Revue belge de philologie et d'histoire Tibicinae, fidicinae, citharistriae, ps

Revue belge de philologie et d'histoire Tibicinae, fidicinae, citharistriae, psaltriae : femmes musiciennes de la comédie romaine Valérie Péché Citer ce document / Cite this document : Péché Valérie. Tibicinae, fidicinae, citharistriae, psaltriae : femmes musiciennes de la comédie romaine. In: Revue belge de philologie et d'histoire, tome 80, fasc. 1, 2002. Antiquite - Oudheid. pp. 133-157; doi : https://doi.org/10.3406/rbph.2002.4612 https://www.persee.fr/doc/rbph_0035-0818_2002_num_80_1_4612 Fichier pdf généré le 16/10/2018 Tibicinae,fidicinae, citharistriae, psaltriae : femmes musiciennes de la comédie romaine Valérie PÉCHÉ Conservateur des antiquités et objets d'art de l'Eure Dans leur grande majorité, les musiciennes de l'Antiquité gréco-romaine sont des femmes d'humble condition. Celles dont l'histoire a retenu les noms ont défrayé la chronique par leurs frasques bien plus que par leur talent. Les autres, plus nombreuses, viennent gonfler la foule des anonymes dont les fresques, les mosaïques, les reliefs, les inscriptions et les textes nous livrent les représentations convenues. Exclues des concours jusqu'au Ier s. av. l.-C.C), rarement appelées au service de la religion, les αύλητρίδες grecques et les tibicinae romaines vont surtout exercer leur art dans les festins et les banquets où leurs talents sont vivement appréciés. Dans ces réunions de convives, elles excitent des transports de tous ordres, à la fois par leurs charmes, leur séduction, leur musique lascive, et exercent sur tous un attrait considérable. L'exemple de l'Egypte et des autres nations orientales n'a pas été étranger à cette évolution ; quelques siècles plus tard, à Rome, c'est un collège de musiciennes syriennes qu'Horace mettra au premier rang du cortège hétéroclite et larmoyant qui accompagne la dépouille du chanteur sarde Tigellius(2). À l'époque hellénistique, ces artistes font partie de la suite ordinaire des princes quand elles n'en partagent pas la couche. Séductrices hors pair, elles sont passionnément aimées des plus grands ; « bon nombre d'hommes se sont rendus les esclaves abjects de ce genre de femmes, aulétrides samiennes ou danseuses, Aristonika, Oenanthé, avec son tambourin, et Agathokléa, qui ont foulé aux pieds les diadèmes des rois » écrit Plutarque(3). Les érudits s'occupent de réunir les éléments de la biographie des plus célèbres : les Galateia(4), (1) L'exemple le plus célèbre est celui de Polygnota de Thèbes, connue par un décret de Delphes ; voir A. BÉLIS, Les termes grecs et latins désignant des spécialités musicales, dans RPh, 62, 1988, p. 245-246. En fait, c'est surtout à l'époque romaine que leur participation à des fêtes, en tant que musiciennes professionnelles et de mœurs respectables, se soit normalisée. (2) HORACE, Satires I, 2, 1-3. Ces musiciennes tiraient leur nom de l'instrument dont elles jouaient : Vabub ou ambub. Voir à ce sujet R., Ambubaiae, dans RE, I, 1877, col. 226, et le passage consacré aux ambubaiae dans l'article d'A. BÉLIS, Les termes grecs et latins [n. 1], p. 239-240. (3) Plutarque, Amatorius, 753 d. (4) ATHÉNÉE, Deipnosophistes, I, 6 f. 134 VALÉRIE PÉCHÉ Bromias(5) ou Lamia, dont le nom est à jamais associé aux débauches notoires du roi de Macédoine, Démétrios Poliorcète, le Preneur de villesi6). La popularité de ces musiciennes est telle que les poètes de la comédie dite moyenne (avec Antiphane notamment), puis de la comédie nouvelle (avec Ménandre), vont créer un type littéraire qui, élaboré en Attique, va franchir les mers et servir de modèle aux auteurs de la comédie romaine(7) : Titinius, auteur de togatae contemporain de Térence, écrit la Tibicina et la Psaltria siue Ferentinatis ; chez les comiques latins se multiplient les personnages de danseuses, de joueuses de tibia, de lyre, de cithara ou de harpe (tibicinae, fidicinae, citharistriae, psaltriae), toujours associés à la vie de plaisirs. C'est le type même de la musicienne qui anime les banquets de Rome, si semblables à ceux d'Athènes ou d'Alexandrie, où régnent l'ivresse, la volupté et la satisfaction immédiate des sens. Les contemporains de Plaute désignent cette existence, nécessairement imputable à la mauvaise influence de leurs voisins méditerranéens, par le terme pergraecari(s), « vivre à la grecque ». La vérité est que, dans bien des cas, les femmes musiciennes à Rome côtoient de fort près la condition des courtisanes auxquelles on demande, atout supplémentaire, de savoir chanter, danser et jouer d'un instrument. La ville regorge de ces artistes aux dons multiples qui savent, pour distraire les clients, se conduire à l'occasion comme de véritables marchandes de plaisir. C'est la meretrix tibicina qui attire dans ses filets la jeunesse romaine. Dans presque toutes les pièces de Plaute et de Térence, elles sont les personnages autour desquels se tisse l'intrigue : lesjeunes gens tombent facilement amoureux de ces filles sensuelles et lascives qui partagent avec eux le goût de la fête et des plaisirs charnels. À la scène, plus encore peut-être qu'à la ville, celles-ci sont avant tout d'origine grecque. Leur nom apparaît parfois dans la table des personnages qui figure en tête des manuscrits de certaines pièces(9). Mais on trouve également des filles venues des lointaines contrées de l'Orient. Dans le Stichus de Plaute, l'esclave Pinacius se joue de Panégyris en lui racontant que son mari, parti depuis trois ans guerroyer en Asie, ramène avec lui des joueuses de lyre, de tibia et de sambyque d'une beauté incomparable : fidicinas, tibicinas, / sambucas aduexit secum forma eximia(10). Les auteurs respectent le goût de leurs contemporains qui demandent qu'on leur présente une « Grèce de convention où tout sera grec »(n). La musicienne-courtisane de souche romaine (5) ATHÉNÉE, Deipnosophistes, XIII, 605 b. (6) Plutarque, Démétrios. Voir notamment F. LE CORSU, Plutarque et les femmes dans les Vies parallèles, Paris, 1981, p. 155-157. (7) À titre d'exemple, ΓΆυλητρίς ή Διδυμαι d'Antiphane, ΓΆρρηφόρος ή Αύλητρίς de Ménandre ou ΓΑυλητρίς de Diodore. (8) Plaute, Mostellada, 961. (9) PLAUTE, Aulularia : Phiygia, Eleusium (tibicinae) ; Épidicus : Acropolistis (fidicina) ; également dans la Mostellaria, 970 : Philematium (tibicina). (10) Plaute, Stichus, 380-381. (11) FI. DUPONT, L' Acteur-roi ou le théâtre à Rome, Paris, 1985, p. 248. TIBICINAE, FIDICINAE, CITHARISTRIAE, PSALTRIAE 135 est absente de la scène car il eût sans doute déplu au public de Rome de voir porter au théâtre une compatriote dans un rôle si peu conforme à la morale établie par le mos maiorum, la coutume des ancêtres. À ses yeux la nationalité de ces femmes ne fait aucun doute et va de pair avec le métier qu'elles pratiquent. Comme le fait remarquer Alain Baudot, « beaucoup de la séduction qu'elles exercent ou, au contraire, de la répulsion qu'elles inspirent, naît non seulement de leur conduite, mais de leur origine même, car elles incarnent le mythe éternel de la séduisante étrangère dont on redoute et recherche à la fois les avances >>(12). Doit-on pour autant considérer la courtisane hellénistique comme l'archétype de toutes les musiciennes de la comédie latine ? Les pièces de Plaute, notamment, abondent en professionnelles qui prêtent leur concours à des activités autrement respectables : on les voit accompagner les sacrifices domestiques, les festins et les chants nuptiaux. Il est intéressant de noter que la généralisation qui, à Rome, consiste à juger toutes les joueuses de tibia ou d'instruments à cordes à partir d'un seul individu se fait toujours de manière négative, en partant du bas de l'échelle, ce qui, d'une certaine manière, peut expliquer les critiques virulentes formulées par certains auteurs sur la profession de ces femmes. Lorsqu'au Ier s. av. J.-C. Horace mentionne la meretrix tibicina, la musicienne vénale dont il craint qu'elle ne séduise son intendant, veut-il insinuer par là qu'on ne saurait être musicienne sans devenir dans le même temps courtisane ? Son accusation, qui vise avant tout la femme aux mœurs équivoques, risque également de s'étendre à toutes les musiciennes, quelles que soient leurs spécialités. Et pourtant, on constate parmi les instrumentistes qui peuplent les comédies de Plaute et de Térence les mêmes distinctions sociales et économiques qu'entre leurs collègues masculins : au sein d'une même catégorie d'artistes, les unes exercent un métier honorable, les autres sont méprisées. C'est à ces femmes - musiciennes-courtisanes et artistes professionnelles de tout genre - que l'exposé qui va suivre est consacré. Qui sont-elles ? De quels instruments jouent-elles? À quelles occasions fait-on appel à leurs services ? Autant de questions auxquelles il convient de répondre pour tenter de cerner la place qu'elles occupent dans la vie musicale de l'époque républicaine^3). Certes, il y a peu de différences en apparence entre l'aulétride athé- (12) A. BAUDOT, Musiciens romains de l'Antiquité, Montréal, 1973, p. 69. (13) La bibliographie sur la question est assez restreinte. À titre non exhaustif, citons : G. ACHARD, La Femme à Rome, Paris, 1995 ; A. BAUDOT, Musiciens romains [n. 12] ; Cl. CHARBONNIER, La courtisane de Plaute à Ovide, dans BAGB, 1, 1969, p. 451-550 ; F. LE CORSU, Plutarque et les femmes [n. 6] ; O. NAVARRE, Meretrices, dans DA, III, 1904, p. 1823-1839 ; Th. REINACH, Tibia, dans DA, V, 1919, p. 328-330 ; C. SALLES, Les Bas-fonds de l'Antiquité, Paris, 1995 ; K. SCHNEIDER, Hetaira, dans RE, VIII, 1913, col. 1331-1372 et Meretrix, dans RE, XV, 1931, col. 1018-1027 ; V. Vanoyeke, La Prostitution en Grèce et à Rome, uploads/Litterature/ peche-valerie-tibicinae-fidicinae-citharistriae-psaltriae-femmes-musicciennes-de-la-comedie-romaine.pdf

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