La « Lettre aux Romains » de K. Barth et les quatre sens de l'Ecriture La « Let
La « Lettre aux Romains » de K. Barth et les quatre sens de l'Ecriture La « Lettre aux Romains » (Rômerbrief), la première œuvre d'un grand dogmaticien, se présente pourtant comme un commentaire d'Ecriture. Sa lecture éveille chez le catholique une double réflexion : sur l'exégèse en général et sur la pensée protestante en particulier. Tout d'abord, nous livrerons une impression née de ce livre étonnant. Ensuite nous reprendrons l'herméneutique dite des quatre sens, consi- dérée comme la norme traditionnelle de l'approche catholique de l'Ecri- ture, pour la confronter à l'exégèse de Barth. I. - L'exégèse de Barth dans la « Rômerbrief» de 1921 1. L'intention Le livre de Barth offre au lecteur un commentaire suivi de tous les cha- pitres et versets de la Lettre aux Romains. Travail que peu d'exégètes de métier se sont imposé ! La table des matières propose une division très linéaire du texte, par chapitre paulinien principalement, et donne à chaque unité un titre. Ceux-ci sont révélateurs : rarement scripturaires, ils décou- vrent immédiatement les intérêts de l'auteur : « la foi est un miracle », « de l'utilité de l'histoire », « la limite de la religion », « la grande possibilité néga- tive »(R 90,116,211,459 ;J 112,136,223,449) 1 ...Ces intitulés visent à mettre au jour un certain fil conducteur et manifestent déjàl'option pour une interprétation cohérente de l'ensemble de la lettre. Pourtant le lecteur sera frappé par la concentration de Barth tout au long de son ouvrage. Toujours conscient de la problématique globale de l'épî- tre, il fait cependant peser tout le poids de sa réflexion sur les seuls versets qu'il s'assigne. Jamais il n'anticipera sur les chapitres à venir et rare- 1. K. BARTH, Der Rômerbrief , Zurich, Zollikon, 1954 (reproduisant la seconde édi- tion de 1921, réimprimée en 1978 à Zurich, Theologischer Verlag). L'ouvrage a été traduit en français par P. JUNDT, sous le titre K. BARTH, L'Epître aux Romains, Genève, Labor et Fides, 1972. Dans nos références, entre parenthèses dans le texte, R désigne l'édition allemande et T la traduction de Tundr 824 B.POTTŒR.SJ. ment il reviendra explicitement sur tel verset déjà commenté. Mais les vues profondes abondent et les élévations de pensée, concentrées sur tel objet précis, où refluent, sans qu'on ait besoin d'y insister, toutes les richessses antérieures. Son commentaire donne l'impression d'un violent faisceau de lumière aveuglante, trouant la nuit pour se proje- ter sur un tronçon déterminé de la route, plutôt que d'un jour qui se lève petit à petit sur un large paysage. Le trajet de ce faisceau est quel- que peu arbitraire. De longs passages sont parfois laissés dans l'ombre, munis d'un commentaire minimal. On le comprend volontiers pour le chapitre 16 (R 518-521 ; J 502-504), mais pourquoi l'hymne à l'amour est-il si rapidement traité (Rm 8,31-39, aux pages R 310-313 ; J 312-316)? Selon la formule de Cullmann, Barth pratique une « exégèse de con- tenu»2. Luther et Calvin sont maîtres en cette Sachexegese. Quelle énergie ne mettent-ils pas à poursuivre leur travail «jusqu'à ce que le mur entre le premier et le seizième siècle devienne transparent, jusqu'à ce que, là-bas, l'Apôtre Paul parle et qu'ici l'homme du seizième siècle entende, jusqu'à ce que l'entretien entre le document et le lecteur soit entièrement concentré sur V objet (qui, ici et là-bas, nepeutp&s être dif- férent !) » (RXI;J 15). Trop facilement, l'exégète historico-critique est tenté de démontrer que telle formule paulinienne, récalcitrante, n'est due en fait qu'à un concours de circonstances d'ordre linguistique ou historique, et qu'elle n'a d'autre teneur que celle d'organe-témoin d'une manière de vivre et de penser totalement périmée. Barth s'insurge contre cet expédient trop commode. Il doit subsister aussi peu de choses que possible de ces blocs de con- cepts purement dus à l'Histoire, purement donnés, purement acciden- tels : la relation entre les vocables et la Parole incluse en eux, il importe qu'elle soit dévoilée aussi largement que possible. En tant que sujet com- prenant, il me faut progresser jusqu'au point où, à peu de chose près, je ne me trouve plus guère qu'en présence de l'énigme de l'objet, et plus en présence de celle du document comme tel, ou, par conséquent, je suis près d'oublier que je ne suis pas l'auteur, où je suis près de l'avoir compris si bien que je puis le laisser parler en mon nom et parler moi- même en son nom (R XII; J 16). Telle est l'ambition du commentaire de Barth. 2. Le style Balthasar pense qu'en bien des cas le point sensible qui sépare d'abord catholiques et protestants est moins une question de contenu de la foi 2. 0. CULLMANN, «Die Problematik der exegetischen Méthode K. Barths», dans Vortrage undAufsatze 1925-1962, edit. K. FRÔHLICH, Tûbingen, Mohr, 1966, p. 91, tra- duit en français dans Revue d'histoire et de philosophie religieuses 8 (1928) 70-83. K. BARTH ET LES QUATRE SENS 825 et de la théologie que surtout une question de forme3. Selon lui, Barth illustre parfaitement cette affirmation. Ce qui creuse le fossé, c'est une manière d'aborder les choses et de les présenter plutôt qu'une différence radicale de l'objet approché. Ces deux formes de foi et de théologie pour- raient se ramener, principiellement, à l'acceptation ou au refus de Vanalo- gia entis*. Les particularités de l'exégèse de Barth ne sont pas sans rapport avec cette «forme» typiquement protestante. Pour Barth, face à la révélation, se pose de manière élémentaire la ques- tion du style d'une théologie, qui non seulement doit énoncer quelque chose de juste sur le contenu de ce qui est révélé, mais doit aussi à sa manière por- ter à l'expression l'extraordinaire de l'événement dramatique qui survient dans cette révélation. Le style aussi, oui, le style surtout, appartient à la vérité de la langue5. Le commentaire de Barth touche immédiatement par sa violence. Aucune recherche littéraire, mais une force qui frappe, un pathos qui renaît sans cesse, un souffle jamais à court. Ce sont les chutes de Niagara ou l'érup- tion d'un volcan. Barth n'énonce jamais qu'une idée à la fois, mais il la répète et la martèle de manière obsessionnelle aux oreilles de qui l'écoute. Lorsqu'il affirme une chose, il nie l'autre. Son discours est toujours le développement maximal d'une possibilité et l'anéantissement total de son contraire, fl ne partage absolument pas le souci de prendre en compte tous les aspects du réel qui est propre à la théologie catholique. A juste titre Brunner le quali- fiera de «génie unilatéral»6. Le discours de Barth ressemble à un prêche, vigoureux et difficile, mais radical. Car l'auteur ne se prétend pas homme de lettres, mais prédicateur virulent. «La justice de Dieu, c'est un 'Malgré tout' ... pur de tout 'c'est pourquoi' ! » (R 68 ; J 92 s.). Il faut penser le péché originel en termes de 'c'est pourquoi' et non de 'après quoi' (cf. R 150; J 168). Et ailleurs: «Que ce mais ! est un C'est pourquoi !, le comprenne qui pourra» (R 206 ; J 217). « A cette logique humaine, nous opposons un 'Impossible' ! » (R 169 ; J 185) Cette pensée qui déborde d'elle-même n'en est que d'autant plus pensée. La grâce, c'est la relation de Dieu à l'homme, de Dieu qui a déjà triom- phé tandis qu'il se présente comme un lutteur, de Dieu qui ne nous laisse ouvert aucun moyen terme et qui ne se laisse pas moquer, de Dieu qui est un feu dévorant et qui ne nous doit aucune réponse, de Dieu qui dit Oui et Amen là où nous pouvons, tout juste encore, balbutier notre «comme si», notre Oui et Non (R 211 ; J 223). 3. Cf. H.U. VON BALTHASAR, Karl Barth. Darstellung und Deutung seiner Théologie, Kôln, Hegner,21962, p. 54-63. Cet ouvrage n'est pas traduit en français. Nous citerons simplement BALTHASAR. 4. Voir infra, note 66. 5. BALTHASAR 90. 6. Cf. H. BOUILLARD, Karl Barth, t,I, Genèse et évolution de la théologie dialectique, Paris, Aubier, 1957, p. 215. 826 B.POTTŒR.SJ. Dieu, pure limite et pur commencement de tout ce que nous sommes, ... jamais, au grand jamais, identique à ce que nous nommons Dieu ... le «Halte-là!» inconditionnel à toute inquiétude humaine et le «En Avant!» inconditionnel à toute sérénité de l'homme, le Oui dans notre Non et le Non dans notre Oui, le Premier et le Dernier et, comme tel, l'inconnu... (R315;J318). Barth tient son lecteur en éveil. Car sa prédication n'est pas un discours au sujet de Dieu (R 230; J 240) mais un dialogue passionné de Barth avec Dieu et l'amorce irrésistible de ce dialogue entre les auditeurs et Dieu lui-même. 3. La pensée De même qu'il renvoie rarement d'un verset à un autre de l'Epître aux Romains, de même et plus encore Barth se montre avare de références à d'autres livres de l'Ecriture. Tout au plus citera-t-il, souvent de mémoire (p. ex. R 6 & 31 ; J 38 & 60), la Lettre aux Galates, la Seconde aux Corin- thiens, ou l'Evangile de Jean, et très parcimonieusement l'Ancien Testament. uploads/Litterature/ barth-epistola-catre-romani-la-lettre-aux-romains-de-k-barth-et-les-quatre-sens-de-l-x27-ecriture-pdf.pdf
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- Publié le Fev 15, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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