Lahontan Dialogues avec un Sauvage Édition préparée par Réal Ouellet DIALOGUES

Lahontan Dialogues avec un Sauvage Édition préparée par Réal Ouellet DIALOGUES AVEC UN SAUVAGE LAHONTAN DIALOGUES AVEC UN SAUVAGE suivi de GUEUDEVILLE-LAHONTAN CONVERSATIONS DE L ’ AUTEUR AVEC ADARIO, SAUVAGE DISTINGUÉ Édition préparée par Réal Ouellet La collection « Mémoire des Amériques » est dirigée par David Ledoyen. Photo de la couverture : fourneau de calumet en pierre © The Trustees of the British Museum © Lux Éditeur, 2010 www.luxediteur.com Dépôt légal : 2e trimestre 2010 Bibliothèque et Archives Canada Bibliothèque et Archives nationales du Québec ISBN : 978-2-89596-105-5 Ouvrage publié avec le concours du Conseil des arts du Canada, du programme de crédit d’impôts du gouvernement du Québec et de la SODEC. Nous reconnaissons l’aide fnancière du gouvernement du Canada par l’entremise du Programme d’aide au développement de l’industrie de l’édition (PADIÉ) pour nos activités d’édition. INTRODUCTION D ANS L’ÉVOLUTION de la pensée européenne, l’œuvre de Lahontan, publiée en 1702-1703 et longtemps négligée, apparaît, depuis un quart de siècle, comme un jalon important, à l’aube des Lumières, pen- dant la période de « crise de la conscience » qu’a bien analysée Paul Hazard en 1935 1. On a d’abord retenu de cette œuvre une critique sévère de la politique coloniale française et des hommes en place, à commencer par Pontchartrain, le secrétaire d’État à la Marine. Pareille critique, qui a valu à son auteur l’inimitié de l’admi- nistration et l’a empêché de rentrer en grâce auprès du pouvoir, attaque encore plus vivement les valeurs et orthodoxies européennes dans les domaines du poli- tique, de la philosophie et de la théologie. En reprenant le mythe du «Bon Sauvage», les Dialogues ont redonné vie au stéréotype du « philosophe nu » qui conteste toutes les valeurs de la civilisation. Après avoir connu un succès immédiat et reten- tissant lors de sa parution en 1702-1703, l’œuvre de Lahontan a subi un rapide déclin, puisqu’on ne l’a pas 1Paul Hazard, La crise de la conscience européenne, 1680-1715, Paris, Boivin, 1935. 8 DIALOGUES AVEC UN SAUVAGE rééditée entre 1741 et le début du XXe siècle 1. Elle aurait été oubliée au XIXe en Europe, si deux grands écrivains ne l’avaient signalée : l’un pour la vilipender, l’autre pour la louanger à l’extrême. En 1802, dans son Génie du chris- tianisme, Chateaubriand écrit, comme s’il avait été lui- même ofensé : «On ne rougit pas de préférer, ou plutôt de feindre de préférer aux voyages des Dutertre et des Charlevoix, ceux d’un baron de La Hontan, ignorant et menteur 2.» Soixante ans plus tard, l’historien Michelet voit en lui un précurseur, non seulement de Rousseau, mais aussi de tout le XVIIIe siècle contestataire : Quoiqu’on lût peu, les livres, ceux de Hollande, défendus et proscrits, les manuscrits furtifs, avaient grande action. On se passait Boulainvilliers, son ingé- nieuse apologie de Mahomet et du mahométisme. Mais rien n’eut plus d’efet que le livre hardi et brillant de Lahontan sur les sauvages, son frontispice où l’Indien foule aux pieds les sceptres et les codes (leges et sceptra terit), les lois, les rois 3. C’est le vif coup d’archet qui, vingt ans avant les Lettres persanes, ouvre le dix-huitième 4. 1Sur la fortune de cette œuvre, voir l’introduction dans : Lahontan, Œuvres complètes, édition critique par Réal Ouellet et Alain Beaulieu, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, coll. « Bibliothèque du Nouveau Monde », p. 102-199. 2Essai sur les révolutions. Génie du christianisme, IVe partie, livre IV, chap. I, éd. par M. Regard, Paris, Gallimard, « Biblio- thèque de la Pléiade », p. 972. 3La page frontispice est reproduite plus loin, p. 53. 4Histoire de France au dix-huitième siècle, vol. 14 : La Régence, Paris, Chamarot, 1863, p. 178-179. Dans sa préface, l’historien écrivait encore : «Un admirable petit livre, Le Canada de Lahon- tan, arrivait de Hollande, révélant la noblesse héroïque de la vie sauvage, la bonté, la grandeur de ce monde calomnié, la frater- INTRODUCTION 9 Au Canada français, pendant ce temps, Lahontan demeurait très présent dans l’historiographie, en raison des attaques systématiques dont il était l’objet. Élaborée après l’insurrection avortée de 1837-1838, cette historio- graphie raconte le passé pour racheter le présent. Les Canadiens du Régime français, bien loin d’être ces aven- turiers frondeurs et immoraux que présente Lahontan, étaient respectueux de l’autorité civile et religieuse et de l’ordre établi. Deux pages de la lettre II des Nouveaux Voyages, sur les « flles du Roi », ont surtout retenu l’at- tention des historiens : Lahontan les présentait comme des « flles de moyenne vertu » dont « les plus grasses furent plûtôt enlevées que les autres 1 » et que « les époux choisissoient […] de la maniére que le boucher va choisir les moutons au milieu d’un troupeau » (Œuvres complètes, p. 266-267). L’indignation est tellement vive que certains, tel Benjamin Sulte, interpellent Lahontan comme s’il était toujours vivant : « Mais, qu’il ne vienne pas faire entendre que ces choses ont eu lieu au Canada, car il trouvera à qui parler ! Nous qui savons par les menus détails comment s’est peuplé notre pays, nous avons le droit, le devoir et le pouvoir de qualifer selon leur mérite les écrivains insensés qui afchent une igno- rance si complète et si désagréable 2. » nelle identité de l’homme. C’est Rousseau devancé de plus de cinquante ans. » 1Étrangement, ce détail croustillant se retrouvera encore sous la plume de la romancière Anne Hébert en 1988 : « Les plus grasses ont été choisies les premières » (Le premier jardin, Paris, Seuil, p. 97). 2Mélanges historiques. Vol. 17 : Défense de nos origines, Montréal, Édouard Garand, 1930, p. 56. 10 DIALOGUES AVEC UN SAUVAGE Sous la plume d’un autre historien, Joseph-Edmond Roy, Lahontan deviendra l’inculpé d’un véritable procès : «Le dossier de l’inculpé paraît maintenant au grand jour et il est à peu près complet. Avant que sentence fnale soit rendue, résumons en quelques traits ce qui ressort de la carrière et du caractère de ce personnage multiple» (p. 189). Pourquoi ? Parce qu’il a osé calomnier les Cana- diens : « Ofcier de marine, Lahontan partagea contre les Canadiens 1 tous les préjugés des siens. Les racontars de ce cadet de Gascogne, aigri, frondeur, mauvais sujet, buveur et querelleur, nous ont fait un tort considérable. Nos ennemis se sont emparés de ces mensonges comme d’une arme, et depuis deux siècles, on nous les lance à la fgure. 2 » À cette « calomnie » touchant les flles du Roi 3, s’ajoutent les nombreuses attaques contre l’orthodoxie religieuse, le clergé, l’administration, et les fameuses pages sur la rivière Longue, qui suscitent encore aujour- d’hui des interrogations 4. 1Dans les Memoires, Lahontan écrivait pourtant : « les Cana- diens ou Creoles sont bien faits, robustes, grands, forts, vigoureux, entreprenans, braves & infatigables, il ne leur manque que la connoissance des belles Lettres. Ils sont presomptueux & rem- plis d’eux-mêmes, s’estimant au dessus de toutes les Nations de la Terre » (Œuvres complètes, p. 623). Il suft d’interroger le texte de Lahontan au mot « Canadiens » pour y voir accolés des qua- lifcatifs positifs comme « bien faits », « habiles », « adroits », « bons chasseurs »… 2Joseph-Edmond Roy, Le baron de Lahontan, p. 164. 3Pour une étude sans parti pris et bien documentée sur les flles du Roi, voir Yves Landry, Orphelines en France, pionnières au Canada. Les Filles du roi au XVIIe siècle, Montréal, Leméac, 1992. 4Voir, par exemple, l’étude récente de Peter H. Wood, « The Mysterious 1688 Journey of M. Lahontan », disponible INTRODUCTION 11 On comprend que la méfance et l’animosité colore- ront longtemps le jugement porté sur Lahontan. Ainsi, en 1986, on lit encore dans le Guide du chercheur en histoire canadienne : « On attache peu de valeur comme source historique aux œuvres de Lahontan. On lui reproche d’avoir accommodé les faits à des fns litté- raires 1. » Pendant la décennie 1970, toutefois, le jugement porté sur Lahontan des deux côtés de l ’Atlantique chan- gera radicalement, avec l’élargissement et l’approfondis- sement du corpus littéraire provoqués par une approche des textes inspirée du marxisme 2 en France et de la Révo- lution tranquille au Québec. D’une part, il fallait le don- ner à lire dans une édition fable et bien documentée 3, sur la toile : http ://www.uga.edu/colonialseminar/P. Wood Paper.pdf. 1Publié «sous la responsabilité de Jacqueline Roy », Québec, Presses de l’Université Laval, 1986, p. 300. Une édition de 1969 du même Guide, sous la direction d’André Beaulieu, Jean Hame- lin et Benoît Bernier, contenait la même phrase (p. 269) inspirée de Charlevoix et de Robert Le Blant. 2Cette approche, marquée par une interrogation de type sociologique, apparaît nettement, par exemple, dans une remar- quable collection aujourd’hui disparue, « Les classiques du peuple», publiée par les Éditions sociales, pendant les décennies 1950-1970. Maurice Roelens y ft paraître, en 1973, les Dialogues de Lahontan, avec une substantielle introduction. 3C’est ce que, en équipe, nous avons voulu réaliser avec la publication des Œuvres complètes en 1990, aux Presses de uploads/Litterature/ dialogues-avec-un-sauvage.pdf

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