L’AME ROMANTIQUE L’état d’âme romantique, qui donne une couleur si particulière

L’AME ROMANTIQUE L’état d’âme romantique, qui donne une couleur si particulière { la première moitié du XIXe siècle, marque avant tout “une crise de la conscience européenne” (Paul Hazard et Philippe Van Tieghem). L’état d’âme romantique s’oppose { l’état d’âme des classiques – qui se caractérisait par un équilibre des facultés contrôlées par la raison (maîtresse de la pensée humaine), l’acceptation de la vie, de la société (malgré leurs imperfections et insuffisances), une attitude spirituelle et morale par excellence statique, dérivée du culte des modèles du monde antique et du christianisme comme forme de croyance traditionnelle dont le contenu vivifiant s’est évaporé (mais il sera réactualisé pour d’autres contenus, liés à la spiritualité). Le nouvel état d’âme dont certains préromantiques offraient déjà des exemples (le promeneur solitaire de Jean-Jacques Rousseau ou René, le personnage du roman éponyme de Chateaubriand) se généralise au tournant du siècle et se caractérise principalement par l’insatisfaction { l’égard du monde contemporain, l’inquiétude devant la vie et une tristesse sans cause précise qui accable de plus en plus l’être. C’est un état d’âme fait de déséquilibre entre les facultés, entre ce qui existe et ce { quoi l’on aspire. Selon ces critères, Goethe distingue entre classique et romantique, le premier type représentant, pour résumer, ce qui est « sain », tandis que le deuxième – ce qui est « malade ». Les mots doivent être ici pris avec détachement, sans aucune intention dévalorisante. C’est plutôt l’expression d’une tendance à simplifier pour tirer au clair des données et pour mettre en valeur la distance qui les sépare. Mais il ne faut pas oublier que parmi les précurseurs d’un René nous retrouvons aussi le jeune Werther de Goethe. Leurs souffrances se ressemblent beaucoup, ont les mêmes fondements, sont d’une même nature. Tel qu’on peut l’observer dans la citation qui porte sur l’inconcordance entre les aspirations et les possibilités ou limites de l’être : Notre imagination, portée par sa nature à s’élever, et nourrie de poésie, se crée une échelle d’êtres dont nous ne formerions guère que l’extrémité inférieure, où tout, en dehors de nous-mêmes, serait plus éblouissant, où l’autre serait plus parfait. (Les Souffrances du jeune Werther, Livre second, p. 110). Ailleurs, le même précurseur de René, le jeune allemand de Goethe, se plaint de son unicité comme fardeau : « Quelquefois je dis : « Ta destinée est unique ; tu peux estimer tous les autres heureux ; jamais mortel ne fut tourmenté comme toi. » Et puis je lis quelque ancien poète ; et c’est comme si je lisais dans mon propre cœur. J’ai tant { souffrir ! Ah ! Y a- t-il eu avant moi des hommes aussi malheureux ! » (idem, p. 146). Cet état d’âme se confond avec un malaise moral facilité par la situation historique (les guerres napoléoniennes, la “valse des régimes”) étant aussi aggravé par l’affaiblissement des croyances religieuses. On y ajoute la diminution du rôle de la raison comme guide, et l’augmentation de celui de l’imagination et de la sensibilité. En se laissant aller { ses rêves, aspirations et passions, l’homme romantique amplifie la distance qui se creuse entre le monde qu’il imagine et celui où il est contraint de vivre, libérant ainsi la voie du mal du siècle. Pour les romantiques allemands (Novalis, Hoffmann), la sensibilité est un état passif du cœur, chaos sentimental d’où rien de clair ne se dégage, mais que l’on prend pour un guide plus sûr que la raison, parce que le cœur de l’homme ne change pas avec le temps, comme le fait l’esprit (sous l’influence du développement des sciences). À ce sujet, Emile Faguet (critique et historien littéraire français, 1847-1916) écrivait: « Le fond du Romantisme c’est l’horreur de la réalité et le désir d’y échapper. On veut s’affranchir du réel grâce { l’imagination, s’en affranchir encore en s’en isolant et en se refermant dans le sanctuaire de la sensibilité personnelle ». Cette hypertrophie de l’imagination et de la sensibilité, facultés toutes personnelles qui se subordonnent les facultés proprement intellectuelles, engendre un égocentrisme qui orientera le lyrisme vers une voie fortement personnelle. Le genre narratif verra à son tour se développer cette direction personnelle (roman personnel / roman du moi, autobiographie, journal, roman par lettres, mémoires, etc.). Dans cette mise en valeur d’un moi toujours exacerbé, certains critiques ont vu le caractère le plus distinctif des romantiques. Jean Paul Richter1 appelait romantique l’élan vers la beauté indéterminée, vers l’infiniment beau, résultat du divorce entre l’idéal et le réel. L’âme romantique, grâce { sa richesse de facettes et de nuances, malgré ses lacunes et insuffisances, portée naturellement vers la beauté et les mystères du monde, renouvelle les lettres et les arts, en y introduisant les caractères les plus intimes. Le Romantisme est essentiellement lié à la jeunesse comme âge de tous les possibles, de l’élan irrépressible, de l’ouverture vers le nouveau, malgré les déceptions qui en découlent ou qui les entravent. Chez certains, l’état d’âme romantique est une crise de 1 Jean-Paul (Johann Paul Richter), 1763-1825; écrivain romantique allemand connu surtout pour son œuvre { caractère autobiographique, pour sa prédilection pour le rêve et le mystère du monde (Hesperus, Le Titan, La Loge invisible). jeunesse qui passera avec l’âge. Mais chez la plupart, cet état perdurera parce qu’il fait partie de leur nature foncière. Le fait de ne pas survivre à la jeunesse romantique peut être leur destinée même. Ainsi par exemple Novalis, Shelley ou Keats – disparus prématurément (avant l’âge de 30 ans), atteints de maladie ou en duel (Pouchkine, Lermontov), ou suicidés (Nerval). Il y en a encore qui sont frappés de maladies mentales en plein élan créateur (Lenau, Hölderlin, Eminescu). Ces jeunes hommes ont, pour la plupart, un tempérament nerveux, une âme aisément émue par la nature, la beauté, l’amour ; un esprit hardi, enclin aux paradoxes, à la démesure, séduit par les impulsions de la sensibilité. Les enfants du siècle ont à établir une difficile relation à eux-mêmes, aux difficultés de laquelle s’ajoute « l’ombre colossale de Napoléon », qui recouvre toute la première moitié du siècle. Pour illustrer le contexte psychologique et socio-historique, on pourrait essayer de revoir le premier et le deuxième chapitre de La Confession d’un enfant du siècle (Alfred de Musset). Dès les premières lignes du roman, le narrateur-sujet témoigne avoir été atteint « dans la première fleur de la jeunesse, d’une maladie morale abominable ». Et s’il avait été le seul { en souffrir, ce n’est pas sûr qu’il en aurait écrit : « Si j’étais le seul malade, je n’en dirais rien ; mais comme il y en a beaucoup d’autres que moi qui souffrent du même mal, j’écris pour ceux-l{, sans trop savoir s’ils y feront attention… » (p. 19). L{ c’est une sorte de préambule, bien que noté « Chapitre premier », car le « chapitre » n’occupe que quelques lignes. Le deuxième commence par une esquisse du cadre socio-temporel : « Pendant les guerres de l’Empire, tandis que les maris et les frères étaient en Allemagne, les mères inquiètes avaient mis au monde une génération ardente, pâle, nerveuse ». Du temps où « un seul homme était en vie en Europe », il se passait des choses bien paradoxales : Jamais il n’y eut tant de nuits sans sommeil (…), jamais on ne vit se pencher sur les remparts des villes un tel peuple de mères désolées ; jamais il n’y eut un tel silence autour de ceux qui parlaient de mort. Et pourtant, jamais il n’y eut tant de joie, tant de vie, tant de fanfares guerrières dans tous les cœurs ; jamais il n’y eut de soleils si purs que ceux qui séchèrent tout ce sang. (op. cit., p. 20-21). Ces enfants nés « au sein de la guerre, pour la guerre », qui « avaient rêvé pendant quinze ans des neiges de Moscou et du soleil des Pyramides », devront se confronter à une difficulté que personne n’avait prévue : le violent contraste entre la réalité et ce qu’on leur avait inculqué comme idée d’une réalité. Plus exactement : « Ils avaient dans la tête tout un monde ; ils regardaient la terre, le ciel, les rues et les chemins ; tout cela était vide » (ibid., p. 22). Une connaissance de l’âme romantique nous aide { comprendre plus facilement l’avènement de cet état qui recouvre, sous des aspects divers, et qui évoluent avec le temps, tout le XIXe siècle : le mal du siècle (évolution qui a permis la formation du pluriel « mals ») . De très bonne heure, la première génération romantique (celle de Chateaubriand) prend conscience de la singularité de son destin : « Nous avons le malheur d’être nés au moment d’une de ces grandes révolutions ; quel qu’en soit le résultat, heureux ou malheureux, pour les hommes à naître, la génération présente est perdue » (René de Chateaubriand, Essai sur les révolutions, 1797). La conscience de la modernité (comme conscience d’appartenir { une époque nouvelle et de pratiquer un art adapté à uploads/Litterature/ curs-l-x27-ame-romantique-et-le-mal-du-siecle-mars-2020.pdf

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