1 Introduction L’histoire des rapports entre la science et la technique est sur
1 Introduction L’histoire des rapports entre la science et la technique est surprenante et tumultueuse comme celle d’un couple alliant l’amour, la haine et la nécessité. On peut bien sûr s’extasier, à juste titre, devant les merveilles obtenues par la pensée dans l’étude du mouvement depuis Aristote jusqu’à Einstein en passant par Galilée, Newton et Laplace. On peut aussi être séduit par les réussites de la technique depuis la roue jusqu’à l’ordinateur en passant par la lunette astronomique et l’avion. Bref, au-delà de l’interrogation séculaire sur la prééminence de l’une sur l’autre, la science et la technique ne sont-elles pas les deux visages de l’intelligence et de la raison ? La physique moderne peut-elle se contenter des modèles mathématiques qui l’ont amenée aux confins de la connaissance de notre monde macrosco- pique ? Non, à l’évidence, les hommes ont besoin de réaliser des objets, de vérifier leurs théories, d’expérimenter, de simuler, d’explorer. En somme, les hommes ont besoin de chercher, de créer et de comprendre. Actuellement, la science du mouvement, la mécanique, repose sur trois appuis qui assurent son équilibre : la modélisation mathématique, la simu- lation numérique et l’expérience. Or, le coût de l’expérimentation, la diffi- culté de la modélisation et la puissance sans cesse accrue du calcul numé- rique ont déséquilibré ce bel édifice au détriment de la réflexion. Le lien étroit entre le modèle mathématique construit par le physicien et les mathématiques nécessaires à sa résolution, mathématiques parfois très difficiles, conduit trop souvent à renoncer à l’analyse du modèle au profit de sa résolution numé- rique. Bien sûr, les mécaniciens ne peuvent attendre les mathématiciens pour avancer dans l’analyse de leurs modèles. Ils doivent cependant préparer la voie des mathématiques par une grande rigueur dans les raisonnements heu- ristiques qu’ils mènent. De nombreux outils mathématiques ont été mis en œuvre depuis Leibniz et l’avènement de l’analyse dans le monde trop limité de la géométrie. La puissance des mathématiques dans l’écriture des modèles et la recherche des solutions des problèmes a permis des progrès considérables en physique. Des résultats parfois surprenants ont été obtenus dans ce que les 2 1 Introduction physiciens pourraient appeler d’un terme générique « la théorie de l’approxi- mation ». Ainsi, parmi les différents outils d’analyse et d’approximation, il y a déjà longtemps que les séries divergentes étaient utilisées. Elles ont donc intéressé les mathématiciens, non sans raisons. Calculés à partir de fonctions bien défi- nies, les termes de ces séries devaient nécessairement contenir une information sur les fonctions développées. En général, ces séries divergentes ne sont autres que des séries asymptotiques. À la différence d’une série convergente, une série asymptotique est telle qu’une somme partielle représente la fonction développée d’autant mieux qu’un certain paramètre est petit. Quand le para- mètre est nul, ce cas limite donne exactement la fonction avec le premier terme de la série. Lorsque le paramètre n’est pas nul mais simplement petit, toute somme partielle est donc une approximation de la fonction. On note de façon générique ε un petit paramètre. Ce petit paramètre est déterminant en physique pour réduire le modèle mathématique considéré à un modèle plus simple dont la solution est une approximation de la solution du modèle plus général. Bien plus que la notion de série asymptotique, c’est celle de développement asymptotique (DA) qui va être au centre de notre réflexion et, peut-être plus généralement, la notion d’approximation. Comme le mot « théorie » qui peut avoir plusieurs degrés dans sa signification, le mot « approximation » peut être connoté de façons très différentes. Même si on se limite à la physique mathé- matique, l’ambiguïté existe. Contrairement aux recommandations nécessaires à tout raisonnement rigoureux formulées par Euclide, le mot approximation a deux sens différents. Une approximation asymptotique est obtenue, au sens mathématique, pour des valeurs de ε aussi petites que l’exige le formalisme, la précision de l’approximation étant ici parfaitement définie. En revanche, au sens physique, l’approximation est recherchée pour une valeur donnée du paramètre et sa précision n’est pas connue à l’avance. Le but de cet ouvrage est aussi de concilier les deux définitions en propo- sant une méthode, la méthode des approximations successives complémentaires (MASC) qui, tout en suivant un formalisme rigoureux, tient compte du fait essentiel que l’on doit résoudre des problèmes concrets. La MASC s’adresse aux problèmes qualifiés de perturbation singulière qui sont l’objet de l’étude tout au long de cet ouvrage. Ce sont les problèmes pour lesquels, quand ε →0, la solution ne tend pas uniformément vers la solution du problème réduit correspondant, obtenu quand ε = 0. Il convient de préciser que cette non- uniformité se présente dans un domaine de dimension inférieure au domaine initial ; c’est pourquoi il est usuel de qualifier le problème posé de problème de couche limite. La non-uniformité d’une approximation de la solution quand un paramètre est petit est un problème mathématique. Or, nous avons la chance, en tant que physiciens, de pouvoir identifier les grandeurs connues et inconnues à des grandeurs physiques. Ces informations capitales sur la nature du problème physique que l’on souhaite traiter permettent ainsi une meilleure compré- 3 hension du modèle mathématique. C’est d’abord le cas de l’adimensionnali- sation à l’aide d’échelles caractéristiques qui permet de reconnaître que des paramètres sont petits. D’ailleurs, c’est à travers les choix multiples offerts par la description physique pour adimensionnaliser que l’on peut soupçonner des perturbations singulières. Ainsi, l’écoulement d’un fluide autour d’un profil d’aile d’avion, si l’on se place loin du profil, est-il pratiquement non visqueux. Pourtant, pour un écou- lement stationnaire incompressible, les équations qui régissent cet écoulement sont les équations de Navier-Stokes dans lesquelles, sous forme adimension- née, le seul paramètre physique est le nombre de Reynolds. Or, loin du profil, l’échelle de longueur caractéristique est telle que le nombre de Reynolds est très grand devant l’unité et l’on peut négliger son inverse. On obtient les équations d’Euler, comme si l’on avait négligé la viscosité. Ce n’est pas que la viscosité du fluide prend une valeur différente, c’est que loin du profil, son influence est négligeable parce que le gradient de vitesse est suffisamment faible. A contrario, près du profil, elle doit jouer un rôle. Ceci veut dire que la longueur caractéristique change, et qu’elle doit permettre de prendre en compte la paroi du profil où les phénomènes visqueux sont essentiels. Alors, le nombre de Reynolds n’est plus grand. Près du profil, les équations de Navier- Stokes se réduisent, si l’on s’y prend bien, à celles de couche limite, problème plus simple qui permet de vérifier les conditions à la paroi. Comment construire une approximation uniformément valable (AUV) de la solution des équations de Navier-Stokes en utilisant des solutions des équa- tions d’Euler, valables seulement loin du profil, et des solutions des équations de couche limite, valables seulement près du profil ? Voilà la question clé à laquelle on souhaite répondre pour ce problème physique particulier. Natu- rellement, d’autres problèmes seront envisagés, mais l’idée centrale est là. Comment trouver les problèmes réduits caractéristiques et leurs domaines de validité, comment les lier entre eux et, finalement, comment construire une approximation du problème initial, telles sont les démarches qui vont animer cet ouvrage. Bien sûr, le domaine central d’application est celui de la méca- nique des fluides mais les chapitres 2 ă 6 ont une portée générale et peuvent se révéler très utiles pour les physiciens et plus généralement pour les modélisa- teurs confrontés à des paramètres grands ou petits conduisant à des problèmes de perturbation singulière. Le chapitre 2 est une introduction à ces questions. L’exemple de l’oscilla- teur linéaire, pourtant simple, montre bien que l’adimensionnalisation est la première clé qui permet de préciser la nature du modèle mathématique traité. Dans ce cadre, l’habileté du physicien à comprendre son sujet et à le modé- liser reste évidemment l’arme essentielle pour le traiter. Le problème modèle de Friedrichs, d’une simplicité telle que la solution exacte est immédiate, est le modèle pédagogique par excellence d’un problème singulier, au point que les grandes méthodes de résolution sont esquissées sur cet exemple. En fait, la suite se focalise sur deux méthodes. L’une, la plus connue et la plus célèbre, est la méthode des développements asymptotiques raccordés (MDAR), l’autre, 4 1 Introduction moins connue et l’on verra pourquoi, est la méthode des approximations suc- cessives complémentaires (MASC) qui sera au cœur de la suite de l’ouvrage. Le chapitre 3 concerne la structure de la couche limite. En général, les considérations physiques donnent les indications nécessaires pour localiser les couches limites. Toutefois, sur un problème très simple, une équation diffé- rentielle linéaire du second ordre dont la solution exacte n’est pas connue, la localisation de la couche limite sera étudiée comme un problème de stabilité. Quelques cas seront abordés à travers la recherche d’une approximation de la solution et les structures correspondantes de couches limites nécessaires seront étudiées. Il s’agit toujours d’un problème aux limites, problème qui peut ne pas bénéficier d’un théorème d’existence comme cela est possible localement pour un problème aux valeurs initiales. Dans le chapitre 4, uploads/Litterature/ introduction-analyse-asymptotique-et-couche-limite.pdf
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- Publié le Sep 26, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
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