1 Explication de document: Homère, Odyssée XIV, 1-79 – Bernard Eck Introduction
1 Explication de document: Homère, Odyssée XIV, 1-79 – Bernard Eck Introduction Situation: Ulysse vient de débarquer à Ithaque. Athéna lui recommande de ne dévoiler son identité à personne; elle lui prédit la mort des prétendants et l’engage à trouver Eumée, qui a toujours conservé son amitié. Ulysse est déguisé, grâce à Athéna, en vieillard loqueteux. Centres d’intérêt du passage: 1) du point de vue de l’action, le dévouement sans faille d’Eumée pour son maître, qu’il ne reconnaît pas sous son déguisement 2) la tradition archaïque des devoirs d’hospitalité (xénia) 3) des éclairages sur la sociologie et sur l’économie du monde homérique à travers la porcherie d’Eumée et le statut de ce dernier. Annonce du plan (ici, plan linéaire possible), à raison d’une phrase pour annoncer une partie. I – Description du logis/porcherie d’Eumée, qui marque une pause dans le récit (l. 1-32) - court aperçu du site d’Ithaque (l. 1-2), île rocheuse (“sentier rocailleux”); “port”=Phorkys (cf. chant XIII). Ulysse obéit aux recommandations d’Athéna (l. 3-6), surtout qu’il ignore où habite Eumée, sa maison ayant été construite dans la période de sa longue “absence” (l. 10). - statut d’Eumée: est un esclave, et l’esclave le plus attaché à son maître, mais ce n’est pas Ulysse qui a acheté Eumée. Voir ch. XV où Eumée raconte sa vie: est fils de roi, enlevé, enfant, par des Phéniciens puis vendu, à Ithaque, au père d’Ul., Laërte; élevé par Anticlée, mère d’Ulysse, qui agit avec lui comme s’il était son fils. L’expression “divin porcher” (l. 4) n’est donc curieuse qu’en apparence: l’épithète homérique stéréotypée de “divin”, qui indique le rapport d’un ancêtre avec un dieu (cf. “divin Ulysse”, “divin Agamemnon”), se justifie puisqu’Eumée est fils de roi, “semblable aux Immortels” (ch. XV); surtout, l’épithète est signe, ici, d’arétè: l’esclave Eumée, par sa hauteur morale, reçoit la dignité du héros homérique. Singularité de la scène: un fils de roi devenu porcher va accueillir un roi travesti en mendiant. - description minutieuse de la porcherie (l. 7-16), mais difficulté cependant à la représenter. Relever les principaux éléments: “avant-pièce” (l. 7)=cabane des porchers? ... “frise d’épines” (l. 12) pour décourager l’escalade; “au dehors… des pieux”: il y a donc une double enceinte, une de pierre et une de bois, et la porcherie est comme une petite forteresse; l. 15: “douze tects” (=étables) réservés aux seules truies, reproductrices. L’élevage du porc est local, et non pas importé; il apparaît en Grèce dès le paléolithique (ca 35 000 av. J.-C.). Un des intérêts de cette decription est de souligner le statut économique et social d’Eumée, qui règne comme un roi sur un petit domaine, qu’il s’est bâti “sans consulter” (l. 10) Pénélope ou Laërte, substituts du basileus Ulysse dont l’absence a laissé le pouvoir vacant. Le statut d’esclave est oublié, et Eumée jouit d’une indépendance de fait. - les porcs (l. 16-25), très nbx; distinguer truies+porcelets / verrats, moins protégés. Allusion (l. 20-23) au pillage quotidien de l’oikos d’Ulysse par les “divins” prétendants (ici, simple stéréotype sans connotation d’excellence). Les prétendants règnent de facto et usent de la terreur (l. 22: Eumée obligé de fournir des porcs); l. 25: “grand commandeur des porchers”: épithète grandiloquente indiquant qu’Eumée, à sa façon, exerce une souveraineté sur des gens (// “pasteur d’hommes” des héros iliadiques). 2 - fin du mouvement (l. 26-32): la description s’achève en revenant sur l’élément initial, à savoir “le porcher” (l. 7); l’oeil d’Ulysse/Homère a fait une sorte de mouvement circulaire, avec retour au point de départ = procédé littéraire de la “composition annulaire” (Ringkomposition mise en évidence par la philologie allemande), fréquente dans la littérature grecque, et particulièrement dans la tragédie. À noter: *E. travaille “un cuir de boeuf”: rare allusion au travail du cuir chez Homère. Peut-être autarcie? Plutôt: repli sur soi d’E., solitude ascétique, pas de contact, semble-t-il, avec l’extérieur, notamment avec Pénélope ou les prétendants. *E. a 4 esclaves (l. 28 “ses gens”); se décharge sur eux des activités routinières du porcher; est si libre et si souverain qu’il peut s’adonner, “assis”, à une autre activité. Paradoxe d’un esclave possédant des esclaves et qui, par là, n’est plus esclave. * “sacrifice” (l. 32): sans doute le pieux prétexte, qui ne trompe personne, avancé par les prétendants. II – Eumée accueillant Ulysse déguisé (l. 33-60) - un incident (l. 33-41): Ulysse manque de se faire dévorer par les chiens; l. 36: “le plus triste des sorts” (cf. hantise dans l’Iliade des cadavres abandonnés et livrés aux chiens), comme mourir noyé, parce que le cadavre est souillé ou englouti. C’est là un trait du conte populaire (folklore): le héros, revenu chez lui après des années de dures épreuves, manque de périr chez les siens !! À opposer à d’autres scènes: ces mêmes chiens font un accueil amical à Télémaque, familier (début ch. XVI); Ulysse reconnu par son vieux chien Argos (ch. XVII, 261 sqq.). - l. 45-51: très rapidement, dans la bouche d’E., évocation nostalgique et compatissante (E. a lui aussi vécu dans l’errance, voir ch. XV) de son “maître divin”. Ainsi, les paroles d’Athéna sont confirmées. À noter: 1) indéfectible fidélité (“ses cochons”) et affection du vieux serviteur, qui n’est pas propriètaire du cheptel. 2) E. souffre de son impuissance. 3) Pessimisme quant au sort d’Ulysse. Pb: parler aussi rapidement de son maître à un inconnu (Ul. est déguisé) est-il vraisemblable? Oui, car un rapprochement s’opère, dans l’esprit d’Eumée, entre le vieillard misérable qui se tient devant lui et son maître (l. 49 “lui, toujours errant…”). Ul. se tait; émotion volontairement étouffée. Ul. met ses amis à l’épreuve. - annonce de l’hospitalité et premiers gestes (l. 51-60). Comme dans bcp de scènes (par ex. Ul. en Phéacie auprès d’Alkinoos), on offre d’abord à manger/boire (“pain, vin”), ensuite seulement viennent les interrogations (“puis tu me conteras d’où tu viens”). La question de l’identité n’est même pas explicitement envisagée. “Les maux que ton coeur endura”: est- ce suggéré par les haillons du vieillard? Est-ce une pensée inconsciente pour Ulysse? Confort sommaire (l. 56-60), rusticité de la “banquette” (=le lit d’E.). Le rituel de la xénia a débuté. III – Xénia entre esclave et maître - L’hospitalité relève de la “coutume” (l. 62 thémis); c’est une institution sociale d’essence sacrée: Ulysse, “plein de joie” (l. 62), formule un voeu, invoquant Zeus (l. 63) en tant que maître des dieux et, surtout, en tant que divinité garantissant les droits de l’hospitalité (cf. l. 70 “Zeus”=Zeus xénios). - l. 67-70: expression, ici, de la première forme de xénia, universelle, dont bénéficie n’importe qui, particulièrement le pauvre (“mendiants”), sans aucune arrière-pensée d’intérêt 3 ou de marchandage. Tout “étranger” est un “hôte” virtuel: c’est cette conception qu’exprime le mot grec lui-même xénos (xeinos dans la langue d’Homère), qui signifie à la fois “étranger” et “hôte”. Cette première forme est à distinguer nettement de la seconde forme de xénia, qui est une institution politique, scellant des accords, des liens ou des amitiés entre des familles, à travers des générations (voir dans l’Iliade la xénia familiale liant le Lycien Glaukos et l’Achéen Diomède; voir, au VIe s., les Pisistratides “hôtes” des Spartiates; nbx ex. encore aux Ve-IVe s.). - longue tirade où Eumée évoque sa propre situation (l. 71-83), après avoir évoqué, plus haut, celle de son maître. Contraste radical entre 2 conditions: un présent fait de crainte servile face à des “maîtres stupides” et un futur irréel (cf. les conditionnels passés); E., pessimiste (cf. l. 81: il croit Ul. mort), a la certitude qu’Ul. eût été un maître reconnaissant. E. aurait eu un vrai géras (l. 75: “maison, lopin de champ et femme de grand prix”), un rang qui serait digne de son arétè acquise à force de “travail” (l. 78) et valant, ou presque, l’arétè du héros aristocratique. - la tirade est, en outre, un reflet de l’ensemble de la pensée grecque sur l’esclavage: maître et esclave forment un couple indissociable, l’un donnant pleinement son sens à l’autre (cf. Aristote, Politique, livre 1). Ici, avec un mauvais maître (l. 71-73 cf. prétendants), l’esclavage est servilité craintive, et il y a divorce entre maître et esclave. En revanche, avec un maître doué d’arétè, l’esclavage devient élévation sociale (l. 73 sqq.). Donc le rang social de l’esclave est entièrement conditionné par la qualité morale du maître et, en lui-même, ce rang ou ce statut n’est jamais contesté. L’affranchissement, perçu comme inutile, est un problème qui ne se pose pas. - l. 81-83: leitmotiv de la culpabilité initiale d’Hélène ainsi que celle de “l’Atride” Ménélas. Hélène elle-même, dans l’Iliade, se sent très coupable. La guerre de Troie n’est pas vue par Homère comme une fatalité: il y a responsabilité humaine. - fin (l. 84-93): préparation du repas de la xénia; ressemble à un sacrifice (mais pas de part réservée aux dieux et pas de consommation rituelle des splangchna comme dans d’autres passages des poèmes homériques). Conclusion - Du point de vue du récit: après la xénia d’Alkinoos dans son mégaron, c’est la xénia d’Eumée dans sa porcherie (épisodes parallèles). Ulysse est en train d’accomplir uploads/Litterature/ hom-od-14-1-79.pdf
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- Publié le Sep 10, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
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