Communications La fin d'un anathème Claude Bremond, Thomas G. Pavel Citer ce do

Communications La fin d'un anathème Claude Bremond, Thomas G. Pavel Citer ce document / Cite this document : Bremond Claude, Pavel Thomas G. La fin d'un anathème. In: Communications, 47, 1988. Variations sur le thème. Pour une thématique. pp. 209-220; doi : 10.3406/comm.1988.1715 http://www.persee.fr/doc/comm_0588-8018_1988_num_47_1_1715 Document généré le 03/06/2016 Claude Bremond et Thomas G. Pavel La fin d'un anathème La thématique, lorsqu'elle cherche à circonscrire son objet, se heurte à une succession d'obstacles qui l'obligent à se faire de plus en plus tolérante, au risque, semble-t-il d'abord, de sombrer dans une dilution progressive de la notion de thème. Au point de départ, en effet, la thématique semble pouvoir être conçue comme la somme d'un matériel d'idées et d'images fournies par la tradition, préexistant aux œuvres d'art et disponible pour le réemploi et la transformation. Envisagée en synchronie, la thématique pose alors un problème d'inventaire et de classification ; envisagée en diachronie, un problème d'évolution ou de mutation. On fera par exemple le recensement des motifs dans la littérature populaire, ou celui des topoï dans certaines littératures savantes ; ou bien on pistera le devenir historique du thème de Don Juan à travers Y exemplum médiéval, les théâtres espagnol et français, l'opéra, le poème sympho- nique, la nouvelle... iWais cette identification du thématique à un matériel extérieur à l'œuvre conduit à poser le problème du statut de la forme. Le créateur qui mobilise une matière préexistante en vue d'un arrangement nouveau, ou qui transforme cette matière pour délivrer un message encore inédit, met en circulation une variante, ou une variation, qui enrichit la thématique sur laquelle il prend appui. Dans sa perspective, le matériel thématique donné n'est pas tant Y à propos de que le moyen de son travail, et la finalité de celui-ci, son véritable à propos de, son thème majeur par conséquent, s'identifie aux métamorphoses formelles ou sémantiques auxquelles il compte soumettre la thématique préexistante. Dans cette acception nouvelle, le thème est l'objet d'une visée idéale, c'est une âme en quête de son corps. Quand l'œuvre est achevée, la synthèse du matériel préexistant (incorporé tel quel ou transformé) et du projet créateur se présente comme un matériel nouveau, offert à l'analyse du public destinataire, naïf ou critique, immédiat ou différé, 209 Claude Bremond et Thomas G. Pavel proche ou lointain, et qui comprend, sans privilège spécial, le créateur lui-même. Une investigation portant sur cette troisième phase pourra concevoir la thématique de l'œuvre aussi bien comme la reconnaissance d'un matériel préexistant que comme l'élucidation du projet de l'auteur ou comme le dégagement des éléments novateurs de l'œuvre, saisie dans son ensemble ou dans telle de ses parties, à un niveau ou à un autre du message, en fonction de telle ou telle stratégie de déchiffrement : car ces éléments, dès l'instant où ils passent dans le circuit des échanges interpersonnels (et même intra-personnels), constituent autant de thèmes qui s'ajoutent au matériel préexistant, autant d'à propos de susceptibles de donner lieu à reprise, réemploi ou variation. Malgré ce flou apparent et cette complexité réelle, la décision de réorienter vers la thématique une part de la réflexion sur la littérature et les arts ne peut manquer de porter ses fruits, ne serait-ce que dans la mesure où ce changement de cap remet en question l'emprise encore récemment exercée avec éclat par les études purement textuelles. Cette tendance a trouvé sa justification dans le désir d'éliminer du discours sur la littérature les interprétations subjectives. Mais, passé certain point, le textualisme dégénère en textolâtrie. Ainsi que Daniel Benett l'a remarqué dans un contexte différent, certains théoriciens, lorsqu'ils appliquent les termes signe, message, code à l'analyse des phénomènes culturels, s'abritent sous la caution de concepts sémioti- ques pour tirer en toute impunité apparente des chèques sur le compte en banque de l'intellect. Or, ces emprunts devront être tôt ou tard remboursés, car signes, messages et codes présupposent, à un pôle, des émetteurs en travail d'élaboration sur le matériau qu'ils informent, à l'autre pôle, des récepteurs en travail d'interprétation sur le message reçu. De même, toute réflexion sur la littérature qui articule son dispositif sur des notions purement formelles — procédé, discours, texte — dépense subrepticement un capital interprétatif, puisque ces discours, ces procédés et ces textes n'ont pas d'existence en dehors de l'activité créatrice qui les met en forme et de l'activité herméneutique qui les dévoile. Une théorie structurale de la littérature et des arts contracte inévitablement de lourdes dettes envers l'intentionnalité. Le problème n'est peut-être pas tant d'éliminer les interprétations subjectives pour leur substituer une description prétendument objective que de dégager les conditions d'un discours mettant en place, aussi objectivement que possible, l'éventail des interprétations offertes, quel que soit le degré de subjectivité qui les grève. De surcroît, quand elle a découvert que les arrangements structuraux possèdent une certaine autonomie formelle par rapport aux 210 La Jln d'un anathème contenus véhiculés, une théorie du texte est tentée de mettre à profit cette autonomie relative pour éluder la question du matériel dans lequel ces structures se concrétisent. Mais là aussi l'escamotage des contenus doit un jour faire place à une comptabilité ouverte. Prise entre les contraintes du matériel et les exigences de l'interprétation, une poétique structurale strictement autonome est-elle jamais solvable ? Et si nous choisissions, malgré tout, de répondre « oui », faudrait- il pour cela souscrire à l'affirmation tranchante de Paul de Man, selon qui la poétique et l'herméneutique n'ont pas de terrain à partager ? Symétriquement, peut-on affirmer avec la même assurance qu'il n'y a pas de lien nécessaire entre poétique et thématique, ou, mieux, que ces disciplines n'ont pas non plus de « terrain à partager » ? Ce langage ne condamne-t-il pas le thème, avant tout examen, à n'être considéré que comme le matériau de l'œuvre ? Quelque chose comme ce marbre qui, selon la main qui le cisèle, devient indifféremment « dieu, table ou cuvette » ? Nous voici en tout cas conduits à imaginer une division tripartite de l'œuvre en matériau thématique, plan structural (« design ») et contenu herméneutique. Dans la logique de cette position, la thématique s'identifierait au matériau et s'opposerait par là au structural et à l'interprétatif. En litige sur l'importance relative de ces deux derniers facteurs, les tenants de la structure et ceux de l'interprétation seraient au moins d'accord pour écarter de leur débat le matériau, donc le thématique, relégué au rang de support insignifiant d'une signification qui émergerait soit de la structure, soit des interprétations de la structure. Pourtant, si nous examinons les contributions à deux colloques successivement consacrés au thème — Pour une thématique /(1984), Pour une thématique II (1986) — , nous constatons que les positions réelles sont beaucoup plus complexes : ceux des participants qui ont entrepris de définir le thème l'ont généralement fait soit en termes structuraux, soit d'un point de vue intentionnel, et n'ont presque jamais parlé, comme on le fait couramment en musique, de matériel thématique. Georges Leroux évoque seul cet usage possible de la notion ', mais pour le rejeter aussitôt, en même temps que ce qu'il appelle l'« extension- nalité du topos », comme si le projet d'un lexique ou d'un inventaire des thèmes représentait en soi un attentat à la dignité de la chose littéraire. Il est vrai qu'une conception plus tolérante se dégage de la justice rendue par Peter Cryle 2 et Michel Collot aux efforts de la critique thématique des années cinquante et soixante. Aux yeux de Gaston Bachelard, Georges Poulet, Jean-Pierre Richard, le thème, « signifié individuel, implicite et concret » qui s'associe à d'autres 211 Claude Bremond et Thomas G. Pavel thèmes pour contribuer à l'économie de l'œuvre, relève sans doute du matériau, mais d'un matériau déjà mystérieusement pétri par le travail de l'intention. Mais ce point de vue reste relativement isolé. Le désaveu du thématique envisagé comme matériau et sa récupération dans une perspective formaliste est perceptible chez Gerald Prince 3, selon qui le thème, conçu comme « cadre-idée » de l'œuvre, relève des catégories macrostructurales, donc du plan général. Il en va de même chez Lubomir Dolezel qui, tant dans sa première communication 4 que dans sa contribution au présent numéro, identifie les thèmes aux invariants sémantiques de l'œuvre et souligne l'impossibilité de séparer le contenu de sa structure. Il convient pourtant de noter que Dolezel, aussi bien que Cesare Segre et Georges Roque, distingue le niveau des motifs, relégués au rôle de matériau, de celui des thèmes structuraux (iconographiques chez Panofsky, narratifs chez Segre, représentation- nels chez Dolezel). Également déterminé par la structure, le thème selon Marie-Laure Ryan définit les choix stratégiques des protagonistes du récit. En opposition plus ou moins tranchée à ces définitions structurales du thème, mais également réfractaires à la prise en considération d'un « matériel thématique », certains auteurs ont conçu le thème comme essentiellement solidaire de l'activité d'interprétation. Ainsi, pour Shlomith Rimmon-Kenan 5, le thème fonctionne comme une étiquette réunissant sous une dénomination commune des éléments épars dans l'œuvre ; dans la communication de Menahem Brinker 6, le thème est caractérisé comme le uploads/Litterature/ bremond-claude-amp-pavel-thomas-g-1988-la-fin-d-un-anatheme 1 .pdf

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