Fiche de lecture : Martucceli Danilo, La Société Singulariste, Armand Colin, Pa

Fiche de lecture : Martucceli Danilo, La Société Singulariste, Armand Colin, Paris, 2010, 264 pages Rédacteur Gilliotte Quentin, Université Paris Descartes, Master Sociologie d’enquête, Parcours Consommation et communication. Document remis le 04/03/2014. Descriptif Courant : Sociologie de l’individu Objet : La Société Singulariste Mots-clefs : Théorie Sociale, épistémologie, modernité, méthodologie, extrospection  1 L’auteur : X Danilo Martuccelli est professeur de sociologie à l’Université Paris-Descartes et membre du Centre de Recherche sur les Liens Sociaux, un laboratoire associé au CNRS. Son œuvre est marquée par la question des conditions de la modernité. Cela se manifeste dès son premier ouvrage, Décalages (Martuccelli, 1995) où il considère la modernité comme « source inépuisable de décalages », sous-entendu de désajustements entre les acteurs, les situations et les signes. Il publiera en 1999 Sociologies de la Modernité, un ouvrage présentant les visions de la modernité des principaux auteurs en sociologies, répartis en trois parties : la différenciation sociale, la rationalisation et la condition moderne. De cette approche de la modernité, il développera progressivement sa propre vision de la figure de « l’individu » dont il définira les « matériaux » avec Vincent Céradec, et étudiera « les sociologies » avec François de Singly, mais surtout dont lui-même en expliquera « la grammaire ». De ce cadre théorique de la « Sociologie de l’individu », Danilo Martuccelli en arrive à développer la notion de « Société Singulariste », le singularisme étant à la fois dans la continuité et en rupture avec la conception d’individualisme. Danilo Martuccelli œuvre à plusieurs niveaux au sein de la sociologie : il fournit des visions panoramiques des concepts sociologiques développés par ses confrères, il développe ses propres conceptions de la modernité et il œuvre également en tant qu’épistémologue en proposant des notions et des méthodes permettant d’appréhender les changements sociaux en adaptant les outils du sociologue, notamment via la notion d’épreuve. Aujourd’hui, quelqu’un comme P . Corcuff considère Danilo Martuccelli comme appartenant au courant du « constructivisme social », notamment de par sa volonté d’articuler microsociologie et macrosociologie, individu et société, par des doubles processus de construction et déconstruction de la réalité sociale.  2 L’ouvrage : La Société Singulariste, 2010 La construction de l’ouvrage se fait ainsi des individus (singularistes) vers la position du sociologue (extrospection) en passant par l’outil analytique permettant de créer un lien entre les deux (l’épreuve). Le projet clairement dévoilé par l’auteur est de pouvoir construire une « sociologie pour les individus ». La substitution du « des » par le « pour les » n’est pas anodine. Ce que propose Danilo Martuccelli ici, c’est bien une redéfinition de la position et de la vision du sociologue sur les individus et leur rapport à la société. Il s’agit d’adapter la sociologie à son temps : comme si 1 l’acuité des outils sociologiques actuels n’étant plus suffisante pour comprendre la société et les individus contemporains. 2 Partie 1 : Vers une société singulariste La première partie propose de poser un constat, argumentant que nous nous dirigeons « vers une société singulariste ». C'est-à-dire une société guidée par l’incessant ajustement entre le singulier et le commun : « si l’individualisme naît d’une méfiance envers la société, le singularisme ne s’affirme qu’à partir d’une reconnaissance du commun » (p51). Les individus ne sont plus à la recherche d’égalité ou d’originalité, mais ils sont à la recherche de singularité, une façon d’être unique tout en appartenant à la société. Ils ne sont plus orientés vers la réalisation d’un modèle, d’une figure exemplaire, mais bien orientés vers la réalisation de soi, en tant que processus intrinsèquement singulier nécessitant de trouver sa « juste place » dans la société. 1. La montée des singularités -> Cette première partie vient rappeler quelques éléments historiques permettant de corroborer le fait que nous sommes actuellement au sein d’une « société singulariste ». Après une phase d’industrialisation ayant conduit à une homogénéisation de la consommation, nous nous dirigeons progressivement vers une individualisation de la production, une consommation sur mesure, personnalisée, notamment visible avec le modèle économique de la long-tail. Même auprès des institutions, la singularité des individus prime sur l’organisation. Cette singularisation déplace les tensions à une échelle interpersonnelle : on assiste à un renforcement des logiques affinitaires face aux logiques sociales, grâce notamment à l’expansion des TIC. On cherche à vivre des « moments », des instants privilégiés, des expériences sociales esthétisantes. On passe d’une tension structurelle entre standardisation et singularisation à une pluralité de tensions, sous forme de conflits ou d’ajustements. 2. Les sociologues et la singularité -> Cette partie vient rappeler les deux paradigmes sociologiques dominants jusqu’à présent (rappelant l’éternelle tension sociologique entre le micro et le macro) pour souligner leur inadaptation à la réalité du monde contemporain. Il y a d’une part la « dimension sociétale de la singularité par la socialisation des individus » et d’autre part le phénomène de « l’individualisation ». Le premier semble aujourd’hui incapable de tenir compte avec suffisamment de finesse des potentialités multiples des individus, qui ne sont plus autant soumis à une fatalité sociale. La socialisation se faisant de plus en plus tout au long de la vie et plus seulement jusqu’à l’arrivée à l’âge adulte, les parcours deviennent beaucoup moins prévisibles et trop de « cas particuliers », miraculés ou victimes inattendues viennent émailler la théorie générale. Le second (décliné en trois axes : « nouvel individualisme institutionnalisé », « injonction à l’individualisation » et le « sujet réflexif ») trop focalisé sur l’individu n’est pas à même de resituer ce phénomène dans un changement paradigmatique et global, valable pour toutes les sphères de la vie sociale. 3. De l’individualisme au singularisme -> Après un rappel des différentes acceptations de l’individualisme, cette partie vient expliquer le glissement permettant de passer de l’individualisme au singularisme 3 Reprenant les origines sociologiques de « l’individualisme » tel que défini par T ocqueville, D. Martuccelli montre en quoi le singularisme est le nouveau visage de l’individualisme, conservant le « primat de l’individu » mais en opérant une inflexion : l’égalité n’est plus au centre de ce nouvel individualisme. A la place, on pourra mettre comme pilier de cette société singulariste la « conscience sociétalisée de soi », un nouveau type de rapport entre le commun et le singulier. Les individus des sociétés contemporaines sont dans « la quête d’une forme sui generis de justesse personnelle » (p51) de réussite de sa singularité par la mise sur pied d’une « dynamique nouvelle entre le singulier et le commun » (p53). Plusieurs dangers guettent l’individu des sociétés singularistes : « interchangeabilité fonctionnelle des êtres » (p60), désenchantement face au sentiment de manque de légitimité des individus, désintérêt pour l’égalité etc. 4. Singularisme et individuation -> Danilo Martuccelli invite à considérer l’individuation comme grille de lecture macrosociologique de nos sociétés. C'est-à-dire de ne plus voir le primat des systèmes sociaux sur les individus, mais bien d’adopter le point de vue d’une « aventure commune se déclinant de manière de plus en plus singulière » (p69). Il y a une nécessité de retracer les transformations structurelles qui vivent les individus au jour le jour. L’individuation s’intéresse à « étudier une société à partir des type d’individus qu’elle fabrique structurellement » (p70). L’auteur propose d’utiliser le concept non plus comme une simple stratégie analytique, mais bien comme base d’une analyse macrosociologique et soutenu par une perspective historique. Pour mener à bien ce projet il est nécessaire d’élaborer des outils spécifiques (autre notamment que le récit biographique fortement critiqué par l’auteur), « se défaire du fantasme de l’exhaustivité » (p74). La « nouvelle sensibilité analytique » (p75) requise par Martuccelli propose d’aller à rebours des études qualitatives à fonction confirmative et plutôt de rechercher spécifiquement ce qui fait qu’un individu n’est pas un stéréotype de son personnage de classe. Partie 2 : Qu’est-ce qu’une épreuve Face à ce changement structurel et aux inadéquations des outils actuels des sociologues, la deuxième partie de l’ouvrage vise à développer la notion d’épreuve : un défi socialement construit et situé que l’individu doit relever. Il s’agit de « saisir les enjeux d’une société historique à l’échelle des individus » (p. 65). C’est donc bien un outil analytique : on identifie des épreuves communes à la société afin d’étudier la façon dont elles sont (ou non) réussites à partant du vécu de chaque individu. 5. Une logique narrative -> L’auteur décline 3 idéaux-types d’épreuves fréquemment rencontrés. Ces idéaux-types sont eux-mêmes construits sur une logique ternaire : formation, mise à l’épreuve, résolution, quelque peu à l’image de la plupart des histoires, et tout particulièrement des récits initiatiques. Il s’agira au final pour l’auteur de privilégier un type spécifique de récit dans le cadre d’une narration sociologique, remettant en question les trois modèles précédemment présentés. L’idéal-type épique : le héro, un saint, sert à exemplifier la figure de l’excellence. L’auteur met en parallèle cette figure avec l’évolution historique des héros dans la littérature religieuse européenne où l’individuation des héros est de plus en plus forte depuis le XIIème siècle. 4 uploads/Litterature/ fiche-de-lecture-la-societe-singulariste-danilo-martuccelli.pdf

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