Elie During Introduction au dossier critique de Henri Bergson, Durée et simulta
Elie During Introduction au dossier critique de Henri Bergson, Durée et simultanéité, Paris, Presses Universitaires de France, 2009 (p. 219-244) © PUF, 2009. PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-16/9/2009 11H42--L:/TRAVAUX2/PUF/DUREE/TEXTE.857-PAGE219 (P01 ,NOIR) Introduction au dossier critique par Élie During « Je n’y vois pas seulement une physique nouvelle, mais aussi, à certains égards, une nouvelle manière de penser. » (Henri Bergson, « Discussion avec Einstein », 6 avril 1922.) Toute nouvelle édition de Durée et Simultanéité semble devoir s’accompagner de mises en garde, d’avertissements, pour ne pas dire d’excuses aux lecteurs. Avouons-le, ce livre a long- temps embarrassé les bergsoniens. Rares sont ceux qui se sont risqués à le défendre publiquement. Comment comprendre, d’ail- leurs, l’obstination du philosophe à réaffirmer des positions que la communauté des physiciens, sinon dans son ensemble, du moins à travers certains de ses membres les plus éminents – Einstein en tête –, s’était employée à corriger sans ménage- ment, au risque de lui faire perdre tout crédit ? Lassé des polé- miques et des malentendus accumulés au sujet de son livre, Bergson décida d’en suspendre la publication après la sixième édition, celle de 1931. On a cru que ce geste valait répudiation : rien n’est moins sûr. Mais le livre connut dès lors une éclipse qui annonçait peut-être, plus largement, un reflux du bergsonisme tout entier. Ce n’est que timidement que l’ouvrage retrouva sa place, après guerre, dans le corpus du philosophe, mais à la PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-16/9/2009 11H42--L:/TRAVAUX2/PUF/DUREE/TEXTE.857-PAGE220 (P01 ,NOIR) manière d’une curiosité, tout juste digne des Mélanges1. Près d’un siècle après les faits – le livre fut publié en 1922 –, il fal- lait rouvrir le dossier et y apporter, ici et là, les pièces qui man- quaient à son intelligence complète, non certes pour un procès en appel qui n’aurait plus grand sens aujourd’hui, mais parce que la distance qui nous sépare désormais des circonstances de cette confrontation entre la philosophie bergsonienne et la théorie de la relativité – confrontation sans précédent dans son genre, si l’on songe à la stature des protagonistes –, ne peut qu’accentuer les effets de distorsion, rendant d’autant plus nécessaire le travail de mise en perspective destiné à en faciliter l’accès. Intention de cette édition Les notes rassemblées dans ce dossier, la constitution de la table analytique, de l’index ainsi que du dossier des « lectures », ont d’abord été guidées par le souci de restituer au texte une épaisseur historique et intertextuelle que ne laissent pas toujours deviner les références bibliographiques, d’ailleurs curieusement sélectives, données par son auteur. Pour donner une idée juste des circonstances de son élaboration et de sa réception, il était nécessaire d’expliciter, quand cela était possible, les sources scientifiques de Bergson, d’identifier ses interlocuteurs réels ou virtuels – et même « fantasmatiques », tant il est vrai que la théorie d’Einstein, dans le tableau qu’en brosse le philosophe, 1. Sur l’histoire des rééditions successives de Durée et Simultanéité, on pourra consulter, dans la partie « lectures » de ce dossier, l’avertissement à la septième édition, et le commentaire que nous en donnons. Le texte présenté ici reprend celui de la première édition des Presses Universitaires de France, en 1968. Cette édition était donc en réalité la septième, si l’on prend les choses dès l’origine ; elle se fon- dait elle-même sur le texte de la deuxième édition de 1923, laquelle ne présentait aucune variation par rapport à la première édition (Durée et Simultanéité, Paris, Félix Alcan, 1922), à l’exception de trois appendices ajoutés à la fin de l’ouvrage, ainsi que d’un bref avant-propos. DURÉE ET SIMULTANÉITÉ 220 PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-16/9/2009 11H42--L:/TRAVAUX2/PUF/DUREE/TEXTE.857-PAGE221 (P01 ,NOIR) présente d’étranges ressemblances avec celle de Poincaré –, enfin de réinscrire l’ouvrage dans le contexte d’une réception problé- matique, continuée jusqu’à nous. Cependant, il nous a semblé tout aussi important de ne pas perdre de vue que Durée et Simultanéité est, de plein droit, un livre de philosophie. À ce titre, il exige d’être ressaisi du point de vue de ses enjeux internes, mais aussi dans sa relation au reste de l’œuvre, comme l’expression d’une pensée en devenir qui, jusqu’au bout, aura remis en jeu certains de ses concepts les plus fondamentaux – à commencer par celui de durée, inscrit dans le titre –, en fonction de nouveaux problèmes. La difficulté principale nous paraît d’ailleurs être de ce côté. La plupart des polémiques se sont en effet concentrées, dès la parution du livre, sur la question de savoir si Bergson avait bien compris la théorie de la relativité, et par conséquent si ses argu- ments avaient une quelconque valeur du point de vue scientifi- que. C’était supposer, implicitement, que les erreurs de Bergson ne pouvaient qu’être rédhibitoires, autrement dit qu’elles invali- daient le projet dans son ensemble au point de lui ôter tout inté- rêt autre qu’historique. Cela aurait été le cas si Durée et Simul- tanéité entendait en effet rectifier Einstein sur le terrain même de la physique. Or c’est ce dont Bergson s’est toujours défendu avec la dernière vigueur. « C’est la physique de la relativité, et cette physique uniquement, qui est étudiée dans Durée et Simul- tanéité. Seulement elle est étudiée en vue d’une réponse à la question posée par le philosophe, et non plus par le physi- cien1. » Il n’empêche : la plupart des critiques qui se sont pen- chés sur son livre ont cru bon de procéder à une correction de copie, sans beaucoup se soucier du problème. Les gens du métier, physiciens ou mathématiciens, colonels ou généraux (le 1. M, p. 1438 INTRODUCTION AU DOSSIER CRITIQUE 221 PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-16/9/2009 11H42--L:/TRAVAUX2/PUF/DUREE/TEXTE.857-PAGE222 (P01 ,NOIR) polytechnicien André Metz se distinguant, dans cette rubrique, par la constance de ses assauts), étaient évidemment les mieux placés pour instruire ce procès en incompréhension ou en « imposture ». Les derniers à sacrifier au genre sinistre du bêti- sier n’étaient pas les plus inventifs : ils reprenaient pour l’essen- tiel leurs arguments à des livres publiés dans les années 19201. Nous aurons l’occasion de revenir dans les pages qui suivent sur les reproches adressés à Bergson. S’il n’est pas question d’accorder au philosophe une impunité de principe, il importe de bien saisir leur portée, pour ne pas classer l’affaire trop rapide- ment. Mais auparavant, il faut s’arrêter un moment sur un fait qui ne laisse pas d’étonner : la rareté des commentaires propre- ment philosophiques suscités par un livre qui a fait par ailleurs tant de bruit. On peut trouver deux raisons à ce silence embar- rassé des philosophes. Il s’explique pour partie par la nature même de l’enquête : Bergson se donne pour objet la notion de temps, telle qu’elle est en usage dans la relativité restreinte2. 1. Alain Sokal et Jean Bricmont, Les Impostures intellectuelles, 1997. Dans le chapitre qu’ils consacrent à la lecture bergsonienne de la relativité et à sa postérité, les auteurs reprennent la plupart des critiques formulées par Metz, d’Abro ou Hervé Barreau, en s’étonnant qu’un livre qui, « d’un point de vue scientifique […] est presque entièrement faux » (p. 269 n), puisse être « toujours en vente » ! Sur le fond, les objections se concentrent sur deux points : la réciprocité de l’accélération et le caractère fictif des temps associés aux systèmes en mouvement. Seul le pre- mier point nous paraît réellement problématique, dans la mesure où il conduit Berg- son à refuser a priori les prédictions empiriques illustrées par le célèbre « paradoxe des jumeaux » ; le second est clairement hors de propos, comme nous l’expliquons plus loin dans les notes. Mais les « erreurs » incriminées sont d’autant plus gênantes aux yeux de Sokal et Bricmont qu’ils considèrent que « cet ouvrage n’est pas seulement un livre de philosophie : c’est aussi un livre de physique… » (p. 269). Il est vrai que Bergson, qui entend discuter la théorie d’Einstein, s’emploie pour une part à en exposer les principaux résultats. Mais à ce compte, Les Impostures intellectuelles devrait être lu comme un ouvrage de philosophie, au motif que des philosophes y sont cités… 2. La genèse du projet remonte en fait à 1911, année où Paul Langevin intro- duit la théorie de la relativité auprès du public philosophique par une série de conférences remarquées (voir les textes reproduits dans la section « lectures » de ce dossier). Si le projet de Bergson était initialement de se livrer pour lui-même à un exercice de mise au point philosophique (« nous l’avions entrepris exclusivement DURÉE ET SIMULTANÉITÉ 222 PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-16/9/2009 11H42--L:/TRAVAUX2/PUF/DUREE/TEXTE.857-PAGE223 (P01 ,NOIR) À beaucoup cette entame aura paru trop étroite pour mobiliser directement les grandes catégories du discours philosophique ou épistémologique (idéalisme et réalisme, a priori et expérience, substance et relation, etc.). Trop étroite, ou trop austère. Si son intention n’est nullement d’offrir un ouvrage d’introduction à la théorie – il en existe déjà d’excellents à l’époque –, Bergson est bien obligé d’entraîner son lecteur dans quelques exercices dépaysants, et même franchement rebutants, à l’image de ce pre- mier chapitre accumulant les lignes de calcul pour étayer une description délibérément pré-einsteinienne de la célèbre expé- uploads/Litterature/ during-introduction-a-duree-et-simultaneite.pdf
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- Publié le Oct 13, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
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