Expliquer un texte littéraire : ce que la recherche en didactique de la littéra

Expliquer un texte littéraire : ce que la recherche en didactique de la littérature peut apporter au renouvellement et à la diversification des pratiques Si nous sommes tous d’accord sur la nécessité d’en finir avec une « conception étriquée de la littérature, qui la coupe du monde dans lequel on vit » (T. Todorov) et de donner du sens à la lecture et à l’étude des textes littéraires, reste cependant entière la question du « comment ». Comment en particulier susciter l’intérêt pour la littérature ? Ce que je voudrais apporter ici, ce sont quelques pistes proposées par les recherches en didactique de la littérature. Car il me semble difficile désormais de faire l’économie d’une telle didactique si on veut permettre à tout enseignant, et pas seulement à quelques maîtres charismatiques, d’enseigner la littérature. Je commencerai par rappeler rapidement les raisons pour lesquelles a émergé une didactique de la littérature dans les années 90. Puis je donnerai une vision d’ensemble de ses ancrages théoriques et de ce à quoi elle s’intéresse, avant d’aborder plus longuement les propositions didactiques sur lesquelles débouchent ces recherches à travers la question du sujet lecteur. Les deux premières parties seront volontairement courtes, car destinées avant tout à donner le cadre dans lequel s’inscrit la réflexion sur le sujet lecteur que je développerai plus longuement. I. De la didactique du français à la didactique de la littérature 1. La constitution d’une didactique du français et non des lettres dans les années 701 La didactique du français qui s’est constituée dans les années 70 s’est largement construite contre l’enseignement des lettres2 et en particulier contre le modèle traditionnel de cet enseignement que la didactique du français naissante s’est plutôt attachée à contester : - Critique de l’approche impressionniste des œuvres, volonté de rationaliser ce qui relevait jusqu’alors du jugement esthétique et affectif3. - Remise en cause du rôle de l’école dans la reproduction des inégalités sociales, dans le domaine de la culture littéraire particulièrement4. - Influence de l’effervescence théorique des années 1950-60 (structuralisme, nouvelle critique, linguistique de l’énonciation et pragmatique) sur la 1re génération de didacticiens, qui y trouvèrent à la fois une légitimité pour critiquer l’ordre ancien et des outils théoriques pour repenser l’enseignement de la littérature. 1 Ce rappel s’appuie en grande partie sur l’article de synthèse de Bertrand DAUNAY : « Etat des recherches en didactique de la littérature », Revue française de pédagogie n° 159, avril-mai-juin 2007, p. 139-189. Pour une synthèse plus complète, se reporter à son article. 2 1967 : création de l’Association française des professeurs de français (AFPF) qui deviendra l’AFEF en 1973 et entend réunir des enseignants de tous les niveaux scolaires. Le fait même d’avoir choisi l’appellation « professeur de français » plutôt que « professeur de lettres » est significatif. L’enseignement de la littérature était conçu comme une des composantes de la discipline « français » et la question de la littérature ramenée aux questions de lecture, voire d’écriture, sans constituer un champ autonome dans les recherches didactiques. 3 Constat d’une crise à propos du statut du texte littéraire dans la classe de français : dans les Instructions officielles fin XIXe-début XXe, la fonction du texte littéraire était d’enseigner les valeurs dominantes de la société (donner des leçons de morale ou de civilisation, constituer une identité culturelle) et de présenter le modèle d’une belle langue à imiter (se forger un style). La transmission de ces contenus se faisait surtout par imprégnation. Cette cohérence s’est altérée progressivement dans la 2e moitié du XXe siècle. 4 Méfiance vis-à-vis de la littérature patrimoniale dans le contexte de mai 68. La littérature devient un patrimoine suspect, la composante inutile d’une culture fallacieuse parce qu’héritage bourgeois et le lieu de manifestation de la « distinction » (Bourdieu et Passeron, 1964 et 1970). 2 Un accent particulier est mis sur la critique des manuels en usage et de leurs « morceaux choisis »5 et plus encore sur l’explication de texte6. Sous l’influence des théories structuralistes et linguistiques, se fait jour l’idée d’une lecture comme pur « exercice de l’intelligence », comme travail ne requérant ni sympathie, ni fusion émotionnelle, mais savoir-faire technique et connaissance scientifique : des analyses objectivables pourraient alors remplacer la subjectivité culturelle, l’érudition littéraire, la communion esthétique. Les IO de 1987 introduisent donc la lecture méthodique7 en lieu et place de l’explication de texte. La didactique s’appuie sur les notions de texte et de discours (en lieu et place de celles d’œuvre et de langue) et il n’y a pas de détermination a priori d’une catégorie de textes dits littéraires susceptibles d’une approche spécifique. Le corpus des textes s’étend d’ailleurs à des textes posés comme non littéraires (articles de presse, textes scientifiques, publicité…) et une place moindre est faite aux textes littéraires canoniques, intégrés dans une catégorie large de « textes et documents ». Les années 1980 voient se développer les travaux sur les typologies textuelles ou discursives qui ont pu faire passer au second plan d’autres dimensions des textes, notamment axiologiques ou esthétiques, au profit de la connaissance d’une grammaire textuelle. L’ensemble de ces aspects, pour intéressants qu’ils soient dans leur contribution à une meilleure connaissance du fonctionnement linguistique des textes, a contribué à minorer la place du littéraire dans la didactique du français et susciter une « réaction des littéraires » devant la difficulté pour faire exister une didactique spécifique de la littérature. 2. L’émergence d’un champ de recherche en didactique de la littérature dans les années 90 A l’état d’interrogation à la fin des années 80 et au début des années 90, la didactique de la littérature revendique de plus en plus sa spécificité, ce qui va se traduire en 2000 par la création des « rencontres des chercheurs en didactique de la littérature ». Pourquoi le développement d’une recherche en didactique de la littérature à ce moment là ? a) Des raisons qui touchent à la situation de l’enseignement de la littérature : - une réponse aux critiques sur le formalisme des études littéraires et leur dérive techniciste : la lecture est réduite à un relevé, plus ou moins minutieux, de signes 5 Canonisation des textes littéraires (que permet la pratique de l’anthologie), conception de l’œuvre comme expression d’un auteur (d’où l’importance du discours biographique et psychologique dans les manuels et des exercices dominants). 6 L’auteur y est la seule source identifiable du texte à analyser, d’où un discours psychologique sur les intentions de l’auteur et les idées du texte, le texte est ainsi ramené à un « message ». 7 Voir Michel Descotes, La Lecture méthodique. De la construction du sens à la lecture méthodique, CRDP de Toulouse, 1989. Par la lecture méthodique, il s’agit de faire acquérir aux élèves des méthodes de lecture applicables à des objets à lire de plus en plus nombreux, de plus en plus divers (réponse à une demande sociale). La capacité de lecture doit se caractériser par sa flexibilité. Un bon lecteur dispose d’une capacité « ouverte » de lecture et sait adapter ses méthodes à la grande diversité des objets à lire, sans pour autant se détourner de la fréquentation des textes littéraires. La lecture méthodique s’applique donc à tous les textes, littéraires ou non. Le texte littéraire conserve toute son importance comme objet à lire pour constituer, développer, affiner une capacité de lecture, mais lire le texte prend le pas sur en faire l’explication. La substitution de la lecture méthodique à l’explication s’inscrit dans un projet éducatif plus large : par la lecture, on implique directement l’élève dans le processus de l’approche des textes (alors que l’explication donne une part plus grande au professeur qui dirige l’explication). 3 « visibles », le plus souvent des phénomènes syntaxiques et lexicaux (« grilles » de lecture), qui occupe les élèves dans des tâches matérielles objectivement évaluables8. - un problème persistant : la désaffection pour la lecture en général et celle de la littérature en particulier ; l’érosion de la série littéraire (1960 : 38,6% des diplômés, 1992 : 16,4% des bacheliers) ; la crise persistante des humanités et en même temps la réaffirmation de leur importance à travers une réflexion sur les valeurs et les finalités de la littérature9. b) Un renouveau théorique : A la fin des années 70 se produit une rupture épistémologique dans le champ des études littéraires. De la primauté accordée jusque là au texte et à ses fonctionnements structuraux on passe à la priorité donnée au lecteur sur le texte et aux phénomènes de réception. Différents travaux affirment en effet que la source productrice de sens n’est pas vraiment ou pas seulement dans le texte, mais aussi et peut-être d’abord dans le récepteur, le sujet lisant. On passe donc, pour le dire vite et dans son application didactique, d’une conception de la littérature comme chose à la littérature comme activité : celle de l’écrivain et celle des lecteurs sans lesquels le texte n’a pas d’existence10. La didactique de la littérature va ainsi se construire en insistant sur l’activité de lecture et les cheminements interprétatifs. uploads/Litterature/ didactique-litterature 1 .pdf

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