Revue d'histoire et de philosophie religieuses « La métaphore vive » de Paul Ri

Revue d'histoire et de philosophie religieuses « La métaphore vive » de Paul Ricœur Paul Ricœur, « La métaphore vive », Editions du Seuil, Paris, 1975 Gilbert Vincent Citer ce document / Cite this document : Vincent Gilbert. « La métaphore vive » de Paul Ricœur. In: Revue d'histoire et de philosophie religieuses, 56e année n°4,1976. Rendre compte de Dieu. pp. 567-581; doi : https://doi.org/10.3406/rhpr.1976.4354 https://www.persee.fr/doc/rhpr_0035-2403_1976_num_56_4_4354 Fichier pdf généré le 23/11/2019 «LA METAPHORE VIVE»* DE P. RICŒUR La fréquence d'emploi de la qualification « vive » est l'indice de la portée polémique des huit études de l'ouvrage. Certes, le premier front oppose une théorie de la métaphore à une conception pré-linguistique du travail poétique ; la possibilité d'une conceptua¬ lisation de la métaphore a pour condition préalable le refus d'une pseudo-explication par le génie, et par conséquent le refus d'une distinction séculaire, entre poésie et langage ordinaire. Que la méta¬ phore se dise en termes de « procès » ou de production de sens présuppose que l'on a renoncé à loger la métaphore dans l'excep¬ tionnel, dans la poésie consacrée. Du même coup, parler de « procès métaphorique » conduit à soutenir des thèses polémiques sur le front de la linguistique. Car si, à l'encontre d'une théorie romantique de la poésie, comme œuvre du génie, on tente de surprendre le fonctionnement de la métaphore dans le langage ordinaire, on est conduit à mettre en doute la perti¬ nence d'une opposition qui a pu prendre l'allure d'un dogme dans certaines écoles linguistiques issues de F. de Saussure : il s'agit de l'opposition entre langue et parole. Selon cette opposition dont le premier terme seul était considéré comme l'objet propre de la lin¬ guistique, le « parler » désignerait l'usage effectif de la langue ; mais cet usage serait soustrait d'une étude linguistique scientifique à un double titre : d'une part en tant que tout usage est individuel ; d'autre part en tant que l'usage est le « lieu » du changement linguis¬ tique. L'exclusion de la parole hors du champ de la linguistique a 568 REVUE D'HISTOIRE ET DE PHILOSOPHIE RELIGIEUSES pertinente, c'est par rapport à une étude structurale des significations, et par rapport à un primat du mot. La critique préalable du romantisme a donc pour fonction d'em¬ pêcher une régression pré-linguistique. De même, le choix de la métaphore, plutôt que de la parole, interdit qu'on ne développe une critique de telle linguistique sur la base de la conscience égologique du sujet parlant. Bien plus, le choix de la métaphore se révèle straté¬ gique dans la mesure où s'avère inadéquate la théorie que l'on peut en faire dans le cadre d'une linguistique du mot. Dès lors, cette inadé¬ quation, ou insuffisance, en appelle à une linguistique vraiment géné¬ rale dont les études de P. Ricœur contribuent à dégager les niveaux. Le mot, la phrase, le discours : autant d'unités linguistiques aux¬ quelles correspondent des propriétés différentes, que méconnaît une théorie — structurale en l'occurrence — oublieuse de la corrélation nécessaire entre l'objet dont elle fait la théorie et les concepts ou méthodes qu'elle construit pour rendre compte de son objet. Mais on n'aura pas assez souligné l'intérêt de ces études tant que l'on n'aura pas souligné que la critique de la linguistique effec¬ tuée au long de ces pages a pour contrepartie une promotion théo¬ rique de l'herméneutique. On peut en effet tenir ces études pour autant de preuves que l'herméneutique n'est pas l'idéologie de l'inef¬ fable à laquelle l'assimilent parfois ses adversaires et à laquelle se condamnent tels de ses champions faute de voir que s'il y a hermé¬ neutique, c'est avant tout qu'il y a un niveau discursif du langage. Une théorie du procès métaphorique interdit la naïveté herméneu¬ tique : entendons par là la naïveté avec laquelle on risque de répéter l'idéologie du romantisme, en se donnant des textes exceptionnels dont l'herméneutique serait le mode exceptionnel de déchiffrage. Ce qui fonde l'herméneutique, c'est le fonctionnement discursif de tout langage, dont la métaphore est l'irremplaçable révélateur. L'her¬ méneutique commence là où s'arrête la linguistique structurale : là où la clôture des significations, connue dans l'après-coup théorique, fait place à l'ouverture du sens reconnue dans la familiarité d'une tradition et connue comme phénomène discursif de non-saturation du sens. Un des pivots majeurs de l'argumentation développée par P. Ricœur consiste en un passage d'une « sémantique du mot » à une « sémantique du discours », pour laquelle Benvéniste a fait œuvre de pionnier dans son insistance à distinguer l'usage du langage de celui d'un code et à situer cette différence dans la fonction métalin- guistique du langage (le langage est en effet ce par quoi il est toujours possible de définir les propriétés d'un code, tandis que l'in¬ verse est impossible). Par rapport à la théorie de la métaphore, le passage consiste « LA MÉTAPHORE VIVE » DE PAUL RICŒUR 569 à renoncer à une rhétorique du mot, selon laquelle la métaphore consisterait principalement en un phénomène ornemental. Dans les approches récentes inspirées de la sémantique structurale de Grei- mas, la métaphore reste une figure de mot, même si l'on est plus soucieux d'en expliquer le mécanisme que l'effet ornemental ; la métaphore serait le nom du produit de l'opération complexe (sélec¬ tion, puis addition ou soustraction) effectuée sur l'ensemble des sèmes, ou noyaux de signification, constitutifs du mot ; un autre nom de cet effet serait le fameux « sens figuré ». P. Ricœur, à la suite des auteurs anglo-saxons qu'il étudie, n'a pas de peine à montrer la continuité entre théories structurales et rhétorique de la métaphore et à situer cette continuité dans le présupposé, voire la « superstition de la signification propre » (Richards, citation p. 101), dont le nom serait le porteur. Plus exactement, ayant identifié signification et sens, ces théories comme la rhétorique ancienne, méconnaissent que « c'est le discours pris comme un tout qui porte le sens de manière indivise ». La raison de cette identification tient, selon Ricœur, à ce que rhétoriciens anciens et modernes ne traitent que de métaphores mortes, c'est-à-dire de métaphores lexicalisées. Mais a-t-on le droit de faire abstraction du moment où la métaphore fut « vive », au moment de ses premiers emplois en rupture avec le code lexical ? La rhétorique a simultanément raison et tort : raison en ce sens que le produit métaphorique consiste bien en une modification de l'identité sémantique d'un mot ; tort en ce qu'elle ne traite la métaphore qu'en termes de produit, et non de production. Dès lors il ne s'agit pas de simplement renverser les propo¬ sitions de l'adversaire pour obtenir une théorie plus adéquate. Ce qu'il faut, c'est rendre compte de la complémentarité des descriptions en termes de produit et de production. La rhétorique traite de la métaphore qui a réussi et dont la réussite — ■ mesurée à son degré de lexicalisation, qui la rend identifiable pour le linguiste — se paye de la difficulté à reconnaître, non pas les conditions de réussite (il y faudrait une approche sociologique dont le lieu n'est que très rapidement esquissé, p. 163 : « le langage est à la merci... de causes non linguistiques de changement qui empêchent... la lexicologie de s'établir sur la base d'une entière autonomie... Le langage... est à la merci de forces sociales dont l'efficacité souligne le caractère non systématique du système ») mais les conditions de possibilité purement linguistiques. L'herméneutique n'est pas une anti-linguistique ; pas même une anti-linguistique du mot, en dépit du poids des critiques qu'elle 570 REVUE D'HISTOIRE ET DE PHILOSOPHIE RELIGIEUSES de la production — à l'aide d'une théorie de l'énoncé comme lieu du sens — et du produit — en rendant justice à l'approche rhétorique. Une manière d'entrer dans la complémentarité des théories lin¬ guistiques consiste à dégager la corrélation qu'une théorie établit entre ce qu'elle cherche à expliquer, et le facteur explicatif qu'elle se donne. Dans les théories rhétoriques de la métaphore, l'explication de la métaphore est conduite à partir de la « polysémie ». Dans le cadre d'une théorie de la métaphore lexicalisée, la polysémie est donnée ; que le mot ait plusieurs significations, c'est un fait de syn¬ chronie. Or, si l'on s'engage dans une théorie du procès métaphorique, la polysémie devient ce que l'on peut expliquer, et qui autorise une linguistique diachronique : la métaphore « vive », comme innovation sémantique, est à l'origine de la polysémie, comme propriété lexicale. La ipolysémie est donc l'envers de l'ouverture du mot liée à la possi¬ bilité, pour un locuteur, d'obliger un mot à porter, comme oblique¬ ment, une signification nouvelle suscitée par l'écart entre les valeurs sémantiques usuelles du mot et la valeur sémantique globale de l'énoncé. Β faut ainsi parler de dispositif métaphorique complexe dans lequel, du fait de l'impossibilité pour un mot, dans un énoncé donné, de se voir crédité de telle de ses valeurs usuelles, le récepteur est contraint à l'innovation sémantique sous peine de construire un énoncé simplement absurde. Le dispositif métaphorique exige par conséquent uploads/Litterature/ gilbert-vincent.pdf

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