AnTard, 23, 2015, p. 59-66 DOI 10.1484/J.AT.5.109368 Connaître la bibliothèque

AnTard, 23, 2015, p. 59-66 DOI 10.1484/J.AT.5.109368 Connaître la bibliothèque pour connaître les sources : Isidore de Séville Jacques Elfassi To know the library in order to know the sources: Isidore of Seville The knowledge of Isidore’s sources did not stop progressing these last years, in particular thanks to the electronic data- bases. However, the list of these sources is not closed: this article begins with a list of recently discovered sources. It also shows how the criteria generally established to distinguish certain and uncertain, direct and indirect sources are not always valid; to this purpose, the reconstruction of Isidore’s library is not only a result of the search for his sources, but also, rather often, an essential prerequisite for this research. The article ends by suggesting new paths for future research, in particular about the history of the texts which converged into Isidore’s library. [Author] Le titre que j’ai donné à cet article surprendra peut-être le lecteur1. La logique aurait dû imposer l’ordre inverse : « connaître les sources pour connaître la bibliothèque », car il est normal qu’on identifie d’abord les sources d’un auteur, et qu’ensuite seulement, grâce à ces identifications, on reconstitue sa bibliothèque. Je ne prétends pas le contraire. Mais dans le cas d’un auteur comme Isidore de Séville, la recherche des sources n’est pas toujours aisée. Lorsqu’il exploite un texte, il ne le recopie pas toujours de manière littérale (il le fait même rarement), et parfois il est difficile d’affirmer de manière catégorique qu’il a employé telle ou telle source. De surcroît, même quand une source a été identifiée, il n’est pas toujours facile de savoir s’il l’a connue de première ou de seconde main. Or, dans un certain nombre de cas litigieux, c’est la connaissance qu’on peut avoir de sa bibliothèque qui permet de trancher, ou du moins 1. Cet article s’inscrit dans le cadre d’un projet de recherche, dirigé par Mª A. Andrés Sanz (Université de Salamanque) et financé par le Ministère espagnol de l’économie et de la compétitivité (projet FFI2012-35134), sur « l’évolution des savoirs et sa transmission dans l’Antiquité tardive et le haut Moyen Âge latins ». d’affiner certaines hypothèses. La connaissance des sources d’Isidore permet de connaître sa bibliothèque, mais la connaissance de sa bibliothèque permet aussi de mieux connaître ses sources : les deux démarches sont intimement liées. Cependant, avant de donner des exemples destinés à illustrer cette affirmation, je crois utile de rappeler que la recherche des sources isidoriennes n’est pas close. L’histoire de cette recherche commence au moins au xvie siècle : les savants qui publièrent sous la direction de J. Grial les Opera omnia d’Isidore accompagnèrent les textes de nombreuses notes sur les sources de l’évêque2. 2. Voir J. Grial, Diui Isidori Hispalensis episcopi opera, Madrid, 1599. Comme les notes de J. Grial et de ses collaborateurs furent reprises par F. Arévalo puis par la Patrologie Latine, elles sont d’un accès facile aux lecteurs actuels. Plusieurs d’entre elles restent utiles encore aujourd’hui, car certaines sources vues par les érudits du xvie siècle ont échappé aux philologues contemporains. En voici trois exemples : Diff. I, 322 (236) < Servius, Aen. I, 436 (voir PL 83, 34, note de P. Pantin) ; Quaest. in Ex. 49, 1 < Jérôme, In Zach. I, ad v. 4, 2-7 (voir PL 83, 312-313, note de J. Grial) ; et Sent. II, 7, 12b < Grégoire le Grand, Mor. XXV, 8, 19 (voir PL 83, 608, note de P. García de Loaysa). Jacques Elfassi AnTard, 23, 2015 60 Mais c’est le xxe siècle qui a vu les progrès les plus spectaculaires, pour deux raisons principalement. La première est le renouvellement méthodologique induit notamment par les travaux de J. Fontaine : le chercheur français a révolutionné les études isidoriennes en mettant au cœur de sa réflexion non seulement les sources elles- mêmes, mais aussi le rôle d’Isidore dans la compilation et la réécriture de ces sources. Depuis la parution de sa thèse en 19593, un grand nombre d’œuvres d’Isidore ont vu leurs sources étudiées en détail, dans le cadre soit d’une édition critique, soit d’un livre ou d’un article monographique4. La seconde raison est l’apparition des banques de données électroniques, dans les années 1990, qui ont grandement facilité la recherche des sources5. En se limitant aux dernières années (depuis 2012), voici onze textes connus d’Isidore qui viennent seulement d’être repérés : - Augustin, Contra Secundinum ; les emprunts sont les suivants : Augustin, C. Secund. 5 > Isidore, Etym. VII, 2, 136 et probablement Diff. II, 6, 14-15 ; Aug., C. Secund. 19 > Isid., Eccl. off. II, 24, 3 et peut-être Etym. VII, 1, 287 ; - Augustin, De inmortalitate animae 1, 1 > Isid. Diff. I, 157 (490) ; - Augustin, Expositio epistulae ad Galatas 51, 3 > Isid., Diff. I, 116 (263)8 ; - Augustin, Sermo 4, 22 > Isid., Etym. VII, 2, 38 et 42-43 ; et Aug., Serm. 4, 23 > Isid., Etym. V, 26, 79 ; 3. J. Fontaine, Isidore de Séville et la culture classique dans l’Espagne wisigothique, Paris, rééd. 1983 (1re éd. 1959). 4. C’est le cas des commentaires sur le Pentateuque et du livre VIII des Étymologies : voir D. J. Uitvlugt, « The sources of Isidore’s Commentaries on the Pentateuch », dans Revue Bénédictine, 112, 2002, p. 72-100, et A. Valastro Canale, Herejías y sectas en la Iglesia Antigua. El octavo libro de las Etimologías de Isidoro de Sevilla y sus fuentes, Madrid, 2000. 5. M. Rodríguez-Pantoja est apparemment le premier éditeur d’Isidore à avoir profité des banques de données informatiques, pour son édition du livre XIX des Étymologies, parue en 1995. Bien que les Sententiae aient été publiées en 1998, il ne semble pas que l’ouvrage, déjà prêt en 1994 (il est présenté comme tel dans P. Cazier, Isidore de Séville et la naissance de l’Espagne catholique, Paris, 1994, p. 5 n. 1), y ait eu recours. 6. Voir J.-Y. Guillaumin, P. Monat, Isidore de Séville. Étymologies. Livre VII. Dieu, les anges, les saints (ALMA), Paris, 2012, p. 168, n. 2 ; voir aussi J. Elfassi, « Les noms du Christ chez Isidore de Séville (Etym. VII, 2) », dans M.-A. Vannier (dir.), La christologie et la Trinité chez les Pères, Paris, 2013, p. 241-272, spéc. p. 248-249. 7. Les trois références qui précèdent sont indiquées par J. Elfassi, « Nuevas fuentes en la biblioteca de Isidoro de Sevilla », à paraître dans les Actes du VIe Congrès international de latin médiéval hispanique (La Nucía / Alicante, 20-23 novembre 2013). 8. Ces deux derniers emprunts (Augustin, Inmort. anim. et Exp. epist. Gal.) sont signalés par J. Elfassi, « Nouvelles sources augustiniennes dans le premier livre des Différences d’Isidore de Séville », à paraître dans les Actes du colloque Formas de acceso al saber en la Antigüedad Tardía y la Alta Edad Media, coordonné par Mª A. Andrés Sanz et D. Paniagua (Salamanque, 23-24 octobre 2014). 9. Emprunts découverts par J.-Y. Guillaumin et P. Monat, Isidore. Étym. VII, cit. (n. 6), p. 175 [= p. 36] n. 19 ; et V. Yarza Urquiola, F. J. Andrés Santos, Isidoro de Sevilla. Etimologías. Libro V. De legibus – De temporibus (ALMA), Paris, 2013, p. 213 [= p. 62] n. 4. Voir mes - Cyprien, Ad Demetrianum 16, 1 > Isid. (?), Diff. II, 16, 46 ; - Hilaire de Poitiers, De synodis 12 > Isid., Diff. II, 4, 1210 ; - Novatien, De Trinitate 31, 2 > Isid., De fide I, 2, 311 ; - Phébade d’Agen, Liber contra Arrianos 7, 2 > Isid., Diff. II, 4, 12 ; - Pseudo-Cyprien, De laude martyrii 20 > Isid., Ort. 59, 2 ; - Quodvultdeus, Sermo contra Iudaeos, paganos et Arianos XIV, 5 > Isid., Ort. 64 ; - Rufin, Gregorii Nazianzeni Apologeticus 93, 1-2 > Isid., Quaest. in I Reg. I, 8 et Ort. 39 ; cf. peut-être aussi Rufin, Greg. Naz. Apol. 53, 1 > Isid., Ort. 68, 4-512. Plusieurs de ces nouveaux textes ont été repérés dans des ouvrages qui avaient déjà bénéficié d’une étude des sources (par exemple les deux livres de Differentiae ou le De ortu et obitu Patrum) : cela prouve que même les œuvres bien étudiées recèlent encore des trésors dissimulés. Mais d’autres ont été découverts dans le commentaire sur le premier livre des Rois ou dans le De fide catholica, dont les sources sont presque totalement inconnues : on peut donc supposer que s’y trouvent encore d’autres richesses cachées. Tant que ces ouvrages n’ont pas été étudiés, il est donc vain de prétendre à une connaissance exhaustive (ou presque exhaustive) des sources d’Isidore. Toutefois, au risque de paraître exagérément optimiste, on peut considérer qu’une grande partie des sources d’Isidore a été identifiée. La tâche du philologue est alors loin d’être finie : en effet, il doit distinguer les sources certaines des sources incertaines, et les sources directes des sources indirectes. Commençons par le premier point : comment s’assurer qu’une source est certaine (ou presque certaine) ? La réponse est uploads/Litterature/ jacques-elfassi-connaitre-la-bibliotheque-pour-connaitre-les-sources-isidore-de-seville-pdf.pdf

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