tenaient à l'Ecole Normale Supérieure. J'ai même un souvenir tout à fait précis, puisqu'on évoque rapidement le livre des Ecrits pour Althusser, souvenir tout à fait personnel qui ressemble beaucoup au tableau des philosophes du XVIe siècle de la Renaissance. Althusser entrant dans la salle et s'asseyant au bord de l'estrade, et écoutant parler Balibar et regardant la salle : c'est une image de la philosophie qui était tout à fait impressionnante. Je reposerai un certain nombre de questions qui sont d'ailleurs d'ores et déjà dans les bouquins d'Etienne Balibar et en particulier dans le livre Race, nation, classe, dans lequel se retrouvent un certain nombre de questionnements touchant le sujet de ce soir.(1) Quelle est la spécificité du racisme contemporain ? Comment peut-elle être reliée à la division de classes dans le capitalisme et aux contradictions de l'Etat-nation ? En quoi, réciproquement, le phénomène du racisme nous amène-t-il à repenser l'articulation du nationalisme et des luttes de classes? Et ce triangle - nationalisme, lutte de classe et racisme- d'une certaine manière intervient d'une façon permanente dans toutes les publications récentes d'Etienne Balibar et joue un r“le clé dans l'analyse des phénomènes sociaux, économiques, mais aussi dans l'analyse philosophique qui peut être portée sur les situations que nous vivons; situations qu'on peut évoquer très brièvement: Marc Guillaumie vient de citer un fait de l'actualité immédiate de Limoges (2) qui montre à quel point on est en prise directe avec cette réalité. Je rappellerai simplement, pour ne pas trop en ajouter, quatre ou cinq points qu' Etienne Balibar souligne comme étant des faits incontournables dans la période actuelle : - l'effondrement du communisme institutionnel. Comment ne pas évoquer cet aspect-là des choses, y compris le regard qui peut être porté en la matière sur le mode de fonctionnement des organisations qui se référent au communisme en France. - l'affirmation croissante d'une société multiethnique et multiculturelle. - la mondialisation de la politique et aussi de la vie quotidienne . - la réactivation du nationalisme dans l'Ouest et dans l'Est européen sous des formes diverses, peut-être en sera-t-il parlé tout à l'heure. - la remontée d'une extrême droite fascisante qui peut historiquement rappeler un certain nombre de souvenirs à des gens qui penseraient en particulier à une déclaration d'un grand dirigeant social-démocrate de 1932, six mois avant les élections qui ont porté au pouvoir Hitler : «Les nazis n'existent plus en Allemagne. Ce qui fait prendre la mesure de la lucidité d'un certain nombre de dirigeants politiques d'appareils, qu'il s'agisse d'appareils sociaux-démocrates ou communistes. De ce point de vue, ils n'ont rien à s'envier. Pour ce qui concerne l'analyse, et j'en terminerai avec cette présentation rapide, on trouve dans la recension des textes, au début, les textes élaborés avec Louis Althusser, donc Lire le Capital (1968), dans le volume 2 où un texte important portait sur les concepts fondamentaux du matérialisme historique, et le dernier en date, publié en France : La philosophie de Marx paru aux éditions de la Découverte 1993. Et si on essaye de rapprocher ces deux textes, ça fait prendre la mesure à la fois des constances de l'analyse et des évolutions de cette analyse, et je crois que dans l'avant-propos des Frontières de la démocratie, il y a une page (page 8) qui montre à quel point c'est un élément important de cette recension : ne rien cacher de son histoire, montrer quelles ont été les différentes démarches, ne pas gommer des éléments d'analyse qui ont été produits à un moment donné, qui ne sont peut être plus retenus dans cette analyse d'aujourd'hui, mais qui comptent dans la construction intellectuelle qui a conduit la démarche d'Etienne Balibar, parmi l'ensemble des philosophes qui, à l'époque -puisque j'y faisais référence tout à l'heure-, entouraient L.Althusser. Gérard BOMBEL (1) Le débat s'intitulait initialement : Les mouvements identitaires et l'universalité. Quel universalisme aujourd'hui ?» (2) Marc Guillaumie, qui présidait la séance, avait informé l'assistance que des agressions de l'extrême droite venaient de se produire, contre les locaux du MRAP et de Point-Rencontre EXPOSE d'Etienne BALIBAR Merci, je te remercie du fond du coeur. J'éprouvais un peu d'appréhension à l'idée de m'entendre présenter, et tu as su le faire d'une façon qui m'a mis tout à fait à l'aise et m'a ramené à un passé qui m'est cher, même s'il commence à être un peu lointain et si beaucoup d'événements dont certains étaient assez dramatiques, sont venus s'interposer entre ces souvenirs que tu évoquais et la situation dans laquelle nous nous trouvons aujourd'hui. D'autre part, je voudrais vous dire que je suis particulièrement heureux de répondre à l'invitation de ce Cercle. Je suis un enseignant, pas un orateur de réunions publiques ; mais ceci n'est pas une réunion publique au sens électoral du terme : c'est une réunion d'amis, c'est du moins comme cela que je la conçois. Elle est placée sous le patronage de Gramsci, qui, aujourd'hui, force est de le constater, est un nom qui, d'un pays à l'autre, crée ou recrée plus que d'autres peut-être des liens de solidarité, de fraternité, de mise en commun des efforts intellectuels, dans la tradition qui est commune à beaucoup d'entre nous. Je me sens, au fond, chez moi ici d'une certaine façon. Alors, la question qu'on m'a proposé de traiter ce soir pour introduire la discussion (1) a sans doute une formulation un peu compliquée, un peu contournée, qui reflète la difficulté dans laquelle nous nous trouvons aujourd'hui, aussi bien de nous servir sans précaution que de nous passer de ces termes traditionnels, qui appartiennent à la tradition philosophique et à la tradition politique : universalisme, identité, mouvement, lutte, etc... Nous avons besoin de ces termes, mais en même temps nous avons le sentiment que leur signification se transforme et que leur usage ne va pas de soi. Je voudrais simplement partir de l'idée, très générale et abstraite, que je m'efforcerai ici de mettre en cause, au risque de compliquer un peu les choses, d'une opposition frontale entre l'universalisme et le particularisme ou la particularité. Et je veux le faire parce que j'ai le sentiment, sans vouloir caricaturer quiconque, que beaucoup des discours qui nous sont adressés s'enferment et nous enferment dans cette alternative, qui est de plus en plus stérile. Nous sommes sommés de choisir entre l'universalisme et l'affirmation de l'identité ou de l'autonomie culturelle, au gré des événements politiques ; tant“t il s'agit de la préservation de la langue française, tant“t il s'agit de savoir si la construction européenne sous la forme prévue de Rome à Maastricht facilitera ou interdira la solution des problèmes aussi bien économiques que culturels d'un pays comme le nôtre; tant“t il s'agit de désigner le nationalisme comme un recours, tant“t il s'agit au contraire de le stigmatiser, de le diaboliser et d'en faire en quelque sorte le danger principal de la situation dans laquelle nous vivons. Or, je crois que nous devons prendre conscience du fait que ces notions ont toutes une histoire, qui les a chargées d'usages et de significations multiples, en sorte que, en vérité, elles sont profondément équivoques. Il n'y a rien qui ressemble à l'universalisme en général. Il y a des universalismes. Il y a des façons de se réclamer de l'universel. Ceux qui emploient les mêmes termes, qui se référent, par exemple, à l'Europe, voire à l'Occident, ne mettent pas les mêmes significations sous ces termes. Et a fortiori est-ce vrai pour la notion de mouvement identitaire ou de nationalisme. En vérité, cette situation ne date pas d'aujourd'hui et, pour ce qui concerne le nationalisme, ceux de notre génération, a fortiori ceux qui sont un peu plus âgés et même ceux qui sont un peu plus jeunes, en ont vu suffisamment et ont suffisamment de souvenirs ou recueilli suffisamment de témoignages pour savoir que le nationalisme, suivant les situations historiques, suivant l'identité précisément de ceux qui s'en réclament, peut remplir aussi bien des fonctions d'oppression, de répression et d'obscurantisme, que de libération et d'ouverture à l'universel. Il est bien évident que le nationalisme de libération nationale et le nationalisme de conquêtes ne peuvent pas être purement et simplement mis dans le même sac ; cela reviendrait à vider de sa signification des notions comme celles de résistance ou d'indépendance, par exemple, qui ne sont évidemment pas synonymes d'exclusivisme et a fortiori d'oppression. Mais il n'en reste pas moins, et je pense ici à un exemple qui nous touche de prés, qui a touché de prés notre jeunesse et qui va nous concerner à nouveau de façon directe, celui de l'Algérie. L'histoire nous a appris aussi à déceler dans uploads/Litterature/ balibar-etienne-quel-universalisme-aujourd-x27-hui-e-cercle-gramsci-3-december-1993-limoges.pdf

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