Table ronde Futuribles du 8 mars 2007 47 rue de Babylone • 75007 Paris • France

Table ronde Futuribles du 8 mars 2007 47 rue de Babylone • 75007 Paris • France Tél. : 33 (0)1 53 63 37 70 • Fax : 33 (0)1 42 22 65 54 forum@futuribles.com • www.futuribles.com Une brève histoire de l’avenir COMPTE RENDU DE LA TABLE RONDE DU 08 MARS 2007 Jacques Attali : docteur d’État en sciences économiques, diplômé de l’École polytechnique, de l’École des Mines, de Sciences Po et de l’École nationale d’administration, professeur, ancien conseiller d’État auprès de François Mitterrand et homme de lettres, il a écrit plus de 30 livres. Chroniqueur pour le magazine L’Express, il est également président d’une société de conseil spécialisée dans les nouvelles technologies et fondateur de PlaNet Finance. Introduction par Hugues de Jouvenel : Merci à Jacques Attali de venir ici nous parler de son dernier livre Une brève histoire de l’avenir, livre déconcertant car il parle d’un futur comme s’il était déjà fait : ce livre est le récit de notre futur selon Jacques Attali. On voit bien que l’objectif de l’auteur a été de déceler des invariants, des moteurs de l’histoire, et de prolonger des tendances et d’extrapoler sur les évolutions des ces moteurs. On sent aussi qu’au- delà de l’ambition d’expliquer, il y a chez vous une volonté de mise en garde contre certains éléments de ce futur. Donc aussi, de faire en sorte qu’il n’arrive pas. Intervention de Jacques Attali Le succès de l’ouvrage a étonné l’auteur. En effet, il s’agit avant tout d’une courte tentative de synthèse de beaucoup de ses travaux antérieurs, une sorte de rapport d’étape. La plupart des idées et analyses qui le composent ont été plus ou moins développées dans de précédents ouvrages de Jacques Attali (Histoires du temps ; Dictionnaire du XXIè siècle. Paris : Fayard, respectivement 1982 et 1998, etc.). Trois principes le guident lorsqu’il s’interroge sur l’avenir : 1) Il faut comprendre le passé pour comprendre l’avenir, c’est indispensable. 2) La méthode scénarios, si prisée des prospec- tivistes, est un bon moyen pour ne pas trancher, ne pas choisir, éventuellement même pour se couvrir comme l’avait fait un ambassadeur de France en Iran qui avait fait plusieurs scénarios sur l’avenir de l’Iran, juste avant la chute du régime du Shah, intégrant chacun à un « Télé- gramme diplomatique » différent, ce qui lui a permis ensuite de toujours se référer à celui qui s’était avéré exact… 3) Il est important de regarder au-delà de l’hori- zon des 15 ou 20 prochaines années car à cet horizon, les enjeux sont relativement connus dès aujourd’hui. Nos 100 prochaines années Jacques Attali juge que le récit le plus vraisem- blable pour les 100 prochaines années se déroule en cinq phases, qui sont en réalité cinq vagues. Ce terme de vague est plus précis car, comme les vagues, ces phases sont successives mais on peut Table ronde Futuribles du 8 mars 2007 apercevoir la suivante derrière la première en vue. De plus, comme dans tout phénomène oscilla- toire, il peut y avoir des phénomènes de réso- nance entre ces vagues, des atténuations ou des accélérations, des rattrapages ou des allonge- ments. Cependant, hors de ces phénomènes, chaque période couvre une vingtaine d’années. - Phase 1 : il s’agit de la phase actuelle de domi- nation américaine, qui n’est pas appelée à disparaître du jour au lendemain. Progressive- ment et pour diverses raisons (problèmes ethniques et sociaux internes, évolutions de la situation internationale…), cette phase devrait s’achever par un progressif repli sur eux- mêmes des États-Unis. - Phase 2 : les États-Unis se focalisent de plus en plus sur eux-mêmes et sur leurs problèmes intérieurs, c’est la fin de l’empire Améri- cain. Ils « quittent » donc plus ou moins la scène internationale, et en tout cas leur posi- tion de leadership. Aucune autre puissance ne prend leur place ; cette phase est donc celle d’un monde multipolaire dans lequel une dizaine de grandes puissances dominent le monde (États-Unis, Europe, Chine, Inde, Brésil, Russie, Indonésie, Japon…), sans qu’aucune prenne le dessus. - Phase 3 : la victoire du marché. L’État-nation perd ce qui lui reste de pouvoir et de com- pétences, des lambeaux entiers de l’État « tombent » dans le privé. Le marché devient mondial, l’État ne peut l’être : tout se privatise, même des secteurs comme la santé, l’éduca- tion… Jacques Attali souligne le poids et l’importance de deux pôles économiques qui sont déjà deux pôles à très forte croissance et à très forte rentabilité aujourd’hui, et qui sont appelés à l’être encore plus demain : les assurances et les entreprises du divertissement, de la distraction. C’est la phase de ce que Jacques Attali appelle « l’hyperempire », un empire du marché tout puissant et sans adversaire à sa hauteur. Cette époque serait une sorte de nouveau Moyen Âge corporatiste à l’échelle de la planète. - Phase 4 : celle de l’explosion, car l’hyperempire du marché n’est pas tenable, il ne peut être stable, en particulier car il créera lui-même les conditions de sa chute. Pour Jacques Attali, une période noire adviendra alors, peut-être celle d’une guerre d’une violence jamais vue, un « hyperconflit ». - Phase 5 : Jacques Attali se demande s’il n’a pas ajouté cette phase pour se racheter, pour finir sur une note optimiste. Toujours est-il que la dernière phase est une phase de substitution au marché d’une véritable gouvernance mondiale. Cette phase, celle de « l’hyperdémocratie », sera celle d’une sorte de sociale-démocratie mondiale assise sur l’économie de la gratuité et de l’altruisme enfin arrivée à maturité. Le moteur de l’histoire : la liberté individuelle Ce raisonnement en cinq phases s’appuie sur un paradigme fondateur, qui est un choix théorique sur le moteur de l’histoire. Pour Jacques Attali, trois moteurs de l’histoire existent : - la recherche de l’immortalité, - la recherche de la solidarité, - la recherche de la liberté individuelle. Pour lui, ce raisonnement peut se retrouver dans les grands écrits sur les lois de l’histoire, d’Hegel à Marx. En dernière analyse, le moteur qu’il a choisi, après avoir longtemps creusé le sillon de réflexion de l’immortalité, est la liberté indivi- duelle qui n’est pas qu’une passion moderne : elle est finalement aussi fondatrice de la « distinc- tivité » de l’espèce humaine par rapport aux autres espèces animales. En effet, le propre de l’espèce humaine sera rapidement dans le déplacement, la mobilité, le voyage, qui est un marqueur de la liberté individuelle. La sédentarisation des humains ralentira ce processus qui explosera dans la grande époque de l’extension du règne humain, aux marges de l’empire Babylonien, quand des peuples se mettent à explorer, innover, créer…, pour rompre avec la cosmogonie répétitive. Le neuf, qui est aussi un autre nom de la liberté individuelle, est ainsi une des inventions les plus importantes de la civilisation grecque, qui se libère ainsi du cycle, de l’immuable, de la tradition. Mais la liberté individuelle suppose des méca- nismes institutionnels qui vont donc prendre du poids, sous deux formes parallèles : l’économie de marché et la démocratie. Table ronde Futuribles du 8 mars 2007 Tous deux apparaissent comme des mécanismes institutionnels mineurs et grandissent avec le besoin de liberté. Tout cela prend de l’ampleur historiquement beaucoup plus tôt qu’on le pense généralement, dans le haut Moyen Âge, avec l’essor de l’individu, l’apologie du neuf… Selon Jacques Attali, et dans le prolongement des travaux de Fernand Braudel et Emmanuel Wallerstein, le couple « démocratie-marché » progresse à partir du XIIe siècle et, à chaque fois, un cœur du monde peut être identifié. Un cœur précis dans lequel on innove dans les deux do- maines : la démocratie et le marché, dans lequel la liberté individuelle progresse, passe à une nouvelle étape, un cœur où l’ouverture vers le monde est toujours importante, qui accueille de nombreux étrangers et qui prêche des valeurs universalistes. Un cœur qui s’appuie sur une technologie de rupture, généralement en rapport avec les communications et l’énergie. Un cœur qui, au fur et à mesure des étapes, sera de plus en plus large : d’un bourg à une ville, une agglo- mération, une conurbation, une région… Dans l’ordre, ce cœur a été Bruges, puis Venise, puis Anvers puis Gènes, Amsterdam et Londres. Enfin, le cœur s’est déplacé d’abord vers la côte Est des États-Unis (Boston, New York) puis, dans les années 1980, vers la Californie qui est le cœur actuel (large et moins territorialisé) du système- monde. À chaque fois, on note une avancée du marché et une avancée de la démocratie. Quels sont les « craquements » qui touchent ce cœur et ce système-monde actuel ? Il y a des « craquements » prosaïques : la crois- sance américaine est déséquilibrée et à crédit — société d’hyperconsommation qui ne tient que par l’excédent d’épargne en Asie, déséquilibre démographique planétaire, développement de « l’économie de casino » des finances mondiales, fossé entre le monde développé et le monde en développement, rejet du modèle dominant en particulier par l’Islam, tensions sur les matières premières. Mais il y a également, dans uploads/Litterature/ futuribles-0307-breve-histoire-de-lavenir.pdf

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