Céline et l'actualité littéraire Céline et l'actualité littéraire 1957-1961 TEX

Céline et l'actualité littéraire Céline et l'actualité littéraire 1957-1961 TEXTES RÉUNIS ET PRÉSENTÉS PAR JEAN-PIERRE DAUPHIN ET HENRI GODARD GALLIMARD AVANT-PROPOS Dans les relations de Céline avec la presse, le mois de juin 1957 marque un tournant. Le succès de D'un château l'autre lève d'un coup cette sorte d'interdit qui pesait sur lui depuis 1944 dans presque tous les grands journaux français. Avec ce nouveau roman, Céline ne se contente pas de démontrer à tous ceux, même parmi ses amis, qui le croyaient fini qu'il est en pleine possession de ses moyens littéraires et sans conteste un des plus grands écrivains de son temps. Du fait des événements qu 'il évoque et des individus qu 'il met en scène à sa manière, il obtient aussi – comme avec Voyage au bout de la nuit en 1932 – un succès de scandale qui achève de le faire sortir de l'ombre. Ce regain de célébrité ne va pas sans équivoque ; en particulier, il tend à accréditer l'idée d'une renaissance, ou d'un nouveau Céline devenu chroniqueur après avoir été romancier puis pamphlétaire ; il dissimule ainsi la continuité de la trajectoire célinienne et occulte des œuvres de premier plan comme Guignol's Band et Féerie pour une autre fois. Mais ce brusque intérêt qui refait en un mois de Céline une figure de l'actualité littéraire (on trouvera ci-dessous regroupés en une première partie tous les textes de cette période) a le mérite de remettre à sa disposition cette possibilité d'explication et de commentaire que la presse donne à notre époque aux écrivains célèbres. Il la conservera désormais pendant les quatre années qui lui restent à vivre ; les interviews réunies dans ce Cahier en témoignent : elles dépassent en volume celles des vingt-cinq années précédentes. Il est vrai que l'importance et la force de Céline écrivain ne sont pas seules en cause. Le pittoresque du personnage qu'il s'est composé – pittoresque de la maison qu'il habite, de ses vêtements, des animaux qui l'entourent, pittoresque du ton et du vocabulaire – et cette façon de se poser à la fois en accusateur et en victime, tout cela pousse vers lui plus d'un journaliste à la recherche surtout de réponses inattendues et savoureuses. Mais d'autres sont soucieux d'obtenir sur cette personnalité et cette œuvre hors du commun les éclaircissements que peut apporter le dialogue, et Céline est lui-même à l'âge des bilans. Peu auparavant il a, dans les Entretiens avec le Professeur Y, rassemblé quelques-unes de ses convictions en matière de littérature et de roman ; à l'époque de D'un château l'autre, il a avec Robert Poulet des Entretiens familiers1 qui l'amènent à revenir sur son passé. Les plus importantes des interviews réunies dans ce Cahier prolongent et complètent ces deux séries d'entretiens. Plus d'une fois, Céline y trouve des images et des formules nouvelles qui vont plus loin que les précédentes dans l'élucidation de certains aspects de son œuvre ou de certaines expériences. C'est, en particulier, dans ce Cahier qu'il faut chercher quelques-uns des témoignages les plus nets et les plus profonds de la conscience critique qui accompagne l'élaboration de l'œuvre. Ces interviews des dernières années frappent par leur unité. De l'une à l'autre, les thèmes sont repris, variés, parfois approfondis. On s'avise en les lisant à la suite qu'elles forment un tout dans lequel s'intègrent et prennent toute leur signification les quelques-unes dont on a pu ici ou là prendre connaissance à l'occasion d'une reprise ultérieure en volume ou d'une nouvelle diffusion. Réunies à d'autres, qui pour être moins connues n'en sont ni moins riches ni moins importantes, et aux courts textes qui leur font une sorte d'arrière-plan, elles composent un des ensembles les plus capables d'enrichir notre connaissance de Céline. 1 D'abord publiés sous ce titre, puis, en 1971, sous le titre Mon ami Bardamu (Plon). I LE LANCEMENT DE D'UN CHÂTEAU L'AUTRE (Juin-octobre 1957) Avec le roman achevé par Céline en mars 1957 et qui doit paraître le 20 juin, il n'est plus besoin de professeur Y. Chez Callimard, Roger Nimier s'est immédiatement convaincu que D'un château l'autre pouvait être l'occasion attendue de faire sortir Céline avec éclat de l'ombre et du silence dans lesquels la presse le maintenait depuis son retour, et il organise le lancement en conséquence. Après une brève interview avec un journaliste suisse (no 1), c'est la publication par L'Express du grand entretien avec Madeleine Chapsal (no 2) qui fait resurgir Céline au cœur de l'actualité et assure le retentissement du livre avant même sa publication. Céline a conscience de jouer la partie avec un journal qui lui est hostile, et cela ne va pas, on le verra, sans une part de mise en scène. Mais cette interview n'en contient pas moins des déclarations importantes et, parce qu'elle est la première de cette ampleur à être reproduite sans commentaire du journaliste dans la continuité du dialogue, elle fait bien apparaître ce qui va être désormais la manière de Céline dans ces interviews : cherchant moins à répondre vraiment aux questions qu'à renouer avec le monologue qu'elles ne font jamais qu'interrompre et qui retrouve vite son lit habituel (aussi bien, comme le montre le dernier texte de cette série, peut-il se dérouler en l'absence de tout journaliste et de toute question). On suit ainsi, d'interview en interview, une rhapsodie tantôt amère, tantôt sentencieuse, polémique ou prophétique, pimentée ici et là par des anecdotes et des mots historiques, et qui brode d'infinies variations sur quelques thèmes dont la réapparition est d'autant plus sensible ici que ces interviews sont plus rapprochées : la France de 1957, son passé (par rapport auquel elle déchoit), son avenir (l'invasion chinoise), les prises de position d'avant guerre (qui n'étaient que pacifisme), les confrères écrivains, les conditions dans lesquelles il vit maintenant, comment et pourquoi il écrit (uniquement pour gagner sa vie, difficilement, avec un don mais pas de goût pour l'écriture), etc., etc. Ce monologue, on le retrouve – mais là repris et animé par le style – dans les romans de cette époque, dont il forme la basse continue. Ces déclarations sont toujours violentes et de nature à faire réagir le lecteur, d'un côté ou de l'autre. Celles qui parurent dans L'Express suscitèrent, d'horizons politiques opposés, des protestations virulentes que Céline s'est ensuite vanté d'avoir volontairement provoquées. Il est difficile de faire la part de l'affectation ou de la provocation dans ce personnage du Céline d'après guerre. Au moins ne peut-on éviter de poser la question (et, par exemple, fallait-il prendre au sérieux cette proposition faite à L'Express de cesser d'écrire moyennant une rente ? D'anciens collaborateurs s'indignèrent : Céline souhaitait se faire acheter par l'adversaire. Mais, dans les jours qui suivent, il fait la même proposition, dans les mêmes termes [ci-dessous, p. 42], à l'adresse du comte de Paris !). La série des interviews de D'un château l'autre montre, sous l'uniformité des propos, le ton que prend successivement Céline avec le représentant d'un journal hostile, puis d'un autre plus favorable (no 3), avec un jeune admirateur monarchiste qui fait irruption chez lui (no 4), avec un ami écrivain, Albert Paraz (qui devait mourir quelques semaines plus tard ; Céline évoque cette mort à sa manière dans le même journal où a paru l'interview, nos 5 et 9). On le voit ensuite dans sa première apparition à la télévision française (no 6), parlant à la radio suisse (no 7), répondant à une enquête littéraire (no 8) ou à une journaliste belge (no 10), enfin s'exprimant seul, dans un monologue enregistré (no 11) qui tient dans cet ensemble la même place de bilan et de récapitulation que « Qu'on s'explique » dans la série des interviews de l'époque de Voyage. Ni la figure que Céline se donne dans celles-ci, ni ce qui put entrer de scandale dans le lancement de D'un château l'autre ne doivent en tout cas dissimuler que Céline atteint à cette époque sa plus grande lucidité : on trouve, notamment dans les propos tenus à Madeleine Chapsal et à L.-A. Zbinden, ainsi que dans le monologue enregistré, quelques-unes des formules les plus éclairantes sur ses buts et sur ses moyens de romancier. 1. Interview avec Pierre Descargues (La Tribune de Lausanne)1 « Vous m'excuserez, dit le docteur, il faudra tout à l'heure que je vous laisse un instant : j'ai des artichauts sur le feu. » On sonne à la porte. Le docteur se penche à la fenêtre pour voir s'avancer dans le jardin une petite fille et sa mère. « Vous voyez, reprend-il, je sers aussi de portier. Je surveille qui vient et qui va. Il y a un cours de danse à l'étage, le cours Almanzor. C'est ma femme qui le tient. Cela fait pas mal d'allées et venues. » Il est assis à une table, haute comme une table à dessin, couverte de papiers retenus par des pinces à linge. Il y en a partout de ces pinces à linge qui mettent de l'ordre dans les manuscrits du docteur. « Je me demande bien pourquoi vous êtes venu. uploads/Litterature/ celine-et-lactualite-litteraire-1932-1957-by-celine-louis-ferdinand-z-lib.pdf

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