1 Christine Gadrat-Ouerfelli Traduction, diffusion et réception du livre de Mar

1 Christine Gadrat-Ouerfelli Traduction, diffusion et réception du livre de Marco Polo Résumé : Écrit en 1298, le récit de Marco Polo, intitulé le Devisement du monde, a rapidement rencontré un certain succès, qui ne s’est jamais démenti. Si ce texte a abondamment été lu et commenté par les historiens modernes, que ce soit pour retracer une histoire des relations entre l’Occident et l’Orient, écrire la biographie du voyageur, ou encore identifier les noms de lieux et de personnages cités ; si les philologues ont longtemps bataillé et cherchent encore à reconstituer le texte original perdu, l’histoire de ce livre n’a jamais été étudiée de façon approfondie et complète. Ce travail propose donc une histoire du texte et retrace l’ensemble de sa diffusion et de sa réception, entre la fin du XIIIe siècle et le début du XVIe siècle. Dans l’historiographie, il est fréquemment affirmé que le récit de Marco Polo n’a pas connu un grand succès auprès de ses contemporains, que son auteur a été « oublié », voire méprisé par ses concitoyens. On lit, sous la plume de plusieurs historiens et critiques littéraires, que ce livre fut considéré comme un recueil de fables, tout juste bon à divertir la noblesse française, et qu’il ne fut jamais pris au sérieux. Les historiens de la cartographie soulignent souvent le peu de résonances de ce texte dans la cartographie des XIVe et XVe siècle. Une étude complète et aussi exhaustive que possible de l’ensemble de la diffusion et de la réception du Devisement du monde vient pourtant largement remettre en cause ces présupposés. Cette diffusion fut large et massive, recouvrant une grande partie de l’Europe de langue latine, touchant des publics très variés, et se perpétuant tout au long de la période considérée, voire même au-delà. Quant à la réception, le très grand nombre d’œuvres utilisant et citant le Devisement du monde comme source, ainsi que la remarquable diversité des genres auxquels appartiennent ces œuvres, montre que ce texte fut apprécié et considéré comme une référence dans de nombreux domaines. Le premier indice de son succès est constitué par le grand nombre de traductions et de témoins manuscrits. En deux siècles, le texte est traduit ou retraduit vingt-six fois 2 et s’est diffusé en treize langues différentes. Le nombre des manuscrits conservés s’élève à 141. Le succès ne faiblit pas avec l’arrivée de l’imprimerie, puisque l’on compte cinq éditions incunables et d’innombrables impressions dans la première moitié du XVIe siècle. La source première de ce travail est, en effet, constituée par les manuscrits qui nous transmettent ce texte. Les recherches menées pour cette thèse permettent d’ajouter huit nouveaux manuscrits par rapport au dernier relevé exhaustif (fait par Consuelo W. Dutschke en 1993). Ils sont au total relativement nombreux, ce qui permet de disposer d’une source suffisamment abondante pour pouvoir en tirer quelques conclusions, mais qui reste aussi abordable dans sa totalité. La date, les circonstances de la copie, telles que le lieu, le nom du copiste, du destinataire, la qualité de la réalisation, l’histoire du manuscrit et sa transmission, les marques de lecture et d’usage qu’il est susceptible de comporter, apportent des données irremplaçables pour l’étude de la diffusion et de la réception. De la même façon, les impressions incunables et les éditions du début du XVIe siècles ont été consultées et prises en compte, aussi bien dans l’étude de la tradition textuelle que dans celles de la diffusion et de la réception. Le deuxième type de source mis à profit regroupe les inventaires et catalogues de bibliothèques, les mentions de livres dans les testaments, etc., qui permettent de connaître l’existence d’exemplaires qui n’ont pas survécu ou bien de suivre l’histoire de certains manuscrits. Ces documents apportent en outre des noms de possesseurs nouveaux – qu’il s’agisse de personnes morales ou physiques – et élargissent ainsi la palette des publics touchés par le Devisement du monde. Les œuvres dans lesquelles le livre de Marco Polo a été utilisé ou cité constituent le troisième type de source de cette étude. La grande quantité d’utilisations du Devisement du monde dans d’autres œuvres est révélatrice de son succès et de l’estime dont il a joui ; l’analyse de la façon dont il est utilisé permet d’affiner ce constat et de comprendre comment le livre de Marco Polo était considéré. Ces œuvres, pour certaines d’entre elles encore inédites, appartiennent à des domaines littéraires aussi variés que les traités de géographie, les textes historiques, la littérature épique, l’hagiographie, la littérature homilétique ; il convient d’y ajouter la cartographie, qu’il s’agisse de mappemondes ou de cartes régionales. La diversité des emprunts recensés montre l’intérêt que le texte a d’emblée suscité et l’attitude d’ouverture dont ont fait preuve les écrivains et les savants de la fin du Moyen Âge à son égard. 3 Cette étude est divisée en trois parties. La première retrace l’ensemble de la tradition textuelle du Devisement du monde, en présentant toutes les traductions et les remaniements dont il a fait l’objet. La deuxième s’attache à montrer la large diffusion du texte et la grande diversité d’usages qui en ont été faits. La troisième partie, enfin, se concentre sur les usages géographiques et cartographiques de ce texte. Première partie : la tradition textuelle du Devisement du monde La première partie présente les différentes traductions et les remaniements dans lesquels le texte nous a été transmis. Traduction, remaniement, adaptation sont des termes qui ne sont pas nettement définis pour le Moyen Âge et qui ne sont pas exclusifs : une traduction est souvent, aussi, un remaniement. Certaines versions sont résumées, abrégées, d’autres connaissent des interpolations. Une grande partie d’entre elles est encore inédite ou ne bénéficie pas d’édition critique. L’étude des traductions du Devisement du monde qui est exposée dans ce travail est davantage historique que philologique ou littéraire. Il ne s’agit pas, pour l’essentiel, d’analyser le processus ou les techniques de traduction mis en œuvre, encore moins de juger de la qualité ou de la fidélité de la traduction. L’objectif est plutôt de montrer comment ces traductions participent à la diffusion du texte et comment elles peuvent être représentatives de sa réception. Aussi l’accent est-il moins mis sur les modifications textuelles que, autant qu’on puisse les connaître, sur les circonstances, les lieux et les dates d’élaboration de ces traductions, remaniements et autres réécritures. Ces différentes versions du texte peuvent correspondre à des adaptations en fonction de l’image que l’on s’en faisait, ou bien de l’usage qu’on projetait d’en faire. Chaque traduction est également une opportunité pour le texte de gagner un nouveau public, de se répandre dans une nouvelle région. Toutes les versions du livre de Marco Polo ont été ici prises en compte, quels que soient leur proximité ou leur éloignement par rapport à un texte original qui a disparu. Autant que possible, sont examinés les manuscrits qui les représentent, leur lieu, leur date et leur milieu d’élaboration, les liens qui les unissent aux autres versions, ainsi que leur diffusion géographique et chronologique. Pour certaines versions qui n’avaient jusque-là bénéficié d’aucune étude, des stemma codicum ont été dressés. Un schéma général de la tradition textuelle permet, en introduction à cette partie, 4 d’embrasser l’ensemble de ces versions et leurs articulations les unes par rapport aux autres. Chapitre premier : Les versions du groupe A (hors VA) L’ensemble de la tradition textuelle du Devisement du monde est réparti en deux branches principales, désignées par les lettres A et B. Les trois premiers chapitres s’intéressent aux versions appartenant à la branche A. Le premier chapitre examine les versions francophones, les versions du groupe K et la version toscane TA ainsi que sa descendance. Les versions francophones sont au nombre de trois : la version F en franco-italien, généralement considérée comme la plus proche de l’original, essentiellement en raison de sa langue ; la version française (Fr) qui consiste en une mise en « bon français » de la version originale ; et une version en anglo-normand conservée par un unique manuscrit mutilé. Le groupe K est constitué de trois versions : une catalane, une aragonaise et une française. Chacune n’est conservée que par un manuscrit. Le groupe se caractérise par une très importante lacune au début du texte, ainsi que par l’insertion d’extraits d’un autre récit de voyage, celui d’Odoric de Pordenone. L’hypothèse récemment formulée, selon laquelle le groupe aurait une origine avignonaise et occitane, est discutée. La version toscane TA, probablement exécutée à destination des milieux marchands et bourgeois de Toscane, a été à son tour traduite en latin (version LT). L’analyse de cette dernière porte notamment sur la façon dont elle a été contaminée par une autre version latine, celle de Francesco Pipino. Chapitre II : La version vénitienne (VA) et sa postérité Le deuxième chapitre traite de la version vénitienne VA et des traductions qui en sont issues, sauf la version latine de Francesco Pipino (P) qui, avec sa descendance, fait l’objet du chapitre trois. La version VA et sa descendance constituent la branche la plus féconde de la tradition textuelle polienne, celle uploads/Litterature/ christine-gadrat-ouerfelli-traduction-diffusion-et-reception-du-livre-de-maco-polo.pdf

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