Tabularia « Études », n° 9, 2009, p. 13-25, 8 juillet 2009 http://www.unicaen.f

Tabularia « Études », n° 9, 2009, p. 13-25, 8 juillet 2009 http://www.unicaen.fr/mrsh/craham/revue/tabularia/print.php?dossier=dossier9&fi le=04bozoky.xml Les romans du Graal et le culte du Précieux Sang Grail Literature and the Worship of the Precious Blood Edina Bozoky Université de Poitiers, CESCM edina.bozoky@univ-poitiers.fr Résumé : Plusieurs thèmes de la littérature du Graal refl ètent la dévotion à la Passion du Christ, et plus spécialement au Saint Sang. Après avoir esquissé l’histoire des romans français du Graal (fi n XII e -XIII e siècle), cette communication présente l’identifi cation du Graal et de la lance-qui- saigne avec des reliques de la Passion du Christ (Graal : plat de la Cène dans lequel Joseph d’Arimathie a recueilli le sang du Christ ; la lance-qui-saigne : lance par laquelle Longin a transpercé le côté du Christ), puis les visions graaliennes qui mettent en scène le dogme de la transsubstantiation, étroitement lié au culte du sang du Christ. Mots-clés : Romans du Graal, Saint Sang, Graal, lance-qui-saigne, Longin, Cène, Joseph d’Arimathie, Eucharistie, transsubstantiation, reliques de la Passion. Abstract : Several themes in Grail literature refl ect the devotion to the Passion of Christ, and especially to the Holy Blood. Aft er outlining the development of French Grail romances (late 12 th to 13 th centuries) this paper will set out the ways in which the Grail and the Bleeding Lance came to be identifi ed with relics from the Passion of Christ (the Grail as a dish from the Last Supper in which Joseph of Arimathea received Christ’s blood ; the Bleeding Lance as the lance with which Longinus pierced Christ’s side). Finally, visions of the Grail will be presented as the enactment of the dogma of tran- substantiation, which is closely linked to the religious signifi cance of the Blood of Christ. Keywords : Grail romances, Holy Blood, Grail, Bleeding Lance, Longinus, Last Supper, Joseph of Arimathea, Eucharist, transubstantiation, relics of the Passion. La littérature du Graal est née à la fi n du XII e siècle et connut son plus grand essor durant la première moitié du XIII e siècle, en particulier dans son premier tiers. Il s’agit d’une série de romans, d’abord en vers, puis en prose qui, en grande partie, s’organisent en cycle. Leur cadre est constitué par la cour du roi Arthur et les chevaliers de la Table Ronde, dont certains se lancent à la « quête » du Graal. Si les premières œuvres ont été rédigées en ancien français, et la production la plus riche reste en français, d’autres romans ont été composés en allemand, en anglais, en italien, en espagnol, en norois 1. 1. Sur la littérature du Graal, la bibliographie est immense. Voir dernièrement : Th e Grail. A Case- book , éd. Dhira B. Mahoney , New York/Londres, Garland, 2000 ; Aurell , Martin, La légende du roi Arthur , Paris, Perrin, 2007, 692 p. 14 Les « Précieux sangs » : reliques et dévotions http://www.unicaen.fr/mrsh/craham/revue/tabularia/print.php?dossier=dossier9&fi le=04bozoky.xml Les romans médiévaux du Graal ne peuvent pas être compris sans la connais- sance du contexte de la religiosité médiévale des XII e -XIII e siècles. En particulier, certains thèmes de cette littérature refl ètent la dévotion à la Passion du Christ et plus spécialement le culte du Saint Sang. La littérature du Graal C’est dans le dernier roman de Chrétien de Troyes, intitulé Perceval ou le Conte du Graal 2, datable entre 1181 et 1190, que le thème du Graal apparaît. Le jeune héros du roman, qui ne « devine » son nom – Perceval – qu’après sa visite au châ- teau du Graal, rencontre un homme en train de pêcher dans une barque sur une rivière. Celui-ci lui off re l’hospitalité pour la nuit et lui indique le chemin qui mène vers sa « maison ». Perceval n’aperçoit pas immédiatement le château blotti au fond d’une vallée. Accueilli par son hôte, infi rme des jambes, le héros assiste, durant le repas, à un cortège étrange : un jeune homme sort d’une chambre, por- tant une lance d’une blancheur éclatante ; une goutte de sang perle à la pointe de la lance et coule jusqu’à la main du porteur. Puis viennent deux autres jeunes hommes, tenant des chandeliers d’or ; ensuite apparaît une demoiselle, tenant un graal entre ses deux mains, un plat large et peu creux, tandis qu’une clarté extraordinaire se répand dans la salle ; et enfi n, une autre demoiselle arrive avec un tailloir (plat à découper) en argent. Bien qu’intrigué par cette scène, le jeune héros garde le silence, se souvenant des conseils d’un vieux chevalier qui lui avait enseigné la discrétion. Le lendemain, il serait prêt à poser les questions : à qui sert- on le Graal ? et pourquoi la lance saigne-t-elle ? – mais il trouve le château com- plètement désert, et lorsqu’il part, le pont-levis se lève brutalement derrière lui 3. Plus tard, il apprendra des bribes d’informations sur cette aventure. D’abord, une demoiselle lui fait des reproches véhéments : s’il avait posé des questions, il aurait guéri son hôte, le Roi-Pêcheur, blessé entre les jambes, et aurait empêché les mal- heurs qui frapperont sa terre 4. Puis, au bout de cinq années d’errance, un ven- dredi saint, Perceval arrive chez un ermite qui se révèle être son oncle ainsi que celui du Roi-Pêcheur. Le saint homme lui donne un seul renseignement, quoi- que énigmatique, sur le Graal : c’est une « sainte chose » qui ne contient qu’une seule hostie et qui maintient en vie le vieux roi, père du Roi-Pêcheur 5. Il ne dit rien sur la lance 6. Mais dans un autre passage du roman, il est question d’une 2. Chrétien de Troyes , Perceval ou Le Conte du Graal , éd. et trad. Daniel Poirion , in Chrétien de Troyes , Œuvres complètes , Paris, Gallimard (coll. La Pléiade), 1994, p. 683-911 ; voir aussi la trad. de Lucien F oulet , in La légende arthurienne , Danielle Régnier-Bohler ( dir.), Paris, Laf- font, 1989, p. 7-115 ; trad. de Charles Méla in La légende du Graal dans les littératures européen- nes. Anthologie commentée , Michel Stanesco (dir.), Paris, Librairie générale française (coll. La Pochothèque), 2006, p. 125-284. 3. Chrétien de Troyes , Perceval… , v. 2998-3419, p. 759-770. 4. Ibid. , v. 3494-3611, p. 772-774. 5. Ibid ., v. 6337-6431, p. 841-843. 6. Sur la lance-qui-saigne, voir Brown, Arthur C. L., « Th e Bleeding Lance », Publications of the Modern Language Association of America , 25, 1920, p. 1-59. 15 Les romans du Graal et le culte du Précieux Sang Tabularia « Études », n° 9, 2009, p. 13-25, 8 juillet 2009 lance-qui-saigne qui, selon une prophétie, pourrait détruire le royaume de Logres (nom du royaume d’Arthur). C’est l’autre protagoniste du roman, Gauvain, qui est envoyé à sa quête, et ne fait pas grand-chose pour la trouver… Le roman de Chrétien restant inachevé, le « secret » du Graal et de la lance ne pouvait pas être connu. C’est alors que plusieurs auteurs inventent soit une conti- nuation, soit une « préhistoire » au roman de Perceval. Tout d’abord, à la fi n du XII e siècle (ou début du XIII e ), un certain Robert de Boron, dans son roman en vers Joseph d’Arimathie ou le Roman de l’Estoire du Graal 7 établit un lien entre l’histoire apocryphe de la Passion du Christ et le Graal (sans s’intéresser au thème de la lance). Robert a écrit également un Merlin en vers, conservé seulement en fragments, et peut-être un Perceval dont il ne reste rien. La mise en prose 8 de cette hypothétique dernière partie constitue une histoire du Graal christianisé qui en situe les épisodes en Bretagne, à l’époque de la chevalerie arthurienne. La trilogie Joseph-Merlin-Perceval relie, pour la première fois, la Terre Sainte au pays des Bretons insulaires, et combine les légendes apocryphes sur la Passion du Christ avec les traditions pseudo-historiques sur Arthur et avec la matière des contes merveilleux celtiques. Dans le même temps, également à la fi n du XII e siècle, sont composées les deux premières Continuations 9 du roman de Chrétien, en reprenant le fi l des aventures respectivement de Gauvain et de Perceval. Vers la fi n du premier tiers du XIII e siècle, deux autres Continuations naissent (celles de Manessier 10 et de Gerbert de Montreuil 11). C’est de cette époque que date aussi l’imposant cycle du Graal en prose, appelé cycle de la Vulgate ou Lancelot-Graal . Sa partie la plus célèbre est la Quête du saint Graal (1225-1230) 12 dont le protagoniste, Galaad, est un cheva- lier pur et chaste, qualifi é de celestiel , seul digne d’achever l’aventure du Graal. 7. Robert de Boron , Le Roman de l’Estoire dou Graal , éd. William A. Nitze , Paris, Champion (Les Classiques français du Moyen Âge), 1927, 136 p. ; voir aussi Joseph d’Arimathie. A Critical Edition of the Verse and Prose Versions , éd. Richard O’ Gorman , Toronto, Pontifi cal Institute of Medieval uploads/Litterature/ graal-et-precieux-sang.pdf

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