CRITIQUER LA LITTÉRATURE DE JEUNESSE : PISTES POUR UN BILAN ET DES PERSPECTIVES
CRITIQUER LA LITTÉRATURE DE JEUNESSE : PISTES POUR UN BILAN ET DES PERSPECTIVES Francis Marcoin Armand Colin | « Le français aujourd'hui » 2005/2 n° 149 | pages 23 à 34 ISSN 0184-7732 ISBN 9782200920715 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-le-francais-aujourd-hui-2005-2-page-23.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Armand Colin. © Armand Colin. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. 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Comment parler de ces petites choses lorsque l’on est un journal sérieux ?1 Question qui du reste se pose aussi à l’enseignant : comment préserver la part de légèreté qui convient tout en faisant sa place au travail scolaire ou universitaire ? Qu’on la prenne au sérieux ou non, il semble que cette littérature reste dans son ghetto, reléguée dans des pages spéciales tenues par des spécialistes. On considérera comme une heureuse exception l’article de Françoise Balibar, « Les mots, le monde, les enfants. Sur Le Doudou méchant de Claude Ponti », paru dans le n° 646 de la revue Critique, entre un article sur Paul Ricœur et un autre sur Raoul Ruiz. À re- bours, cette littérature est souvent promue de manière exclusive : si l’on ne peut que se féliciter des instructions pour le cycle 3 de l’école primaire qui introduisent un corpus de titres ambitieux et surtout des méthodes d’appro- che rompant avec la scolastique, on peut craindre aussi l’ostracisme tou- chant tout texte non labellisé « LJ » (c’est-à-dire « littérature jeunesse », cet affreux syntagme) : il y a quelques années, l’auteur du manuel Côté lecture 2 a eu toutes les peines du monde à imposer « Choses du soir », un poème de Victor Hugo pourtant porteur par excellence de l’esprit d’enfance. Là est peut-être le nœud du problème : il n’est pas sûr que tous les livres « pour » l’enfance soient habités de cette enfance ; il n’est pas davantage sûr que nos critères de validité, essentiellement d’ordre « artistique », soient beaucoup plus pertinents que les anciens critères d’ordre moral qui ont, qu’on le veuille ou non, permis l’avènement d’une littérature de jeunesse, ou plus exactement d’une librairie de jeunesse. Une véritable recherche se doit d’être aussi une critique, non pas des autres mais de soi et de ses propres cer- titudes. À cet égard, on ne dira jamais assez la pertinence demeurée intacte d’un article déjà ancien de Jean-Claude Chamborédon et Jean-Louis Fabiani, « Les albums pour enfants, le champ de l’édition et les définitions sociales de l’enfance »3, où la nouvelle littérature enfantine est réinscrite dans un ordre de valeurs propre aux nouvelles classes moyennes. 1. Voir Muriel Louâpre, « Sous les marronniers des cours de récré », Histoires littéraires n° 18, 2004. 2. Brigitte Buffard-Moret, Côté lecture 6e, Bordas, 2000. 3. Actes de la recherche en sciences sociales, n° 13 et n° 14, 1977. © Armand Colin | Téléchargé le 09/03/2021 sur www.cairn.info (IP: 138.117.86.58) © Armand Colin | Téléchargé le 09/03/2021 sur www.cairn.info (IP: 138.117.86.58) Le Français aujourd’hui n° 149, La littérature de jeunesse : repères, enjeux et pratiques 24 Sachant que ces valeurs ont pour vocation de diffuser dans toute la société, une critique non asservie au discours publicitaire constatera la permanence du modèle qui a présidé à la naissance de l’édition pour la jeunesse, dans la dernière partie du XVIIIe siècle. Ce modèle, c’est celui du conte moral, et il suffit de considérer un album ou un récit d’aujourd’hui pour voir comment cette morale est prégnante, mais plus ou moins masquée par un ton d’humour, voire par des formes de provocation ou d’irrespect qui vont de pair avec de nouvelles injonctions touchant notamment les discriminations sexuelles ou ethniques. On pourrait observer aussi comment certains auteurs traitent de sujets comme l’inceste, dans une stratégie d’accompagnement des questions du jour. Jalons critiques Si l’on a coutume, à la suite de Roland Barthes, de séparer l’approche diachronique et l’approche immanente de l’œuvre, il n’est pas sûr qu’une critique même interne puisse s’élaborer sans une perspective historique. Bien plus, la critique doit se poser la question de son historicité et c’est sans doute sur ce point que l’inscription universitaire se fait décisive. Car l’approche journalistique est sans mémoire, redécouvrant chaque année son objet. Or, un propos a été tenu très tôt sur ce qu’on a d’abord appelé « bibliothèque d’éducation ». Dans Les Livres pour l’enfance et la jeunesse sous la Révolution4, Michel Manson a non seulement mis en évidence l’importance de cette production mais aussi l’existence d’un discours d’escorte dans des journaux prestigieux comme Le Mercure de France ou le Journal de Paris. Discours certes dominé par une perspective morale ou instructive mais qui permet de placer ces ouvrages adressés à la jeunesse dans la sphère publique. Si la naissance d’une librairie d’éducation indique que l’enfance devient une spécialité, celle-ci est en même temps au cœur du débat, et la première critique est donc journalistique, mais au sens d’alors puisque le journaliste est un publiciste écrivant des livres ou contri- buant à des périodiques, usant de son esprit critique. Et cette critique n’envisage pas encore une littérature enfantine qui serait exclusivement commandée par des principes esthétiques ou psychiques. Cette approche morale s’exprime tout au long du XIXe siècle, lors des séances solennelles de remise des prix Montyon d’utilité5 qui sont autant d’occasions pour l’Académie française de se pencher avec sollicitude sur de petits livres se voulant faits pour le public le plus humble, avec une confu- sion entre le peuple et l’enfant. De nombreuses sociétés philanthropiques, notamment celles pour l’instruction élémentaire mais aussi celles pour la régénération des délinquants ou pour la protection des animaux, font de même, passant commande ou offrant des récompenses accompagnées de discours qui constituent comme une chaine critique en faveur du bon livre, du livre utile que Baudelaire condamnera mais d’une façon para- 4. Institut national de recherche pédagogique, 1989. 5. Ce prix, qui doublait le prix de vertu destiné aux pauvres, récompensait des ouvrages utiles aux connaissances et aux bonnes mœurs. © Armand Colin | Téléchargé le 09/03/2021 sur www.cairn.info (IP: 138.117.86.58) © Armand Colin | Téléchargé le 09/03/2021 sur www.cairn.info (IP: 138.117.86.58) « Critiquer la littérature de jeunesse : pistes pour un bilan et des perspectives » 25 doxale puisqu’il s’attaque en même temps à l’école « plastique », c’est-à- dire à celle qui ne s’occupe que du Beau. En même temps, s’adressant à des enfants plus aisés, les « sommités » du monde romantique collaborent à la nouvelle presse des jeunes tout en démolissant ce qui a précédé. Louis Desnoyers, humoriste venu du Chari- vari et auteur d’un des premiers vrais romans pour la jeunesse, Les Mésa- ventures de Jean-Paul Choppart, ne trouve rien à sauver d’une telle bibliothèque. Posture récurrente : l’éditeur Hetzel, qui rééditera plus tard ce roman en lui donnant une préface, multipliera les prises de position et, ce faisant, édifiera une doctrine mais plus encore un discours promo- tionnel dont ses collègues seront friands. En effet, le secteur du livre de jeunesse, parce qu’il relève avant tout d’un concept éditorial, s’accompagne de professions de foi où ces éditeurs assassinent en général ce qui a été avant eux. Il faudrait donc ajouter une catégorie à celles que repère Albert Thibaudet dans sa Physiologie de la critique, la critique spontanée, la critique professionnelle, la critique des maitres6 : la critique éditoriale, ou du moins un propos éditorial qui prétend au statut critique et impose sa marque à ce qu’on appelle aujourd’hui les médiateurs du livre. Car la librairie de jeunesse a toujours eu à voir avec la littérature indus- trielle dénoncée par Sainte-Beuve, ce caractère d’industrie n’étant pas contradictoire avec les intentions morales ou même chrétiennes. Aujourd’hui, tout un pan des recherches universitaires se développe dans la perspective d’une histoire de l’édition qui rompt avec l’approche idéale des « charmeurs d’enfants », pour reprendre le titre d’un livre de M. Lahy- Hollebecque : les livres qu’on destine à l’enfant « devraient parler des merveilles secrètes dont il rêve »7. À la date où paraissent ces lignes, l’approche de la littérature enfantine exalte sa uploads/Litterature/ critiquer-la-litterature-de-jeunesse.pdf
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- Publié le Aoû 17, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
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