L’enseignement du français dans l’espace universitaire en Colombie : deux cents

L’enseignement du français dans l’espace universitaire en Colombie : deux cents ans d’histoire, mais quel avenir ? Synergies Chili n° 16 - 2020 p. 49-62 49 Reçu le 30-03-2020 / Évalué le 30-04-2020 / Accepté le 15-06-2020 Résumé Cet article s’intéresse à la place du français dans les universités publiques en Colombie, plus particulièrement aux programmes de formation en langue étrangère, dont l’objectif principal consiste à former des futurs professeurs de français. Longtemps très présent dans le système éducatif colombien, l’ensei- gnement du français a progressivement perdu de son influence et a été supplanté par l’enseignement de l’anglais. Quelles actions ont été récemment entreprises afin de maintenir la place du français et, de manière générale, d’assurer une diversité linguistique dans l’université ? Quelles mesures envisager pour leur garantir un avenir dans l’enseignement universitaire et dans la société colombienne ? Mots-clés : université, enseignement du français comme langue étrangère, politique linguistique, diversité linguistique La enseñanza del francés en el espacio universitario colombiano: doscientos años de historia, pero ¿qué futuro? Resumen El presente artículo se interesa en analizar el lugar que ocupa el francés en las universidades públicas colombianas, principalmente en los programas de formación en lengua extranjera, donde el objetivo primordial consiste en formar a los futuros profesores de francés. Presente durante largo tiempo en el sistema educativo colom- biano, la enseñanza del francés ha ido perdiendo progresivamente su influencia y ha cedido su lugar a la enseñanza del inglés. ¿Qué acciones se han llevado a cabo recientemente con el fin de mantener un lugar para la enseñanza del francés en el sistema educativo y, de manera general, para asegurar la diversidad lingüística en las universidades? ¿Qué medidas se deben tomar para asegurarle un futuro en la enseñanza universitaria y en la sociedad colombiana? Palabras clave: universidad, enseñanza del francés como lengua extranjera, política lingüística, diversidad lingüística Claudia Rincón Restrepo École Bilingue Jeannine Manuel, France c.rinconrestrepo@ejm.net https://orcid.org/0000-0002-1492-3186 GERFLINT ISSN 0718-0675 ISSN en ligne 2260-6017 Synergies Chili n° 16 - 2020 p. 49-62 The teaching of French in the Colombian public universities: two hundred years of history, but what future? Abstract This article sheds light on the place of the teaching of French in the Colombian public universities and focuses especially on the training programs of future teachers of French. In spite of a significant importance on the Colombian educa- tional system for a long time, the teaching of the French language has progressively lost its influence to the profit of the teaching of English. What specific measures was performed recently in order to maintain the place of the French teaching, and, generally, to assure a linguistic diversity in the university? What specific measures should be considered in order to guarantee a future for different languages within the Colombian universities and within the Colombian society? Keywords : university, teaching of French as a foreign language, language policy, linguistic diversity 1. L’histoire : la place prépondérante du français L’enseignement du français en Colombie au niveau universitaire compte deux cents ans d’histoire. Pendant cette période, et même auparavant, la francophilie y est très présente. Au début du XIXe siècle, l’enseignement du français s’impose dans les universités colombiennes grâce à la conjonction de différents facteurs : la formation de l’élite créole libérale qui a dirigé le mouvement indépendantiste, l’influence de la langue et de la culture française au XVIIIe et au XIXe siècle dans le monde, l’ouverture du pays à l’économie internationale, et l’établissement de relations diplomatiques entre la France et la Colombie. L’université représente, à cette époque déjà, un important agent de diffusion de la langue et de la culture française (Rodríguez, 1994). Pendant le XIXe siècle, le français occupe une place prépondérante dans les programmes éducatifs. À la fin du siècle, le français connaît un grand essor et devient première langue étrangère, et cela en raison de la confluence de facteurs historiques en Colombie et en France : d’une part l’arrivée des conservateurs au pouvoir désirant redonner le contrôle de l’éducation à l’Église, après des années de contrôle de l’État sous le mandat des libéraux, et d’autre part l’arrivée de commu- nautés religieuses françaises dans le pays après la promulgation des lois Ferry et la laïcisation de l’État français. Jusqu’aux années 1920, l’enseignement de la langue française et l’éducation en général sont gérés par des religieux immigrés. Il n’existe alors aucune formation universitaire spécifique pour les enseignants des collèges et des écoles normales, 50 L ’enseignement du français dans l’ espace universitaire en Colombie seulement des formations en langues. Pour la formation en français, les collèges et les universités publiques font appel à des enseignants colombiens ayant vécu en France ou à des Français, des professionnels de domaines divers pour l’université et des professeurs de langues expérimentés. En effet, les premiers centres de formation d’enseignants de français pour l’étranger voient le jour en France à partir des années 1920. À partir des années 1930, le gouvernement colombien entreprend de former ses professeurs selon les idéaux du moment. Il crée alors des centres de formation pour les enseignants du secondaire, comme par exemple l’École Normale Supérieure, créée sur le modèle de l’E.N.S. française, et prenant en exemple les universités d’Oxford et de Cambridge. À l’E.N.S. colombienne, la licence de langues vivantes à option français apparaît en 1937 est organisée en un tronc commun pour les licences de langues classiques et langues modernes pendant les deux premières années. L’anglais et le français sont enseignés sur un pied d’égalité (Rodríguez, 1994). En raison de la « crise de l’Europe » pendant et après la Seconde Guerre Mondiale et de la montée en puissance des États-Unis d’Amérique, puis avec l’arrivée des libéraux à la présidence de la Colombie, les mentalités évoluent, notamment vis-à-vis de la langue française. L’État colombien, qui reprend le contrôle de l’édu- cation, crée de nouveaux centres de formation de professeurs dans les universités, où apparaissent les premières licences de formation de professeur de français. Mais c’est dans la période de l’après-guerre que le français commence vérita- blement à perdre de son influence face à l’anglais, lorsque la mise en place de lois éducatives montre les pressions géopolitiques (Silva, 2011 : 4). Cette régression de l’étude de la langue française découle de l’implication de la France dans la Seconde Guerre Mondiale, ne lui permettant plus d’assurer ses relations avec la Colombie, tandis que les États-Unis deviennent un interlocuteur privilégié pour l’Amérique Latine. Par ailleurs, le pays nord-américain, déjà première puissance mondiale, impose l’anglais comme langue internationale et se porte garant de l’ordre occidental, face au bloc soviétique. Enfin, la culture européenne est largement remise en question. Toutefois, les agents de diffusion du français valorisent les aspects contribuant à l’image positive de cette langue, à savoir sa valeur forma- trice, liée à sa difficulté d’apprentissage, et sa valeur culturelle, liée à l’excellence de la culture française. Dans ce contexte, les études scientifiques, techniques et commerciales prennent alors l’ascendant sur les études littéraires dans les universités. Au début des années 50, les cours de français sont toujours assurés dans les universités bien que l’anglais soit devenu prioritaire. 51 Synergies Chili n° 16 - 2020 p. 49-62 Par la suite, les promesses de démocratisation d’une université élitiste et le désenchantement de la jeunesse universitaire face à la réalité, sont à l’origine d’une lutte contre le système établi. Les autorités colombiennes conçoivent alors un plan de développement et de modernisation de l’université publique dans les années 60, pour l’orienter vers le marché du travail et en faire un instrument effectif du changement économique et social du pays. Ce projet est soutenu par le gouvernement des États-Unis, favorisant la place de l’anglais dans les programmes linguistiques éducatifs. À partir de cette époque, en Colombie comme dans bien d’autres pays, le modèle culturel n’est plus celui de l’Europe, mais celui de la superpuissance nord-américaine. Ceci se manifeste notamment dans le secteur éducatif : dans les universités publiques colombiennes, le modèle universitaire américain se répand, écartant le modèle français et napoléonien de l’éducation, instauré au XIXe siècle. Toutefois, les agents en charge de la diffusion de la langue française continuent à lutter pour la défense de leur langue. Le gouvernement de Charles de Gaulle engage une promotion offensive de la langue française et de l’identité nationale. En effet, comme le dit Claude Hagège (2006), il existe théoriquement une tradition d’identification de la langue à l’État et une tradition de défense et d’illustration de cette langue. La France veut prouver à nouveau qu’elle joue un rôle primordial sur la scène internationale. Elle espère continuer à répandre son influence à travers la diffusion de sa langue et de sa culture, tout comme à l’époque du rayonnement du français aux XVIIIe et XIXe siècles, et cherche également à faire contrepoids à l’anglais. George Pompidou, Premier Ministre et bras droit de de Gaulle, crée ainsi le Haut Comité pour la Défense et l’Expansion de la langue française en 1966. Suite à la hausse des demandes de professeurs de français dans le secondaire, favorisée par la massification de l’éducation en général, cette langue commence à élargir uploads/Litterature/ ensiegnement-du-francais-dans-l-x27-espace-unviersitarire-en-colombie-pdf.pdf

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