NOTE DE SYNTHÈSE Revue française de pédagogie, n° 159, avril-mai-juin 2007, 139
NOTE DE SYNTHÈSE Revue française de pédagogie, n° 159, avril-mai-juin 2007, 139-189 139 État des recherches en didactique de la littérature Bertrand Daunay Depuis que la didactique du français s’est constituée comme champ de recherche, la question de l’enseignement de la littérature a toujours été centrale, même si l’approche didactique de la littérature apparaît davantage comme un espace de questions que comme un lieu de construction d’une théorie cohérente de la littérature, de son enseignement et de son apprentissage. Concernant l’enseignement de la littérature, la didactique du français est essentiellement un champ de discussions théoriques, qui portent aussi bien sur le statut des objets enseignables et sur les conditions de leur enseignabilité que sur la sélection des outils théoriques permettant l’approche de ces objets. Si, aux fondements de la didactique de la littérature, c’est la contestation de l’enseignement traditionnel qui domine, sur des postulats théoriques à forte teneur idéologique, de nombreuses recherches descriptives ont interrogé aussi bien la notion de littérature que les pratiques de lecture des élèves comme les pratiques effectives d’enseignement de la littérature. Au cœur des recherches didactiques se place la question de la sélection des savoirs et des pratiques (lecture et écriture notamment) susceptibles de devenir objets d’enseignement et d’apprentissage, à tous les niveaux du cursus scolaire. Descripteurs (TEE) : culture, élaboration de moyens d’enseignement, élèves, lecture, littérature, matière d’enseignement, pratique pédagogique, transposition didactique. INTRODUCTION Quoi de commun entre le diagnostic d’une « crise de l’enseignement de la littérature » que faisait Pierre Kuentz en 1972 (p. 26) et cette déclaration en ouver- ture des actes d’un colloque récent (Fraisse & Houdart-Merot, 2004, p. 9) : « Dans la France d’aujourd’hui, chacun s’accorde à reconnaître que les études littéraires sont en crise » ? Sans doute pas grand-chose, sinon cette impression de crise qui fait irruption régulièrement dans le débat public ou savant sur les questions scolaires, s’agissant particulièrement de l’enseignement du français et/ou de la littérature (Reuter, 1985 ; Boutan & Savatovski, 2000) et qu’a réactivée récemment 140 Revue française de pédagogie, n° 159, avril-mai-juin 2007 en France l’introduction de nouveaux programmes des lycées (pour une analyse didactique de ces discours, cf. notamment Paveau, 2001 ; Plane, 2001 ; Daunay, 2003 ; Bertucci, 2004 ; Coget, 2005). Entre les deux périodes, s’est opéré un changement de perspective : P . Kuentz voit en jeu, dans la « crise de l’enseignement » qu’il pose, la littérature elle-même, en ce qu’elle « oblige à reconnaître que ce terme ne désigne qu’une configura- tion historique de pratiques discursives, qui s’est constituée tardivement et qui est en train de se défaire » (1972, p. 26). La « crise » d’aujourd’hui (1) repose sur l’éviction de cette question de la définition de la littérature, qu’elle soit posée comme évidente ou impossible, au profit d’une interrogation des modalités de sa transmission. Or, entre ces deux moments, la didactique du français langue maternelle s’est constituée comme champ de recherche sur l’enseignement du français, matière scolaire à laquelle est dévolue depuis plus d’un siècle l’enseignement de la litté- rature dans le secondaire (Jey, 1998). Il est intéressant de faire le point sur ses apports en la matière, pour tenter de comprendre comment une crise initiale, qui fut fondatrice de ce champ, n’empêche pas aujourd’hui une autre crise, qui le met précisément en cause. C’est ce que vise cette synthèse des recherches en didactique de la litté- rature, à tous les niveaux d’enseignement, dans l’espace francophone. Cette limitation spatiale et linguistique s’explique à la fois par l’objet d’enseignement- apprentissage (le statut de la littérature française dans les pays francophones pose des questions spécifiques), les objets de recherche (le rôle des théories de la littérature a été particulièrement important dans les travaux didactiques fran- cophones sur la littérature) et le champ de recherche (c’est au sein de la didacti- que du français langue maternelle que s’est posée de façon cruciale la place de l’enseignement de la littérature). Parler de la didactique de la littérature est ici une commodité pour désigner les approches didactiques de la littérature, comme on parle de la didactique de la grammaire, de l’orthographe, de l’oral… Ce n’est pas prendre parti dans un débat récurrent au sein de la didactique du français langue maternelle, plus ou moins fortement accentué selon les périodes et aujourd’hui résurgent, sur la pos- sible autonomisation d’une didactique de la littérature, débat dont rend compte le texte d’orientation de l’Association internationale pour la recherche en didacti- que du français langue maternelle (DFLM) (2) de 1998 : « Les spécificités du fait littéraire justifient-elles une autonomisation plus radicale de son champ, ou, bien plutôt un va-et-vient dialectique entre les démarches centrées sur l’appropriation du fait littéraire et celles qui privilégient le développement de la lecture et de l’écriture ? ». Comme le fait apparaître cette remarque, la question a partie liée à la concep- tion de la matière d’enseignement, la littérature pouvant être conçue comme auto- nome ou comme partie intégrante du « français ». À cet égard, Bernard Schneuwly (1998, p. 270 sq.) suggérait de « faire de la littérature un objet clairement repéra- ble, clairement délimité », dans la mesure où elle « est un objet culturel qui a des discours de référence multiples, mais disciplinairement relativement bien définis, c’est-à-dire avec des disciplines académiques de référence ». Cette autonomisa- tion renvoie en fait à deux types de positions complémentaires l’une de l’autre : distinguer l’enseignement-apprentissage du français de celui de la littéra- ture peut avoir pour effet d’éviter, en français, les dysfonctionnements que l’on observe du fait de la place ambiguë de la littérature, en lui attribuant • État des recherches en didactique de la littérature 141 plutôt, dans le cadre de l’enseignement du français, un rôle d’« adjuvant » (Reuter, 1992, p. 10) ; le point de vue change quand on voit là, inversement, la volonté d’« affranchir » la didactique de la littérature « du cadre et des modèles de la seule didactique du français langue maternelle », dans le but cette fois de « repenser à nouveaux frais ce qui fait la spécificité de son objet et de ses finalités » (Legros, 2005, p. 46). Ces propositions ne veulent pas nécessairement faire éclater la matière « fran- çais », même si l’on évoque une différenciation plus nette des composantes de la matière : G. Langlade (2004b), par exemple, plaide pour une « autonomie relative » et ne vise pas une « revendication d’indépendance ». Un point de vue plus radical est adopté par d’autres, comme Jean-Paul Bernié (2004), qui défend l’idée d’un découpage disciplinaire qui soit isomorphe à des « communautés discursives » identifiables : de ce point de vue, la « littérature » et la « grammaire » seraient deux disciplines distinctes, à côté des savoirs et des savoir-faire liés aux prati- ques langagières propres à chaque discipline. Cette autonomisation de la matière scolaire est contestée par d’autres didac- ticiens : conçu, dans une perspective intégrative, comme une discipline où se construisent les problématiques d’enseignement-apprentissage des compéten- ces langagières (cf. Halté, 1992), le « français » inclut la littérature, susceptible de traitements spécifiques en partie, mais en partie seulement (cf. Maingueneau, 2003). Ces questions sont bien traitées au sein de la didactique du français, comme champ de recherche unifié ; néanmoins, il est frappant de voir se multiplier dans les années 1990 les articles, les ouvrages ou les chapitres d’ouvrages qui por- tent le même titre « Pour une didactique de la littérature » : A. Petitjean (1990) ; La lettre de la DFLM, n° 10 (1992) ; P . Yerlès & M. Lits (1992) ; L’École des lettres, n° 9 (1993, p. 109-150) ; A. Séoud (1997) ; la troisième partie de l’ouvrage de M.-J. Fourtanier & G. Langlade (2000)… Proclamation programmatique (et volon- tariste) (3) qui trouve son aboutissement dans la création des annuelles « Ren- contres des chercheurs en didactique de la littérature », depuis 2000, même si, dès 1997, pouvait être réalisée au Québec une synthèse sous forme de « bilan et perspectives » de la « didactique de la littérature » (Noël-Gaudreault, 1997). Quoi qu’il en soit de l’évolution du ou des champ(s) didactique(s) en question, il n’est pas temps encore d’une synthèse des recherches qui se revendiquent d’une « didactique de la littérature » : il est possible en revanche d’embrasser les recherches effectuées dans les approches didactiques de la littérature depuis une trentaine d’année, si l’on s’accorde, comme la plupart des didacticiens, à dater des années 1970 la naissance de la didactique du français, et c’est en ce sens qu’il faut entendre ici l’expression « didactique de la littérature », employée par commodité d’usage. La didactique de la littérature apparaît davantage comme un espace de ques- tions que comme un lieu de construction d’une théorie cohérente de la littérature, de son enseignement et de son apprentissage. Loin d’être un champ de recherche qui aurait su imposer ses vues dans la constitution des programmes d’enseigne- ment, comme le reproche lui en est parfois fait, la didactique du uploads/Litterature/ didactique-de-la-litterature.pdf
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- Publié le Mar 27, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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