partie 1 avec Stephane pihet SP — Le plus simple pour moi est de partir du souv

partie 1 avec Stephane pihet SP — Le plus simple pour moi est de partir du souvenir d’une lecture que tu as faite à Reims au mois d’avril. J’y ai entendu un travail de la langue que jamais je n’avais entendu auparavant. Si nous pourrons parler après de la vidéo qui l’a accompagnée, à chercher, à vouloir le résumer, je parlerais de bégaiement ; une langue qui se bégaie elle-même, un travail au cœur même de ce bégaiement dans la langue. Je vou­ drais pour débuter, savoir comment il est advenu et qu’est-ce qu’il y a dans ce bégaiement ? J.G — Le bégaiement est en effet au centre de mon ambition. J’em­ ploie ce terme parce que mon travail, même si j’ai publié quelques livres, j’ai l’impression qu’il est toujours en aval de moi. Je dis cela parce que le bégaiement est pour l’instant une porte à travers laquelle je vais pour pouvoir écrire une phrase. Mon pro­ pos c’est cela : pouvoir écrire une phrase. Il se trouve que je ressens syn­ taxiquement, culturellement, j’allais dire politiquement (on y reviendra), physiquement, l’impossibilité d’écri­ re une phrase. Pour toutes sortes de raisons... D’abord parce que quand j’en écris, je n’y crois pas. Elles ne me parlent pas. Je n’en entends pas le son. Je ne vois pas quel sens elles peuvent produire. Elles me semblent le plus souvent être le pur effet d’une situation culturelle, idéologique. Elles semblent le pur effet d’un système qui n’est pas le mien et dans lequel je me trouve pourtant. Je dis cela sans doute parce que le bégaiement, pour moi, c’est l’expression d’un syn­ drome. Je m’empresse d’ajouter que je ne suis pas en train de parler en termes strictement médicaux. Mais le bégaiement se trouve être là parce que je n’arrive pas à faire autrement. J’ai l’impression que je dois traverser quelque chose. Et le bégaiement, c’est une lime, un instrument dans lequel je suis pris, plutôt que je ne l’utilise comme objet, qui me permet d’aller au travers de ce quelque chose, qui permet un devenir, en fait. S.P . — Où la phrase ne connaît plus ni début ni fin mais est prise par son milieu... J.G. — Exactement. Dire une phrase, c’est inventer un rythme, c’est inventer un son, un timbre. C’est inventer un ordre, puisqu’une phrase c’est un ordre de mots, qui puisse produire un sens. Et un sens qui soit frais. Pas « neuf ». Evidemment, pas « vrai ». Bien sûr, pas « pertinent ». Un sens frais, c’est-à-dire non morbide, un sens vital où je puisse me reconnaître en vie. Non pas que mon sens soit épuisé, mais voilà : dire quelque chose qui existe par rapport à une succession de mots qui serait quelque chose de très... bah, comme ce qu’il y a d’écrit, ici, sur ce paquet de cigarettes ou ce qu’il y a d’écrit dans la rue. Après, il y a d’autres aspects à mon usage du bégaiement mais qui ont évolué. Lorsque j’ai commencé à écrire, il y avait une violence. Une Il y a certaines situations où ne presque pas se connaître permet le plaisir de parler sans frein. Avant cette rencontre, je n’avais qu’un souvenir : l’écoute d’une lecture lors du festival « poéson » à Reims (avril 2004). Cela peut suffire une oreille touchée. Cela m’a suffit pour inviter Jérôme Game. Je me répétais une phrase avant de nous revoir, de ces mots qui collent. Une citation que j’employais sans autre ou profonde conséquence qu’aimer la répéter : « Un style, c’est arriver à bégayer dans sa propre langue ». Si mon oreille fut touchée, ce fut par l’intrigue qui s’entrecroisait entre cette phrase de Deleuze et le flux de la voix de Jérôme Game. Une sorte de musicalité trébuchante ponctuée de suffocation et d’une course au mot à perdre souffle. Un rythme qui me semblait rendre la phrase sans début ni fin. Une phrase, non linéaire, se multipliant, se soustrayant à elle-même, perdant son unité et continuité souveraine, syntaxique, pour se déployer, acentrée, en des multiplicités de sens. Une phrase poussant par son milieu à la manière végétale du rhizome. Nous pourrions dire de ce flux ce qui est dit de l’événement : il ne saurait se réduire à ce qui est dit mais se tient dans une entre- expression hétérogène. Cela se joue dans l’intervalle. Lieu de passe « où brièveté et profondeur, vérité et ambiguïté, plein de langue et vide d’énoncé, décontextualisent le langage » (C. Buci-Glucksmann, Tragique de l’ombre). Comme l’évé- nement deleuzien dans sa puissance cristalline, la phrase se jouerait sur les bords, étant moins ce qui est dit, que la part dans ce qui est dit de ce qui échappe à son propre dire, puisque jamais les choses ne se passent là où l’on croit, ni par les chemins qu’on croit. Ce qui en somme est ici en ques- tion, en tension, c’est l’impossibilité de la phrase. Qu’est-ce qui la rend intenable dans sa simplicité ? Après tout une phrase suppose peu. Entre toi et moi, le monde, quelques mots suffisent pour faire sens. Mais très conversation avec Jérôme Game Circonstances : l’enregistrement de cet entretien s’est déroulé trois mois après le festival « Poéson » (Reims). Ni lui ni moi ne nous connaissions. Entre nous, une lec­ ture. J’ai demandé à Michaël Batalla, qui dirige la collection « poésie » du Clou dans le Fer, d’être avec nous. Il intervient dans toute la seconde partie. Je le remercie pour son accueil le jour de cet entretien. Paris, (rue du château d’eau) après-midi du 14 juin 2005 Avec le soutien de la DRAC Champagne-Ardenne LE CLOU DANS LE FER, 10 rue du Jard, 51100 REIMS © Le Clou dans le Fer, septembre 2005. édito de quoi parlons/nous c o n v e r s at i o n e n t r e q u e l q u e s - u n s à p r o p o s d e t o u t c e d o n t i l e s t q u e s t i o n p o u r n o u s N°03 GRATUIT // SOUTIEN AUX ÉDITIONS LE CLOU DANS LE FER ( voir bas de page )— octobre 2005 — trimestriel le clou da « A mon avis, l’intellectuel n’a pas à faire valoir son discours sur celui des autres. Il essaie plutôt de donner place au discours des autres » Michel Foucault, Entretien enregistré en juin 1975 Il est possible de s’abonner aux éditions Le Clou dans le fer. Cet abonnement permet de recevoir gratuitement nos catalogues, notre revue trimestrielle « De quoi parlons- nous », ainsi que les plaquettes d’exposition que nous éditons. Il suffit pour cela de souscrire à un abonnement dont vous fixez le montant (entre 30 et 40 € ou 50 € ...). Cet abonnement vous permet de soutenir activement notre projet. à renvoyer sur papier libre : (indiquez prénom, nom et adresse) Le Clou dans le Fer : 10 rue du Jard, 51100 Reims certainement est-ce cette suffisance qui questionne par ce qu’elle clôt plus qu’elle ne permet. Crever cette suffisance est le bégaiement. Mettre le monde en éclats de langage par cette micrologie fascinée jusqu’au détail de la langue. Travailler au corps cette matérialité à l’échelle de la lettre. Déconstruire, décomposer la phrase dans ses procédés, ses affirmations pour produire un autre plan où un nouveau corps se crée, celui de la multiplicité leibnizienne. Infinité de points de vue, où l’on dit « ce que l’on a à dire d’autant mieux que ce qui se dit ne coupe pas d’autres dire possibles ». « Il est donc agréable que résonne aujourd’hui la bonne nouvelle : le sens n’est jamais principe ou origine, il est produit. Il n’est pas à découvrir, à restaurer ni à ré-employer, il est à produire par de nouvelles machineries ». (G. Deleuze, Logique du sens). Stéphane Pihet violence physique. Une violence par rapport au corps. Le bégaiement a eu cet aspect-là, qui était d’essayer d’exprimer dans l’énonciation phy- sique et dans le texte, quelque chose qui percute. Quelque chose qui ne passe pas, qui n’arrive pas à se dire. Là aussi, un autre syndrome. Un syndrome qui serait de l’ordre de chercher sa voie et qui ne fonctionne pas. Exprimer ce fait que ça ne fonctionne pas et en même temps ce désir que cela puisse fonctionner. S.P . — La phrase est en quelque sor­ te un cas clinique, faite de multiplicité, de vitesse, ... parfois jusqu’à devenir, se ponctuer, par une simple lettre, une let­ tre entre deux flux. J.G. — Ce que tu dis là, que cela devienne une lettre parfois, est im- portant. Depuis que j’ai commencé à écrire j’ai une approche matérielle de la langue. Alors bon, cela serait un vaste débat. La langue, c’est une... la langue, la graphie, le fait que cela soit imprimé, le fait de la lire, uploads/Litterature/ juin-2007-jerome-game.pdf

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