L’Orientation lacanienne 2008-2009 Jacques-Alain Miller Choses de finesse en ps

L’Orientation lacanienne 2008-2009 Jacques-Alain Miller Choses de finesse en psychanalyse III Cours du 26 novembre 2008 J’ai reçu, hier soir, un mail, en provenance de Buenos Aires où on est parfaitement instruit de ce qui m’agite ici – toujours par le biais électronique –, et ce mail me proposait une référence pour ce Cours que j’ai intitulé Choses de finesse en psychanalyse. Je reçois ainsi, par ce canal, des contributions dont jusqu’à présent je n’ai pas fait état, mais celle-ci m’a retenu. Elle est de Graciela Brodsky, mon amie Graciela, qui a été mon successeur comme présidente de l’Association mondiale de Psychanalyse, elle m’écrit en espagnol, je traduis. Concernant Freud et le déchiffrement de son propre inconscient, il y a la lettre qu’il adressa à Istvan Hollos en 1928 et que toi-même as publié dans Ornicar ? numéro 32 en 1985. C’est une “pieza preciosa” – c’est une pièce rare, précieuse, c’est un morceau de prix, de choix. Son amour pour l’inconscient et son mépris de la thérapeutique sont émouvants. Et donc m’est redevenue présente cette lettre, qui était alors inédite en français, et que m’avaient procurée les traductrices d’un volume qui était alors à paraître, qui est donc paru il y a maintenant bien longtemps et qui s’intitule Souvenirs de la Maison-Jaune. La Maison-Jaune c’était un asile de Budapest où Istvan Hollos a été médecin-chef. Il était l’ami de l’autre psychanalyste hongrois, qui est plus connu, Ferenczi, il avait été l’analysant de Paul Federn, c’était l’un des tout premiers psychanalystes hongrois et à Budapest un didacticien – comme on disait à l’époque – réputé où allaient se former les jeunes aspirant à la qualité de psychanalyste. A ce titre il connaissait Freud et donc il a pensé lui adresser les Souvenirs, qu’il a rédigés sous une forme romanesque, de sa direction de cet asile. Il y traite en fait des questions que comme psychanalyste et comme homme cette pratique pouvait lui poser car il était aussi psychiatre. Les traductrices m’avaient confié comme bonne feuille cette lettre, et j’avais choisi quelques pages du livre de Hollos. Freud accuse réception de l’ouvrage par cette petite lettre, au fond la lettre qu’il n’a pas écrite à Lacan quand quatre ans plus tard Lacan lui a adressé sa thèse de psychiatrie : Freud s’est alors contenté d’une carte postale, que j’avais placée jadis sur la couverture de ma revue Ornicar ?. Lacan avait laissé ce document en cadeau à un de ses patients, marquant par là une certaine indifférence à l’égard du carton de Freud, et sans doute un petit ressentiment à l’endroit de Freud de ne pas avoir honoré cet envoi d’un commentaire comme c’est le cas pour Hollos. Freud, dans cette lettre que je vous lirai puisqu’elle est assez brève, fait état de ce que cet ouvrage l’a conduit à une lecture subjective. Il faut entendre par là qu’il en a été touché, que ça n’a pas seulement mis en branle pour lui la réflexion, que cette lecture ne s’est pas faite pour lui au niveau du concept, mais que l’ouvrage a résonné pour lui – et sur un certain fond de mystère parce qu’il ne s’explique pas tout à fait sa propre réaction. Sa réaction, telle qu’il la laisse entrevoir, telle qu’il la nomme, est de sourde opposition à la pratique asilaire de Hollos. Et, en effet, on sent, à travers cette lettre, que, chez Freud, c’est le refoulement qui est visé, quelque chose de son Je-n’en- veux-rien-savoir. Alors, j’en viens à cette lettre qui fait trois paragraphes et qui est datée de Vienne, octobre 1928. Cher Docteur, Ayant été avisé que j’ai omis de vous remercier pour votre dernier livre, j’espère qu’il n’est pas trop tard pour réparer cette omission. Il y a eu un intermédiaire, là, qui a dû signaler le fait à Freud. Celle-ci – mais enfin, il n’a pas écrit la lettre qu’il aurait dû écrire, c’est ça le point de départ, et déjà son opposition se manifeste là : ce livre l’a dérangé – cette omission ne provient pas d’un manque d’intérêt pour le contenu, ou pour l’auteur dont j’ai appris par ailleurs à estimer la philanthropie. Dans cette expression d’estime pour la philanthropie d’Istvan Hollos on sent déjà comme une distance de Freud. Cette omission était plutôt consécutive à des réflexions inachevées, qui m’ont préoccupé longtemps encore après avoir terminé la lecture du livre, lecture de caractère essentiellement subjectif. Freud allègue que l’omission de cet accusé de réception est pris dans ses processus psychiques, et des processus sur lesquels il n’est pas lui-même complètement au clair puisqu’il qualifie ses réflexions d’inachevées. Tout en appréciant infiniment votre ton chaleureux, votre compréhension et votre mode d’abord – dans le roman- souvenirs en question –, je me trouvai pourtant dans une sorte d’opposition qui n’était pas facile à comprendre. Voilà Freud dépassé par un affect, ne comprenant pas le ressort d’un affect. Je dus finalement m’avouer – c’est une expression qui est au fond typique dans les efforts d’auto-analyse. Je me demande parfois – je tirerai ça au clair cette année – si on pratique l’auto-analyse. L’hétéro-analyse, ça c’est certain, nous en avons tous les témoignages, j’en ai moi-même. Mais, lorsque je relis ça de Freud, moi ça me parle, parce que je suis continuellement en train d’essayer de m’avouer des choses. Et je sens bien quand je résiste à m’avouer des choses – je le sens bien une fois que je me les suis avouées, avant non. Je veux dire que, vraiment, depuis le début de ce Cours, il y a bien longtemps, je n’ai jamais progressé que dans la voie de la confession, si je puis dire, de l’aveu à moi-même, et de la retransmission, évidemment tamisée, sophistiquée, sublimée, à l’auditoire constitué par les présents. Je m’analyse une fois par semaine (rires), sous une forme plus ou moins, en général très, masquée. En tout cas j’apporte les résultats du combat que j’ai pu mener avec mon Je-n’en-veux-rien-savoir. Donc, ça me parle ce Je dus finalement m’avouer. Je dus finalement m’avouer que la raison en était que je n’aimais pas ces malades – Graciela dit élégamment : son mépris de la thérapeutique, mais au fond dans le texte de Freud ça va au-delà, il n’aime pas les malades asilaires, c’est un aveu à soi-même, qui a pu lui coûter, et dont il s’est délivré dans une lettre privée qui est restée longtemps inconnue du public – ; en effet ils me mettent en colère, je m’irrite de les sentir si loin de moi et de tout ce qui est humain. Une intolérance surprenante – et donc ce que Freud présente au destinataire de cette lettre c’est vraiment comme un morceau de son inconscient, si je puis dire, lui-même en ressent une surprise – Une intolérance surprenante, qui fait de moi plutôt un mauvais psychiatre. Et, en effet, ce qui figure là, c’est un aveu qui implique qu’il y ait, entre la psychiatrie et la psychanalyse, une profonde disjonction, chez Freud en tout cas au niveau inconscient – disjonction d’autant plus probante. Dernier paragraphe. Avec le temps, je cesse de me trouver un sujet intéressant à analyser – ça, c’est le cas de beaucoup d’analystes, qui ont déjà beaucoup donné, croient-ils, dans cet exercice –, tout en me rendant compte que ce n’est pas un argument analytiquement valable. Donc il met en question là sa réticence, sa difficulté à s’analyser ou au moins à se trouver intéressant comme analysant. C’est pourtant bien pour cela que je n’ai pas pu aller plus loin dans l’explication de ce mouvement d’arrêt. Donc il implique qu’il ne s’analyse pas assez pour que, l’affect qu’il a ressenti, il puisse l’élucider de façon satisfaisante. Me comprenez-vous mieux ? Ne suis-je pas en train de me conduire comme les médecins d’autrefois à l’égard des hystériques ? Comment se conduisaient les médecins d’autrefois à l’égard des hystériques ? Ils avaient une attitude en effet de distance et de mépris, Freud est allé là contre, il les a écoutées passionnément, là il n’avait pas de mouvement d’arrêt, et il implique que la passion qu’il a eue pour la parole de l’hystérique, il la paye d’avoir de la répulsion pour le psychotique. Mon attitude serait-elle la conséquence d’une prise de position de plus en plus nette dans le sens de la primauté de l’intellect, l’expression de mon hostilité à l’égard du ça ? A l’époque, en effet, 1928, la charpente, la structure de la réflexion de Freud est au temps de la seconde topique et donc passe par les catégories du moi, du surmoi et du ça : ça a tout son prix que Freud là se mette en question à propos de ce qui serait son hostilité inconsciente à l’endroit du ça et d’un ça qui dans la psychose, selon sa théorie, prend une place qui outrepasse le cadre que le moi devrait donner à la vie psychique. Mon attitude serait-elle l’expression de mon hostilité à l’égard du ça ? Ou alors quoi ? Et là-dessus, uploads/Litterature/ choses-de-finesse-en-psychanalyse-iii-jacques-alain-miller.pdf

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