Fernando CIPRIANI SÉBASTIEN ROCH : DU ROMAN D’ENFANCE AU ROMAN DE FORMATION Ave
Fernando CIPRIANI SÉBASTIEN ROCH : DU ROMAN D’ENFANCE AU ROMAN DE FORMATION Avec Sébastien Roch (1890) d’Octave Mirbeau, le roman, dans ses métamorphoses, connaît une étape évolutive fondamentale, par les thèmes de l’enfance où la psychologie des sentiments de cet âge d’or marque et modèle le personnage et l’ambiance familiale. Le romancier réunit ses convictions pédagogiques1 en faveur de l’enfance avec la possibilité de transformer les structures romanesques en œuvre poétique ; le point culminant de cette évolution a été marqué dans l’histoire du genre par le roman d’Alain-Fournier au début du XXe siècle, Le Grand Meaulnes, roman d’aventures qui se transforme en quête poétique de la femme. Si la maison offre le point de départ de la poétique de l’espace, au sens bachelardien du terme, le passage à l’âge adulte se manifeste surtout comme la découverte d’un autre espace, réel, social, comme une tâche personnelle, difficile à accomplir, à cause des obstacles que les autres, le monde des adultes, les institutions ; représentent pour le personnage, devenu lui aussi problématique. Cette quête d’un monde qui surgit au-delà du jardin de sa maison, au- delà de la famille et du mur d’enceinte, est présente tant dans un roman comme Le Diable au corps que dans Le Grand Meaulnes, Les Enfants terribles ou encore La Maison de Claudine. Le roman d’enfance exalte la camaraderie, un sentiment d’union et d’amitié qui lie le protagoniste aux autres adolescents. Même si la fin des jeux enfantins replonge le petit héros dans sa première solitude, le roman – c’est aussi le cas de Sébastien Roch – s’achemine vers sa dernière étape : celle de la formation de l’individu, où le regard rétrospectif sur son propre passé devient fondamental pour comprendre le monde ; le regard introspectif de la connaissance de soi, qui alimente et justifie le journal intime propre à l’adolescence, cède le pas aux souvenirs, à un douloureux dédoublement du moi, sinon un conflit intérieur du personnage : celui qui a vécu une expérience unique, celle de l’enfance, fût-elle traumatisante, et celui qui médite avant d’entrer dans le monde, dans la carrière d’écrivain, quand il s’agit d’un roman autobiographique, ou, plus généralement, dans le monde du travail. Sébastien Roch écrit ainsi dans son journal : « Pourtant chacun travaille, fournit sa tâche, si humble q’elle soit. Et moi, je n’ai pas travaillé, je n’ai pas fourni ma tâche 2 » . Le “récit d’enfance”, 1 Dans les Combats pour l’enfant (« Cahiers de l’Institut d’Histoire des Pédagogies Libertaires », Ivan Davy éditeur, Vauchrétien, 1990, 238 pages), Pierre Michel a réuni le meilleur de la production mirbellienne concernant des sujets pédagogiques, des articles publiés dans les journaux ou les revues de l’époque, mais aussi des passages présents dans ses romans autobiographiques, Le Calvaire, L’Abbé Jules, Dans le ciel et, surtout, Sébastien Roch. La sympathie pour les exclus et les marginaux passe avant tout par la défense des droits de l’enfant à une éducation meilleure, que les institutions (l’école, la famille et l’Église) lui semblent nier. L’influence pédagogique de Rousseau sur l’auteur de Sébastien Roch est évidente dans la conception de l’éducation naturelle et du développement des capacités de l’enfant (sensibilité, créativité), favorisées par des découvertes sensitives. C’est cette éducation naturelle, intellectuelle et morale sans dogmes, qui permet à Mirbeau d’assimiler Rousseau aux « figures annonciatrices d’une pensée libertaire ». (Samuel Lair, « Jean-Jacques et “ le petit Rousseau ” », Cahiers Octave Mirbeau, n° 10, 2003, pp. 31-50). 2 Octave Mirbeau, Romans autobiographiques, Mercure de France, Paris, 1991, Préface de P. et R. Wald Lasowski, p. 1051. C’est à cette édition que renvoient les indications des pages du roman indiquées entre parenthèses. qui se manifeste surtout dans les romans autobiographiques3, constitue une base solide pour reconstruire les souvenirs, fruit de la projection d’un moi adulte ancré dans le passé, mais vivant dans le présent. Pour le roman de formation, le regard rétrospectif n’est pas indispensable pour découvrir la destinée du héros : exceptionnellement le roman de Proust Jean Santeuil, tout en reprenant la tradition du Bildungsroman4 inscrite dans Wilhelm Meister de Goethe et dans L’Éducation sentimentale de Flaubert, inclura, dans les étapes de sa formation intellectuelle, l’enfance, l’adolescence, le milieu mondain et le milieu de la famille. Les études pour la formation du savoir font partie de la formation du jeune protagoniste, qui élargit ses connaissances du monde et ses expériences personnelles et qui, avant qu’il n’arrive à son mûrissement, connaît des moments de crise, accompagnés de la mise en discussion des institutions. Dans le cas du Grand Meaulnes et, comme on le verra, de Sébastien Roch, nous restons à mi-chemin entre le roman d’enfance et le roman de formation. Il me semble en effet presque impossible d’inclure Le Grand Meaulnes dans les romans de formation, comme on l’a fait, en laissant penser que Meaulnes se marie et que son ami François devient instituteur, mais la conclusion du roman représente seulement un saut final dans le temps de la jeunesse : la plus grande partie de l’action du roman se passe dans l’enfance, et l’enfance est souvent évoquée et représentée d’une manière symbolique, avec son prolongement dans l’adolescence et le moment de la découverte d’une aventure. Le prolongement de la première dans la seconde nous souligne surtout le difficile passage d’un âge à l’autre, un prolongement qui 3 J’ai précisé la frontière entre les deux genres, même s’il existe des points de contacts entre « récit d’enfance » et « roman d’enfance » : le premier appartient particulièrement au genre autobiographique, lié particulièrement aux souvenirs, vrais ou inventés ; le deuxième a pour protagoniste le petit héros qui avance dans l’âge jusqu’à l’adolescence, mais l’intrigue repose surtout sur des conflits avec les adultes ou entre enfants, et le moi autobiographique n’y a plus un rôle déterminant. Philippe Lejeune et Denise d’Escarpit ont parlé justement de « récits d’enfance » pour les romans autobiographiques, dont le modèle reste les Confessions de Rousseau ou Les Mots de Sartre. Elisabeth Ravoux-Rallo (Images de l’adolescence dans quelques récits du XXe siècle, Corti, Paris, 1989) a continué à parler de « récit d’enfance » ou de « récit d’adolescence » pour des romans comme Le Grand Meaulnes, Le Diable au corps ou Les Désarrois de l’élève Törless, dans l’intention de souligner la matière narrative et narratologique concernant la période de l’enfance comme une histoire d’enfants : j’ajouterai que, dans ces romans, qu’il serait préférable d’appeler « romans d’enfance », il est évident que le narrateur exprime son moi pédagogique ou poétique par le biais du point de vue de l’enfant, et le monde enfantin par une série de métaphores centrées sur le mot « enfance » et ses lexèmes. Voir sur ce sujet, surtout Le Récit d’enfance, Enfance et écriture, ouvrage collectif, publié sous la direction de Denise Escarpit et Bernadette Poulou, Édtions du Sorbier, Paris, 1993 et, pour la bibliographie concernant le « roman d’enfance », Fernando Cipriani, Il romanzo d’infanzia in Francia (1913-1929). Problematiche e protagonisti, Edizioni Campus, Pescara 2000, 303 pages. Il va de soi que le thème de l’enfance était très exploité par la tradition littéraire. Si, d’une part, le sujet permettait à Mirbeau de susciter une compassion pour les exclus et les souffrants, l’écriture de l’enfance déterminait un renouveau stylistique. Sur ce sujet, voir Anne-Laure Séveno, « L’Enfance dans les romans autobiographiques d’Octave Mirbeau : démythification et démystification », in Cahiers Octave Mirbeau, n° 4, 1997. De son côté, Pierre Michel insiste sur les aspects négatifs de l’école jésuite : école comme fabrique de larves, comme prison, éducastration, déformation, dénaturation malsaine, voir son article « Octave Mirbeau et l’école : de la chronique au roman », in Autour de Vallès, n° 31, décembre 2001. 4 Mariolina Bongiovanni Bertini, Proust et la teoria del romanzo, Torino, Boringhieri, 1996, p. 101. Sur le sujet voir aussi Franco Moretti, Il romanzo di formazione, Garzanti, Milano, 1986. Le soustitre explique la thématique développée dans le volume, « La juenesse comme forme symbolique de la modernité dans la production romanesque européenne » et les auteurs intéressés au genre sont Goethe, Stendhal, Puškin, Balzac, Dickens et Flaubert. nous rappelle la psychologie de l’âge évolutif, avec ses problématiques socio-familiales et interpersonnelles. LE PASSAGE DE L’ENFANCE-ADOLESCENCE À LA JEUNESSE. LE SENS D’UNE RÉVOLTE ET D’UN ÉCHEC Le héros du roman de Mirbeau, le jeune Sébastien, n’échappe pas à ces incertitudes et à des déceptions à l’égard de sa famille ; un manque de confiance en soi-même et envers la société le mènera à choisir la guerre comme solution à ses conflits. De plus, la chronologie du roman de formation envisage un monde social à la mesure de son héros et de ses aspirations. Sébastien Roch comprend deux parties : le livre premier s’étale sur sept chapitres, sur plus de trois cents pages, et décrit l’enfance et l’adolescence du protagoniste, de onze à quinze ans environ ; et le livre deuxième est formé de quatre brefs chapitres, occupant une centaine de pages, qui suivent l’évolution du héros pendant un an, à l’approche de sa uploads/Litterature/ fernando-cipriani-quot-sebastien-roch-quot-du-roman-d-x27-enfance-au-roman-de-formation.pdf
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- Publié le Jul 01, 2022
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