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Tous droits réservés © TTR: traduction, terminologie, rédaction — Les auteurs, 1989 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne. https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. https://www.erudit.org/fr/ Document généré le 1 oct. 2020 15:38 TTR Traduction, terminologie, re?daction L’interdit et l’inter-dit : la traduisibilité et le sacré Alexis Nouss Carrefours de la traduction Volume 2, numéro 1, 1er semestre 1989 URI : https://id.erudit.org/iderudit/037034ar DOI : https://doi.org/10.7202/037034ar Aller au sommaire du numéro Éditeur(s) Association canadienne de traductologie ISSN 0835-8443 (imprimé) 1708-2188 (numérique) Découvrir la revue Citer cet article Nouss, A. (1989). L’interdit et l’inter-dit : la traduisibilité et le sacré. TTR, 2 (1), 75–88. https://doi.org/10.7202/037034ar L'interdit et Pinter-dit: la traduisibilité et le sacré Alexis Nouss La Torah a été donnée au Mont Sinaï en 70 langues. (Midrach) Dans le dessin, ferme ou hésitant, de ses territoires, le discours de la traduction rencontre souvent le discours religieux. Cette convergence peut s'expliquer par un intérêt commun pour les dynamiques, contradic- toires ou dialectiques, du mystère et de la révélation. Dans le vécu religieux comme dans l'acte de traduire, il semble qu'il y ait à la fois l'affirmation d'un contenu clos, caché, insaisissable, et le désir de connaître et faire connaître ce contenu. La révélation (texte spirituel ou traduction), au demeurant, n'infirme pas le mystère: un livre révélé n'en épuise pas pour autant son sens de même qu'une traduction n'est jamais définitive. Pour certains auteurs, le discours de la traduction prend même sa source dans le discours religieux. Les premières traductions naissent de livres religieux à traduire et la volonté de traduire est inhérente au prosélytisme du fait religieux. La Bible, en Occident, a ainsi pu jouer un rôle majeur en tant que creuset de langues et matrice de traductions. La King James Version ou la traduction de Luther le montrent aisément. Par ce même principe, la Bible devint naturellement source primordiale d'inspiration littéraire, poésie première. Antoine Berman, concluant son ouvrage majeur l'Epreuve de l'Étranger sur les enjeux et difficultés de l'émergence de la traductolo- gie, évoque les résistances rencontrées par la traduction en Occident et énonce ce propos à nos yeux déconcertant: Elles semblent être originairement d'ordre religieux et culturel. À un premier niveau, elles s'ordonnent autour de / 'intraduisible comme valeur. L'essentiel d'un texte n'est pas traduisible ou, à supposer qu'il le soit, 75 il ne doit pas être traduit. Dans le cas de la Bible, c'est la tradition juive qui représente cette position extrême. Tout comme la «Loi» ne doit pas être «traduite» de l'oral à l'écrit, le texte sacré ne doit pas être traduit dans d'autres langues, sous peine de perdre son caractère «sacré». Ce double refus indique en creux le lien essentiel de l'écrit et de la traduction, pour mieux questionner les deux. (1984, p. 298) Antoine Berman établit avec raison le parallèle, quant au texte biblique, entre passage de l'oral à l'écrit et passage de la langue mère, l'hébreu, à d'autres langues. Le mouvement est le même que celui du traduire. Mais c'est précisément parce qu'il est semblable que la traduction, dans la tradition juive — notamment talmudique —, est non seulement permise mais encouragée. C'est ce que nous voudrions montrer à partir de la littérature talmudique et midrachique *, c'est-à- dire à partir du lieu où le judaïsme s'est pensé comme différent de la pensée païenne puis grecque, lieu où la croyance s'est articulée en un discours, discours différenciateur dont le mouvement est précisément celui de la translation, de la constante translation. D'où, par essence, contrairement à l'assertion d'Antoine Berman, une attitude favorable à l'acte du traduire. Targoum et Torah Si le mot Targoum (de la racine tirgem qui signifie, notons-le, à la fois expliquer et comprendre) veut dire «traduction» dans l'acception générale, il est utilisé dans la littérature rabbinique pour désigner presque exclusivement la traduction de la Bible en araméen, accrochant ainsi le phénomène du traduire au texte biblique — comme l'une de ses dimensions, l'un de ses déploiements. D'autre part, l'une de ces traductions, le Targoum Onkelos, du nom de son rédacteur, acquit une telle importance à la période talmudique que le rituel l'intégra dans la lecture hebdomadaire de la section du Pentateuque2, usage encore courant dans certains milieux orthodoxes. Dans le judaïsme, la dynamique de la révélation implique la constante translation, que ce soit dans la révélation même, la transmis- sion ou l'interprétation. Le terme même d'hébreu, ivrit en hébreu, évoque le concept de passage. 1. Le Talmud est la transcription écrite des enseignements oraux des maîtres rabbi- niques de Palestine et de Babylonie, recueillis du IIe siècle avant l'ère chrétienne au VIe siècle, relatifs à la conduite, au droit, à la morale, au rituel, à la vie sociale et économique. Il comprend deux parties, la Michna et la Guemara. On en connaît deux versions, le Talmud de Baby lone et le Talmud de Jérusalem. Le Midrach, quoiqu'intimement lié au Talmud, rassemble des textes à valeur non pratique et non prescriptive, de portée théologique et philosophique. 2. Ainsi qu'en témoigne le Talmud, Traité Bérakhot, 8a. Les références talmudiques de cet article renvoient aux paginations traditionnelles. Les traductions sont de l'auteur. 76 Précisons d'emblée que Torah, en hébreu, signifie enseignement et non Loi, ainsi qu'on le comprend habituellement. Ce dernier terme a des connotations de contrainte et d'intouchabilité, d'immuabilité (d'où les fausses idées d'intraduisibilité) alors que le sens véritable, enseigne- ment, donne une direction de transmission nécessaire et donc déjà le mouvement du traduire. La Révélation n'est qu'un premier enseigne- ment qui, en tant que tel, ne peut vivre que s'il est constamment dispensé, «reprise, vie, invention et renouvellement, modalité sans laquelle le révélé, c'est-à-dire une pensée authentiquement pensée, n'est pas possible. [...] La leçon de vérité ne tient pas dans la conscience d'un seul homme, elle éclate vers autrui.» (Lévinas, 1982, p. 99) Au demeurant, la nature même du texte révélé instaure ce mouvement. Le texte doit non seulement se lire mais se déchiffrer, le sens en est à découvrir, non à découvert. S'il n'est pas interprété, il reste lettre morte et perd ainsi son caractère révélé puisque le divin se donne avant tout comme source de vie. Il est de la nature de la transcendance, explique Lévinas, d'attendre une herméneutique, car elle «ne se montre qu'en se dissimulant» (Ibid., p. 142)3. Le commen- taire et la traduction seront donc des voies royales pour approcher cette transcendance reposant au creux d'un texte/enseignement qui devient avant tout «Parole créatrice de parole». (Ouaknin, 1986, p. 29) Lire le texte, c'est accepter que le sens en précède toujours la lecture et que celle-ci ne puisse jamais définitivement l'atteindre, sens proprement inépuisable4. On ne s'étonnera dès lors pas que cette perspective accorde un statut différent au texte religieux qui, dans la terminologie hébraïque, n'est plus «l'Écriture» ou «les Écritures», comme le remarque Henri Meschonnic: Le terme même de Mikra, qui désigne le corpus biblique, à la fois étymologiquement et fonctionnellement, signifie lecture, non pas lecture comme nous parlons d'une lecture qui s'oppose à l'écriture. Mikra suppose l'assemblée pendant laquelle on lit ou on lisait le texte en question, et, cette lecture étant à voix haute, la notion conjugue, indisso- ciablement à mon sens, l'oralité et la collectivité dans la lecture. (1985, p. 51) 3. Voir, sur ce point, tout le chapitre «De la lecture juive des Écritures», Lévinas, 1982, p. 125. 4. «Les procédés de lecture que l'on vient de voir à l'œuvre suggèrent d'abord que l'énoncé commenté excède le vouloir-dire d'où il procède, que son pouvoir-dire dépasse son vouloir-dire, qu'il contient plus qu'il ne contient, qu'un surplus de sens, peut-être inépuisable, reste enfermé dans les structures syntaxiques de la phrase, dans ses groupes de mots, dans ses vocables, phonèmes et lettres, dans toute cette matérialité du dire, virtuellement toujours signifiant. L'exégèse viendrait libérer dans ces signes une signifiance ensorcelée qui couve sous les caractères ou qui se love dans toute cette littérature des lettres.» (E. Lévinas, 1982, p. 135). 77 De même, la Halakha qui définit les règles et prescriptions du code religieux de la vie juive prend entièrement source dans les versets bibliques qu'elle interprète pour y trouver ses fondements. Le sens du texte n'est pas un: il est gros potentiellement des sens nécessaires à son application. Cet appel à l'interprétation, cette présence nécessaire et constamment dynamique d'une oralité en regard — en lecture — de l'écrit prouvent assez que le texte biblique, révélé, ne peut être reçu et compris que dans un processus traductif. L'interprète Le Talmud met en scène un personnage répondant au nom de métourge- man, d'une grande importance dans l'économie rituelle synagogale. Il s'agit d'un traducteur professionnel du texte biblique en araméen. «Interprète», au double sens que nous offre le français, préciserait davantage uploads/Litterature/ l-x27-interdit-et-l-x27-inter-dit-la-traduisibilite-et-le-sacre-alexis-nouss.pdf

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