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Tous droits réservés © Les Presses de l'Université de Montréal, 1995 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne. https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. https://www.erudit.org/fr/ Document généré le 4 juin 2021 19:41 Études françaises De l’histoire à sa métaphore dans Le Devoir de violence de Yambo Ouologuem Josias Semujanga La représentation ambiguë : configurations du récit africain Volume 31, numéro 1, été 1995 URI : https://id.erudit.org/iderudit/035967ar DOI : https://doi.org/10.7202/035967ar Aller au sommaire du numéro Éditeur(s) Les Presses de l'Université de Montréal ISSN 0014-2085 (imprimé) 1492-1405 (numérique) Découvrir la revue Citer cet article Semujanga, J. (1995). De l’histoire à sa métaphore dans Le Devoir de violence de Yambo Ouologuem. Études françaises, 31(1), 71–83. https://doi.org/10.7202/035967ar De Phistoire à sa métaphore dans Le Devoir de violence de Yambo Ouologuem JOSIAS SEMUJANGA Dans Le Devoir de violence1, l'Histoire semble être un pont de jonction entre les discours qui traversent le roman, de sorte que des éléments élaborés ailleurs dans d'autres textes, intervenant subrepticement, créent un effet de réalité et d'évi- dence. Par le détournement incessant du langage et par la parodie généralisée, Le Devoir déroute le lecteur; et la repré- sentation par les mots semble elle-même mise en doute. On assiste à une métaphore, un transport généralisé d'un dis- cours à l'autre sans qu'il soit possible de définir un lieu d'ori- gine, un sens propre de l'Histoire. La question du sens propre est-elle encore pertinente puisque l'écriture vit de l'interstice entre l'Histoire et sa mise en fiction? LeDevoir décrit-il «vrai- ment» une réalité «locale» dans la langue de l'autre? Ses relations intertextuelles complexes ne font-elles pas de ce ro- man plutôt une illustration de tout processus de création litté- raire : une aventure ambiguë ? On le voit bien, le principe de la représentation, qui sous-entend qu'une langue fonctionne comme un système où les mots ne sont que des signes qui représentent la réalité 1. Yambo Ouologuem, Le Devoir de violence, Paris, Éd. du Seuil, 1968, 107 p. Dans la suite de l'étude le corpus sera désigné par Le Devoir et dans les citations par D, suivi du folio entre parenthèses. Études françaises, 31, 1, 1995 72 Études françaises, 31,1 extratextuelle, est un postulat au sujet duquel la controverse est loin de prendre fin. À cette théorie de la dénotation s'oppose celle qui fait de la représentation (du moins en litté- rature) un procédé par lequel l'écrivain détourne le sens des mots, les subvertit et leur fait dire autre chose; et le mot devient trope, métaphore. En réalité, la représentation litté- raire fait de l'écriture la résolution de l'ambiguïté du langage, qui emprunte à la langue naturelle une partie de sa capacité à construire et à ressaisir les objets de référence tout en gardant une certaine autonomie. Barthes ne dit-il pas justement que «la littérature est une tricherie salutaire, une esquive, un leurre magnifique, qui permet d'entendre la langue hors- pouvoir, dans la splendeur d'une révolution permanente2 » ? Sous cet angle, les referents romanesques, même s'ils participent, comme désignation des espaces ou des savoirs constitués, à la construction d'un ancrage historique ayant la forme d'un hors-texte, sont sémantiquement et syntaxique- ment réinvestis dans la systématicité littéraire. Ils se présentent alors sous forme de métaphore (ici l'Histoire) permettant le passage entre deux ordres de signes où la lecture apparaît comme une opération réalisant Y intersêmioticité du sens entre le roman et le contexte référé. Ainsi conçue, la représentation fonctionne comme une forme conventionnelle, un contrat entre le roman et son lecteur, qui consiste à lire le roman comme une référence à l'expérience humaine sans pour autant perdre de vue que, comme toute convention, la représentation litté- raire n'implique pas que l'on cherche nécessairement une adéquation entre les referents linguistiques et la réalité extra- textuelle. Dès lors les romanciers africains se retrouvent confrontés au principe fondamental de tous les écrivains : in- venter le monde avec les signes du langage tout en sachant l'irréductible impossibilité d'épuiser la réalité avec les mots. C'est cette forme de représentation que l'on étudie dans Le Devoir où l'ambiguïté, pour ainsi dire, tient à un jeu de mot autour de l'histoire. En effet, le roman convoque, évoque et révoque d'autres textes historiques de façon que le lecteur se retrouve devant un dilemme : de quelle histoire s'agit-il? Est- ce celle du narrateur (histoire) ? Est-ce celle du savant (His- toire) ? La parodisation systématique, qui couvre l'ensemble du texte, permet de montrer en quoi cette ambivalence sémantique de l'histoire est constitutive du sens du roman. L'analyse se fera en trois temps : (1) la référence à l'Histoire, (2) la parodie de cette référence et (3) la neutralisation des parcours axiologiques du roman. 2. Roland Barthes, Leçon, Paris, Éd. du Seuil, 1978, p. 16. Le Devoir de violence de Yambo Ouologuem 73 PARCOURS FIGURATIF DE L'HISTOIRE Le narrateur raconte l'histoire du Nakem depuis le XIIIe siècle jusqu'à l'aube des indépendances africaines. Comme il convient à la narration historique stricto sensu, le récit principal, en trois parties, est assumé par une narration extrahétérodiégétique avec un point de vue tantôt objectif tantôt subjectif. Dans de nombreux récits enchâssés, la rela- tion est assurée par des personnages aussi différents que Saïf roi du Nakem, l'ethnologue Shrobénius, Kassoumi fils de l'esclave du même nom ou l'évêque Henry. Comme tous les personnages se situent par rapport au projet de Saïf, ils lui sont alliés ou opposés. Malgré ses violences et ses cruautés, Saïf gagne tous les combats jusqu'au match nul l'opposant à l'évêque Henry, au dernier chapitre. Politicien rusé, il éli- mine tous ses adversaires ou alliés devenus inutiles à son projet. Les métarécits de même que les nombreuses descrip- tions, qui ralentissent la vitesse du récit, visent essentielle- ment à donner des détails sur l'histoire du royaume du Nakem et la dimension idéologique et morale des person- nages. La focalisation est tout entière sur le roi du Nakem et c'est à partir de lui que le narrateur évoque les peuples de l'Afrique, la colonisation et l'esclavage comme une grande fresque. Saïf est doublement chargé : selon ce que la fiction fait de la figure du roi du Nakem et selon la façon dont il est jugé par le narrateur. Enfin cette double référence s'enrichit d'une troisième, par une évocation à peine voilée du contexte d'énonciation du roman : « Véridique ou fabulée, la légende de Saïf Isaac El Heït hante de nos jours le roman- tisme nègre et la politique des notables en maintes répu- bliques» (D, 14) comme «l'actuelle République africaine de Nakem-Ziuko» (D, 12). Le charme du roman réside en grande partie dans cette imbrication des moments de l'his- toire africaine : Antiquité, Empires, colonisation et temps présent. C'est une synthèse de huit siècles de l'histoire afri- caine dont l'ampleur temporelle donne une force singulière à ce roi, symbole d'un pouvoir africain qui, d'après le narra- teur, serait depuis toujours égal à lui-même dans sa violence et son infamie. En maintenant une continuelle ambiguïté entre le vrai et le faux, le narrateur crédibilise la fiction, l'écriture et jette le doute sur ce qui est historique. Cependant, comme si elle jouait sur deux tableaux — la convocation des referents externes et la construction de l'effet romanesque —, la narration historique s'interrompt pour laisser place à la narration lyrique: deux couples s'aiment; deux récits enchâssés. Madoubo fils du roi Saïf, vient souvent 74 Études françaises, 31, 1 tenir compagnie à Sonia, la fille de l'ethnologue Shrobénius. «Les deux jeunes gens écoutaient souvent ensemble la musi- que en regardant les plages du fleuve Yamé. Un jour, ils tombèrent amoureux dans l'insouciance totale de leur race et du monde environnant» (D, 104). Kassoumi et Tambira, deux jeunes esclaves, connaissent eux aussi des moments de bonheur et d'amour lyrique, insouciants, naïfs et innocents au point que le roi Saïf finit par consentir à leur mariage. En racontant des récits où Saïf élimine ses adversaires (agents coloniaux et leurs collaborateurs), le narrateur crée, par ailleurs, un monde digne d'un roman policier où le hé- ros est nul autre que le sanguinaire Saïf qui, malgré ses for- faits, se montre très digne et compétent face à la maladresse de ses adversaires aussi crapuleux que lui. Commençant souvent par un démonstratif— «voici» — qui les intègrent au récit principal, ces récits enchâssés donnent à l'ensemble du roman l'allure d'un reportage objectif à la manière d'un journal télévisé, où le présentateur fait parler invariablement plusieurs correspondants. Au mode d'une chronique, qui respecte scrupuleusement l'ordre des événements depuis 1202 jusqu'autour des années 1940, se substitue celui d'une légende, caractérisé par la narration à l'indicatif, général et sans précision temporelle: «l'âge d'or est pour demain, quand tous les salauds crèveront» (D, 199). Devenu légende uploads/Litterature/ de-l-x27-histoire-a-sa-metaphore-dans-le-devoir-de-violence-de.pdf

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