Max Vincent Du temps que les situationnistes avaient raison (2007-2008) 2017 Du

Max Vincent Du temps que les situationnistes avaient raison (2007-2008) 2017 Du temps que les situationnistes avaient raison1 (2007-2008) Vous ne me direz pas que j’estime trop le temps présent ; et si pourtant je n’en désespère pas, ce n’est qu’en raison de sa propre situation désespérée, qui me remplit d’espoir. Karl Marx En août 1935, le groupe surréaliste diffuse une brochure intitulée Du temps que les surréalistes avaient raison. Ce texte, écrit par André Breton (et contresigné par tous les membres du groupe) signe l’acte de rupture définitif entre les surréalistes et le Parti Communiste Français. Ces rapports, qui avaient toujours été orageux et conflictuels, s’étaient sensiblement détériorés depuis l’exclusion deux ans plus tôt de Breton de l’Association des écrivains et Artistes révolutionnaires. Les pressions exercées par le P.C.F. pour interdire à André Breton de prendre la parole lors du « Congrès international des écrivains pour la défense de la culture » qui se tient à Paris du 20 au 25 juin (Breton ayant quelques jours avant l’ouverture du congrès giflé publiquement Ilya Ehrenbourg, membre de la délégation soviétique et calomniateur notoire) obligent les surréalistes à tirer toutes les conséquences de cet acte de censure. D’où cette déclaration collective notifiant « une rupture on ne peut plus cinglante et définitive ». Soixante-dix ans plus tard, je n’entends pas reprendre en partie cet intitulé pour exposer une situation comparable à celle que Breton décrit dans Du temps que les surréalistes avaient raison. L’Internationale situationniste n’existe plus depuis 1972, date de son autodissolution. Et la question de savoir si les individus, qui aujourd’hui avouent encore une dette et plus envers l’I.S., se considèrent toujours « situationnistes » reste en suspens. L’auteur de ces lignes ne prétend d’ailleurs rien de tel (et il parait très incertain qu’il l’ait jadis prétendu2). Ensuite, pour en venir à ce contre quoi et qui Breton s’opposait, il semble plus facile et légitime d’établir une filiation entre les surréalistes et les situationnistes que de vouloir, partant des thuriféraires en leur temps de « Moscou la gâteuse », s’emparer d’un fil pour le moins ténu qui mènerait au collectif que son principal animateur désignait en 1986 comme « la tentative intellectuelle la plus importante de cette fin de siècle ». Non, quitte à reprendre un quelconque fil il faudrait repartir des situationnistes pour savoir de quoi l’on parle. On ne déflorera pas trop le sujet en ajoutant qu’il y eut ensuite dans ce cheminement un phénomène de court-circuit. C’est à ce moment là que les situationnistes ont commencé à avoir tort. Jean-Jacques Rousseau, dans la préface à son Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, écrit ceci : « J’ai commencé quelques raisonnements ; j’ai 1 Du temps que les situationnistes avaient raison, commence un cycle poursuivi avec Réflexions partielles et apparemment partiales sur l’époque et le monde tel qu’il va, puis Lettre ouverte à Anselm Jappe sur Crédit à mort, et Cours plus vite Orphée, Michéa est derrière toi ! et enfin clôt avec De certains usages du catastrophisme (2012). 2 Dans les années soixante-dix, il se souvient de s’être décrit, sur le mode de la boutade, comme « ayant un pied chez les anars, un pied chez les situs et la tête dans la poésie moderne ». Même si le trait semble aujourd’hui moins appuyé, il n’a nullement l’intention de corriger ce portrait. 2 hasardé quelques conjectures, moins dans l’espoir de résoudre la question que dans l’intention de l’éclaircir et de la réduire à son véritable état ». La question certes diffère ici du tout au tout, ou presque. C’est l’esprit et la méthode que je voudrais retenir. Ne pas révéler trop tôt combien « le roi est nu » mais passer par toutes les étapes permettant à ce dévoilement de s’effectuer selon les conditions requises. Si d’aventure le lecteur ne voyait rien de tel, ou pire s’il s’accommodait de cette nudité l’auteur n’incriminerait que la dureté de ces temps qui, comme dit le poète, « ont dissipé dans l’obscur vent du soir / la passion amoindrie de notre espoir ». Je filerai une dernière fois la métaphore d’un fil conducteur en commençant par dérouler ma bobine à une date antérieure à celle du début de l’histoire que je me propose de raconter, et plus encore de commenter. Ceci me sera peut-être reproché. Mais pourtant, souvenez-vous : en ce temps les situationnistes avaient raison. * Nous sommes en 1976. Jaime Semprun adresse le 17 décembre une lettre à Guy Debord. Ce dernier lui répond le 26 décembre. Un autre courrier, daté du 14 janvier 1977, de Semprun, vient clore cette correspondance. Celle-ci a été publiée deux ans plus tard aux éditions Champ Libre dans le premier volume de Correspondance (parmi d’autres contributions épistolaires). C’est l’écho donné à cette publication (nous sortons du cadre d’une correspondance privée) qui nous entraîne à donner ce premier coup de projecteur. Qui est Jaime Semprun ? Né en 1947, le fils de Jorge Semprun figure au catalogue des éditions Champ Libre. Il y a publié deux ouvrages : La Guerre sociale au Portugal et Précis de récupération. Une lettre du 20-5-1975 de Guy Debord à Anne Krief et Jaime Semprun (recueillie dans le volume 5 de la Correspondance de Guy Debord publiée aux éditions Fayard) témoigne de liens amicaux, d’une complicité et de préoccupations communes entre les correspondants. Debord, ensuite, dans une lettre du 31-5-1975 à Semprun, dit d’ailleurs tout le bien qu’il pense de La Guerre sociale au Portugal. Il y revient encore le 24- 6-1975 dans un courrier globalement consacré à la situation portugaise. En revanche (lettre du 11-2-1976) Debord parait plus réservé dans son appréciation du Précis de récupération. Sans émettre fondamentalement des objections d’ordre théorique, politique ou stylistique, il reproche à ce Précis de ne pas être « suffisamment concret ». Ce qui manque, ajoute Debord, « c’est la critique du processus lui-même, du travail de la récupération ». Ce qu’il étaye à travers un questionnement absent du livre de Semprun. Dans sa conclusion Debord entend cependant nuancer ces « critiques » en évoquant une « affaire de goûts personnels » : « là, comme dans l’emploi de la vie et les préférences entre ceux que l’on y rencontre, il n’y a certainement pas à exposer et soutenir ses goûts, dans le but parfaitement vain d’y rallier qui en a d’autres ». Nous en arrivons donc à la « fameuse » correspondance publiée par Champ Libre en 1978. Jaime Semprun, dans sa première lettre du 17-12-1976, demande des explications à Guy Debord sur le refus de son dernier manuscrit : un texte sur l’Espagne qui n’a pas été retenu par Champ Libre. Semprun se pose la question de savoir si Debord, comme il le subodore, serait pour quelque chose dans le refus de Gérard Lebovici, l’éditeur 3 (Semprun avalisant au passage la version, alimentée par la rumeur, faisant de Debord l’éminence grise de Lebovici ou le personnage qui en coulisse déciderait de l’essentiel de la politique éditoriale). Ce refus, avance Semprun, renverrait moins au contenu du manuscrit qu’à son « principe ». Tout en traçant un trait sur ses relations avec Champ Libre, Semprun aimerait cependant connaître le rôle joué par Debord dans cette affaire. Il ne croit pas (quoique...) que Debord soit particulièrement en désaccord avec le contenu politique de ce manuscrit sur l’Espagne. Semprun pense davantage à un jugement ad hominem « comme jugement négatif de l’ensemble de ma vie, tel qu’il permette de condamner par avance tout ce que je pourrais écrire ». Comment sinon expliquer la distance prise par Debord durant cette dernière année. C’est à dire depuis la lettre de celui-ci sur Précis de récupération. En définitive, « cette dernière affaire éditoriale, qui dépasse des questions de « goûts personnels », m’oblige maintenant à te demander ce complément d’information ». Et Semprun conclut : « Bref, cette trop longue lettre peut se résumer par cette question : j’avais bien compris que je n’étais plus de tes amis, dois-je comprendre qu’il me faut désormais te compter parmi mes ennemis ? ». Guy Debord répond le 26-12-1976. Il s’agit d’une « réponse détaillée, et aussi publique qu’il le faudra ». Cette remarque n’est pas sans importance. Car ce courrier constituera moins de deux ans plus tard le document de référence sur les relations entre Champ Libre et Debord. Ce dernier reprend les hypothèses avancées par Semprun (sur la place qu’occuperait Debord à Champ Libre) pour les réfuter les unes après les autres. C’est à la fois brillant, argumenté, et on ne peut plus convaincant. Plus, par exemple, que ne l’était le trac Foutre !, écrit par Debord et signé « Des prolétaires », diffusé durant le mois de novembre pour des raisons qui recoupent les enjeux de cette correspondance. Debord, donc, tient à préciser qu’il n’est ni associé, ni employé des éditions Champ Libre. Il « n’y exerce aucune « coresponsabilité », ni générale ni particulière n’ayant là strictement vis-à- vis de qui que ce soit - le propriétaire, les uploads/Litterature/ du-temps-que-les-situationnistes-avaient-raison-2007-2008-max-vincent.pdf

  • 21
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager