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pdfcrowd.com open in browser PRO version Are you a developer? Try out the HTML to PDF API Entre-là Il n’y a plus tant à penser l’être, qu’à vivre et penser l’entre Search Le jadis est le partir inachevable… « Previous / Next » Penser par le milieu, cultiver l’équivocation- par Vinciane Despret By entre-là / 23 février 2013 / Lire, Rencontres / No Comments Nous reproduisons ici une belle contribution de Vinciane Despret lors de rencontres intitulées « Les pluriels de Barbara Cassin », à Cerisy-La-Salle. « Face à l’universel et au lieu de l’unicité du Vrai majuscule, que serait un relativisme conséquent, un plus vrai pour? Comment ce pluriel peut-il teinter le politique et rendre l’Europe habitable? Quelles pratiques du plus d’un livre, quelles pdfcrowd.com open in browser PRO version Are you a developer? Try out the HTML to PDF API pratiques du plus d’une langue faut-il pour penser jusqu’au bout le paradigme de la traduction? » Penser par le milieu, cultiver l’équivocation L’anthropologue Heonik Kwon étudie les relations des vivants et des morts dans le Vietnam contemporain — et notamment l’inventivité dont témoignent les personnes confrontées à la présence de fantômes de soldats américains et des réconciliations auxquelles ces rencontres engagent. Il raconte que dans la région du Da Nang où il mène son enquête, lorsque vous êtes en visite, à la fin de la conversation, vous recevrez un verre d’eau du puits dont on vous dira qu’il est celui que l’esprit vous offre. Ce premier verre d’eau, comme cadeau de l’esprit, est légèrement salé. Les suivants, puisés au même réservoir, ne le seront pas. Tout le monde ne peut goûter le sel de cette eau. Ceux qui ont l’âme lourde, en effet, n’y sont pas sensibles — notons que l’âme lourde, dans le discours religieux populaire, au contraire du bouddhisme institutionnel, n’a pas de connotation particulièrement négative, elle signifie simplement une moindre facilité pour une âme de communiquer avec d’autres âmes. Or, Kwon s’inquiète : il avoue n’avoir connu l’expérience du sel que de rares fois, au grand étonnement d’ailleurs de ses hôtes : comment un étudiant en fantômes, puisque c’est l’objet de sa quête anthropologique, peut-il être aussi peu compétent pour sentir le goût des esprits ? (104) Si cette question touche Kwon, l’expérience elle-même suscite sa perplexité. Comment une eau de puits peut-elle goûter l’eau de mer ? Et pourquoi pour certains et pas pour d’autres ? Est ce mon âme ou mon corps, se demande-t-il, qui reconnaît le sel ? Et si quelqu’un le reconnaît et d’autres pas, quel est celui qui a un problème, lui ou eux ? Il me vient, au moment où je prépare cette intervention, par une heureuse rencontre dont le hasard seul ne pourra pas rendre compte, de me retrouver à lire le beau texte de Plutarque sur les sanctuaires dont les oracles ont cessé. Dialogue important s’il en est, dans ma quête sur les relations des vivants à leurs défunts, puisqu’il me conforte dans l’idée que la question de comprendre la reviviscence de ces relations ne peut se poser qu’à la condition (je crois impérative) de la soumettre au regard de la question inverse : pourquoi ces relations s’étaient-elles affaiblies, pourquoi les morts n’avaient-ils plus rien à dire ? Ce sera une autre façon de partir du milieu. pdfcrowd.com open in browser PRO version Are you a developer? Try out the HTML to PDF API Mais revenons à Heonik Kwon, et à ses propres questions, et surtout à ce qu’il nous dit de la force proprement performatrice des questions. Car, à propos de celles-ci, écrit-il, à propos de savoir si le sel est dans l’eau ou dans la bouche (pour éviter de dire, dans la tête), s’il est normal ou non de la gouter, anormal de le faire ou de ne pas le faire, et comment comprendre cet étrange phénomène, je n’ai, conclut-il, aucune réponse raisonnable. « Mais, je le cite, à la place des réponses, l’expérience du sel spirituel m’a conduit à d’autres événements et à d’autres histoires, et ma soif de devenir capable de goûter comme les autres a ouvert de nouveaux accès pour comprendre ces événements et ces histoires (…) Un proverbe fréquemment évoqué au Vietnam est Les ancêtres ont mangé trop de sel, leurs descendants désirent de l’eau. Il peut y avoir, continue-t-il, quantité de significations à ce proverbe, et il peut être utilisé dans des contextes très différents. Et parmi ces significations/traductions, il y en a une qui se rattache à cette histoire : « les vrais désirs humains, dit ce proverbe, et je cite à nouveau Kwon, ne sont pas ceux d’un individu isolé. L’origine du désir est, comme le sel de l’eau offerte par l’esprit, chez quelqu’un d’autre, et ce n’est qu’en présence de cet autre que l’eau devient salée. Le désir de se souvenir et de commémorer, de même, peut être un désir qui émerge entre le passé et le présent, et qui est partagé entre celui qui se souvient et celui dont on se souvient » (105 et suiv.) Kwon vient, ce faisant, d’accomplir un geste beau et rare en anthropologie : non seulement il s’est laissé conduire par ses questions à un lieu où il ne s’attendait pas, il s’est laissé instruire par un processus de traduction par lequel il lui a été donné de résister à l’assignation. Il est reparti du milieu. Il a suivi les êtres dans ce qui les tenait. Je voudrais m’appuyer sur cette histoire, non seulement la dernière, celle que les autres ont engagée, mais cette totalité emboîtée d’histoires qui s’appellent, cette histoire qui commence par une intrigue, au double sens de ce qui fait intrigue et qui reçoit la puissance d’intriguer, qui continue par des questions, et qui s’épanouit dans une énigme, re-suscitant, rétroactivement, et les métamorphosant, l’intrigue, les questions, la perplexité, en énigmes. Car il s’agit somme toute d’énigmes, c’est-à-dire de questions qui n’attendent pas de réponse, mais qui mettent au travail sur un mode très particulier : qu’est ce qu’on fait avec cela ? A quel type d’épreuve est on appelé et dans quel régime de vitalité va-t-on se laisser saisir par elles ? On se laisse conduire, comme le fait Kwon, à d’autres événements et à d’autres histoires, en fabulant qu’ils vous attendaient et que l’énigme en était à la fois la clé et le guide. C’est ce que je voudrais faire ici, aujourd’hui, me laisser conduire, en me souvenant que c’est précisément pdfcrowd.com open in browser PRO version Are you a developer? Try out the HTML to PDF API ce que Barbara nous suggérait dans l’entretien qui préparait sa contribution au livre les faiseuses d’histoires : se laisser conduire dans le régime de la perméabilité et de la vitalité, et se laisser conduire de telle sorte à faire advenir quelque chose auquel on ne s’attendait pas. Je ferai donc le pari de la complicité des coïncidences, en me fondant sur leur possibilité de traductions multiples et la force fabulatrice de ces possibilités. Kwon m’a d’abord conduite, dans le cadre de la préparation de ce texte qui s’actualise dans mon exposé, à Plutarque, celui qui s’étonne, s’inquiète sans doute, de la disparition des oracles, et qui cherche à en élucider les causes tout en cherchant à ne pas insulter, ni les dieux, ni les génies, ni les prêtresses, ni les consultants. Kwon m’a rendue disponible à l’enthousiasme de cette rencontre, et Barbara n’est pas pour peu dans celle- ci ; je voudrais, avec la même confiance cheminer vers elle, mais un peu comme un aveugle compose un motif au dépars des fils qu’on lui tend, ou comme un sourd s’essaye à chanter. C’est Plutarque qui me l’enjoint : à propos de l’oracle des Thessaliens, il relaie celui-ci qui forme une énigme : « “Ce que voit un aveugle et ce qu’entend un sourd”. Eh bien !, commente Lamprias, son frère-avatar, la mémoire des faits est pour nous l’ouïe des sourds, et la vue des aveugles. C’est pourquoi, continue Lamprias-Plutarque, comme je l’ai dit, il ne faut pas s’étonner si la mémoire, saisissant ce qui n’est plus, anticipe sur une grande partie des choses qui ne sont point encore. Ces dernières lui conviennent davantage et elle y sympathise tout particulièrement. Elle se porte, elle s’élance vers l’avenir, tandis que de ce qui est passé et accompli elle se trouve disjointe, et elle n’y tient que par le souvenir. » Fin de citation. Je laisse là les oracles, mais garde précieusement ce qu’il formule de la voie que j’emprunte : il s’agira de cheminer en ​ inversant en quelque sorte la recollection de la mémoire pour collecter des choses à nous arriver. Dans la collecte, d’abord, puisqu’il s’agit de cheminer, une autorisation de passage, avec cette toute petite phrase de Barbara, comme un regret, un reproche peut-être, dans Voir Hélène en toute femme, et qui dit que « Aujourd’hui on ne croit plus aux fantômes. Ou alors, on a tellement peur d’y croire encore qu’à chaque fois qu’on raconte une histoire uploads/Litterature/ despret-vinciane-penser-par-le-milieu-cultiver-l-x27-equivocation-pdf.pdf

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