COLONISATION, DÉVELOPPEMENT, AIDE HUMANITAIRE. POUR UNE ANTHROPOLOGIE DE L'AIDE

COLONISATION, DÉVELOPPEMENT, AIDE HUMANITAIRE. POUR UNE ANTHROPOLOGIE DE L'AIDE INTERNATIONALE Laëtitia Atlani-Duault et Jean-Pierre Dozon Presses Universitaires de France | « Ethnologie française » 2011/3 Vol. 41 | pages 393 à 403 ISSN 0046-2616 ISBN 9782130584131 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-ethnologie-francaise-2011-3-page-393.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Presses Universitaires de France. © Presses Universitaires de France. Tous droits réservés pour tous pays. 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Pour une anthropologie de l’aide internationale Laëtitia Atlani-Duault Laboratoire d’ethnologie et de sociologie comparative Jean-Pierre Dozon Centre d’études africaines – EHESS RÉSUMÉ Cet article retrace la longue histoire de la recherche concernant l’aide humanitaire, inscrite dans la filiation des études anthropologiques sur la situation coloniale, le développement, la santé et, plus largement, sur le politique. Il montre comment cette histoire doit aujourd’hui intégrer les évolutions récentes tant du côté de l’aide humanitaire et des politiques du développement, que des recherches en anthropologie portant sur ces thèmes. Il relève enfin des glissements thématiques et conceptuels entre ces divers champs au sens éminemment politique, que seule peut saisir une anthropologie de l’aide internationale, à la fois ancrée dans l’histoire de la discipline et prenant à bras-le-corps les reconfigurations actuelles de l’aide. Mots-clés : Anthropologie. Situation coloniale. Développement. Aide humanitaire. Aide internationale. Laëtitia Atlani-Duault Laboratoire d’ethnologie et de sociologie comparative Maison René-Ginouvès Archéologie et Ethnologie 21, allée de l’Université 92023 Nanterre cedex Laetitia.atlani-duault@mae.u-paris10.fr Jean-Pierre Dozon Centre d’études africaines EHESS 96, boulevard Raspail 75006 Paris Jean-Pierre.Dozon@ehess.fr Pour certains, l’aide humanitaire serait un thème de recherche inédit en anthropologie, et donc à défricher. Cet a priori ne vient pas seulement de la relative mé- connaissance de la littérature sur le domaine mais découle des reconfigurations et de l’expansion de l’aide internationale depuis la fin de la guerre froide. Or, l’aide humanitaire s’inscrit dans une histoire intellec- tuelle longue en anthropologie. On se propose donc de retracer plus précisément les principales figures et approches qui ont marqué cette histoire dans la litté- rature francophone, puis d’examiner les évolutions récentes des recherches anthropologiques dans le champ. Nous nous interrogerons enfin sur le bascule- ment qui s’est opéré récemment entre développement et aide humanitaire, avec toutes les conceptions séman- tiques qui l’accompagnent, et sur la nécessité d’œuvrer à une anthropologie de l’aide internationale, à la fois ancrée dans l’histoire de la discipline et prenant à bras- le-corps les reconfigurations actuelles de l’aide. ■Un domaine de recherche oscillant entre attrait et rejet L’anthropologie du développement et de l’humani- taire ressortit en effet à une assez longue généalogie dont on peut repérer, spécialement en France, les pre- miers et importants jalons aux années 1950, à l’époque où fut inventée la notion de Tiers-Monde (par Alfred Sauvy et/ou Georges Balandier) et où l’on parla, concomitamment à l’attention portée aux mouve- ments d’émancipation des peuples colonisés, de « pays sous-développés » : une formule en elle-même quel- que peu stigmatisante, mais qui fut bientôt relayée par celle plus valorisante de pays « en voie de dévelop- pement » ou « en développement ». Il s’est agi plus précisément d’une époque de reconstructions natio- nales au Nord (l’après-guerre et le début des Trente Glorieuses dans le cadre du plan Marshall) et de constructions nationales au Sud où divers modèles macro-économiques furent mobilisés pour engager des processus de développement, à l’instar des pôles de croissance prônés par François Perroux ou d’un modèle Ethnologie française, XLI, 2011, 3, p. 393-403 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 167.62.100.151 - 15/04/2020 02:59 - © Presses Universitaires de France Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 167.62.100.151 - 15/04/2020 02:59 - © Presses Universitaires de France de planification, cher à Wassily Leontief 1, favorisant les échanges intersectoriels (entre agriculture et industrie par exemple). Et, quoique la science économique occupât inévita- blement une position dominante, d’autres sciences sociales ou d’autres approches s’invitèrent dans le débat dès lors que les questions de développement ou de sous- développement concernaient des régions du monde qui avaient précisément été colonisées ou qui étaient sur le point de ne plus l’être, spécialement l’Afrique subsaharienne. En réalité, comme ces régions du monde avaient principalement servi de colonies d’exploitation, la plupart des modèles macroécono- miques proposés, issus largement de l’expérience capitaliste occidentale, eurent de facto bien du mal à s’appliquer. C’est pourquoi la fameuse notion de « situation coloniale », telle qu’elle fut définie par Georges Balandier au début des années 1950 [Balan- dier, 1951], eut cet avantage heuristique de caractériser génériquement des régions périphériques où tout fut originellement conçu, sur le plan économique, dans l’intérêt prioritaire des métropoles européennes et, donc, sans grand souci d’y instiller un développement endogène [Bairoch, 1967]. Cependant, dans la mesure où il entendit saisir dans ses multiples dimensions cette « situation », les systèmes de contrainte coloniaux pou- vant donner lieu à diverses formes de résistances, Balan- dier fut également attentif à tout ce qui était susceptible d’en modifier la donne initiale, en l’occurrence le rap- port politique de domination. Dans cette perspective, les changements sociaux générés par les mises en valeur coloniales lui semblèrent particulièrement prometteurs de transformations plus globales pouvant affecter la nature même dudit rapport politique. Mais Georges Balandier put d’autant mieux voir les choses ainsi et initier de la sorte une sociologie dynamique que l’Afrique qu’il observait, c’est-à-dire essentiellement l’Afrique de l’Union française, était une Afrique en train de connaître d’importantes évolutions écono- miques et sociopolitiques. Non seulement le système de l’indigénat, qui avait régi toute la période coloniale jusqu’à 1945, était aboli, élargissant quelque peu la sphère des droits des sujets africains, mais la métropole, à travers sa puissance étatique, investissait dans ses terri- toires africains comme jamais elle ne l’avait fait aupara- vant [Dozon, 2003]. Grâce notamment au FIDES (Fonds d’investissement pour le développement économique et social créé en 1946 un an après le franc CFA), de vastes opérations d’aménagement et d’équipement, de grands projets d’exploitation hydro-agricole (comme celui, particulièrement dispendieux et commencé depuis l’époque coloniale, de l’Office du Niger pour la culture du coton), semblaient rendre quelque peu effective l’idée de « pays en développement ». Cela même si, en ces années 1950, la France, loin de vouloir rompre avec ses territoires d’outre-mer (comme en témoignaient ses guerres coloniales en Indochine et en Algérie), ne laissait d’accroître ses échanges économiques avec eux et de les entretenir du même coup dans une relation durable de dépendance. C’est au vu de ces rapides et, parfois, spectaculaires évolutions, qui débouchèrent finalement malgré tout sur les indépendances des territoires français d’Afrique noire, que le développement s’imposa comme un objet d’étude digne d’un africanisme [voir notamment Balandier, 1954, 1957] qui n’entendait pas tourner le dos à l’histoire, aux sociétés en train de se faire, et se voulait volontiers politique, dès lors qu’à travers le développement il était question d’émancipation et de construction de communautés nationales. Encore faut-il préciser que Balandier fut loin d’être le seul en France à adopter à la fois ce principe de réalité et un « principe d’espérance », pour reprendre la belle for- mule d’Ernst Bloch, par l’entremise duquel les sciences sociales pouvaient s’impliquer dans le développement de « pays neufs » et y décliner un large horizon de possibles. En effet, il y eut tout particulièrement le groupe ressortissant au catholicisme social Économie et Humanisme (qui fut en même temps le nom d’un centre de recherche-action et d’une revue), créé durant l’Occupation et qui grandit après guerre autour de son principal fondateur, le père Lebret ; y prit étroitement part l’économiste du développement évoqué plus haut, François Perroux [voir notamment Puel, 2004]. Critique de l’économisme libéral, parti- san d’un développement initié par l’État, mais proche des populations et des communautés, il eut une forte audience en Amérique latine et en Afrique, spéciale- ment au Sénégal où, au tournant de l’indépendance du pays [1960], le père Lebret travailla au premier plan quadriennal et contribua à l’élaboration de ce qui fut appelé le « socialisme africain ». En centrant sa doctrine sur la planification, l’animation et la coopé- ration, ce groupe influent mit en forme une sorte de science sociale appliquée, ou de sociologie pratique, teintée de visions iréniques à la façon des utopistes du XIXe siècle 2, qui inspira bien des concepteurs des pro- jets de développement jusqu’à aujourd’hui et fit un exemple du « populisme uploads/Litterature/ colonisation-developpement-aide-humanitaire-pour-une-anthropologie-de-l-x27-aide-internationale-pdf 1 .pdf

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