L'ODE FLUVIALE CHEZ FRIEDRICH HÖLDERLIN ET MAURICE DE GUÉRIN Nicolas Waquet Kli
L'ODE FLUVIALE CHEZ FRIEDRICH HÖLDERLIN ET MAURICE DE GUÉRIN Nicolas Waquet Klincksieck | « Revue de littérature comparée » 2008/4 n° 328 | pages 417 à 428 ISSN 0035-1466 ISBN 9782252036600 DOI 10.3917/rlc.328.0417 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-de-litterature-comparee-2008-4-page-417.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Klincksieck. © Klincksieck. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. 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Bald umblüht das alte Leben dir wieder. 1 « Le dialogue authentique avec le Dict d’un poète n’appartient qu’à la poésie ; il est le dialogue poétique entre poètes » 2, et ce qui est tout à fait merveilleux, c’est que ce commerce dont parle Martin Heidegger existe entre des poètes qui ne se sont ni lus ni connus. Car ce sont les « dicts » (et non les personnes) qui dialoguent entre eux. Faisons donc l’expérience de cet échange, en écoutant le chant absolument unique de deux poètes qui se sont exprimés dans le vaste champ de l’ode. Le plus jeune, Maurice de Guérin, né quarante ans après Friedrich Hölderlin, n’eut — malgré la ger- manophilie qu’atteste son Cahier Vert 3 — aucune connaissance de l’œuvre du grand poète souabe. Sa vie très brève (1810-1839) traversa d’ailleurs sans 1. Nous traduisons : « Auprès de l’Eurotas, ma tente se dresse, et lorsque après minuit je m’éveille, le vieux dieu fl euve murmure devant moi ses conseils, alors je cueille en souriant les fl eurs de sa rive, les jette dans ses ondes scintillantes et lui dis : Accepte ce signe, ô Solitaire ! bientôt l’ancienne vie refl eurira en toi ». Hölderlin, Hyperion oder der Eremit in Griechenland, Sämtliche Werke und Briefe, sous la direction de Jochen Schmidt, Francfort-sur-le-Main, Deutscher Klassiker Verlag, 1994, Bd. 2, p. 128. 2. Martin Heidegger, « La Parole dans l’élément du poème », trad. Jean Beaufret et Wolfgang Brokmeier, Acheminement vers la parole, Paris, Gallimard, 1976, (1re éd. alle- mande, 1959), p. 42. 3. Nous citons tous les textes de Guérin d’après l’édition de sa Poésie établie par Marc Fumaroli, Paris, Poésie/Gallimard, 1984. L’article du 6 février 1833 montre un goût particulier pour les maîtres de Hölderlin (Klopstock, Herder, Wieland, Gellert, Gleim, Bürger), p. 77. © Klincksieck | Téléchargé le 12/02/2022 sur www.cairn.info par Lucas Servin (IP: 190.107.111.187) © Klincksieck | Téléchargé le 12/02/2022 sur www.cairn.info par Lucas Servin (IP: 190.107.111.187) Nicolas Waquet 418 la toucher la longue période de folie et d’isolement que vécut Hölderlin entre 1805 et 1843. Si bien que ces deux poètes connurent chacun une pré- sence au monde d’une trentaine d’années. L’un et l’autre, malgré les diffé- rences qui séparent un Allemand kantien du XVIIIe siècle et un enfant du siècle romantique, s’étaient destinés à l’Église et reçurent une profonde for- mation religieuse en vue d’être un jour pasteur luthérien et prêtre catho- lique. L’artiste l’emportant fi nalement sur le clerc, ils se vouèrent tous deux à la poésie. Mais celle-ci leur était expression religieuse, vocation, véritable sacerdoce. Cette célébration de la divinité apparaît très nettement dans les deux chefs-d’œuvre guériniens, datant probablement des années 1835- 1836 : le diptyque du Centaure et de La Bacchante. Ils résonnent dans la même tonalité que les trois odes de Hölderlin issues du cycle des fl euves : Der Main (écrit en 1798 et publié en 1800), son remaniement Der Neckar (achevé en 1800, paru en 1801) et l’aboutissement que constitue Der gefes- selte Strom (1801) 4. Ces odes trouvent leur forme dans la nécessité de dire le sacré, en offrant des solutions comparables pour dépasser l’aporie à laquelle est condamné le chant de l’inexprimable. Voilà ce qui motive notre tentative de voir en quoi le fl euve n’est pas un thème, mais une réalité poétique et spirituelle. * * * Hölderlin et Guérin partagent, à première vue, un univers antique tout à fait semblable, que l’on décèle dans un même héritage poétique formel. Le poète allemand, suivant en cela ses maîtres Klopstock et Schiller, moule ses trois odes fl uviales dans la strophe alcaïque issue de la lyrique grecque. Cette forme héritée de Pindare, Sappho, Alcée et Horace (que Hölderlin lut assidûment pendant sa jeunesse) jaillit et rebondit du fait de sa base ïambique qui lui procure ce dynamisme propre à chanter le fl euve. Guérin, abandonnant l’adéquation classique entre l’hexamètre et l’alexandrin, n’uti- lise pas le vers sublime traditionnel mais les ressources alors nouvelles du poème en prose, que Chateaubriand et Aloysius Bertrand avaient mis à l’honneur. Cette prose n’en demeure pas moins toute virgilienne. Comme le remarque Charles Du Bos 5, elle l’est par son « côté lisse, liquide », fl u- vial, en quelque sorte, puisque le fl euve informe la langue guérinienne au point de la rendre fl uide. Dans la tradition du molle atque facetum d’Horace 6, 4. Le Main, Le Neckar, et Le Fleuve enchaîné. Nous citons d’après l’édition de Jochen Schmidt, Gedichte, Sämtliche Werke und Briefe, Frankfurt am Main, Deutscher Klassiker Verlag, 1994, Bd.1, 1992. Les traductions sont tirées de notre anthologie bilingue des Poèmes fl uviaux, Paris, Éditions Laurence Teper, 2004. On peut également se référer à l’édition de Jean-Pierre Lefebvre, Anthologie de la poésie allemande, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1993. 5. Charles Du Bos, Du spirituel dans l’ordre littéraire, Paris, Corti, 1967, (1re éd. 1930), p. 99. 6. Satires, I, 10, v. 44-45. © Klincksieck | Téléchargé le 12/02/2022 sur www.cairn.info par Lucas Servin (IP: 190.107.111.187) © Klincksieck | Téléchargé le 12/02/2022 sur www.cairn.info par Lucas Servin (IP: 190.107.111.187) L’Ode fl uviale chez Friedrich Hölderlin et Maurice de Guérin 419 ce grand maître des odes, la prose de Guérin allie grâce, fermeté, et sur- tout souplesse. L’emploi d’octosyllabes, de décasyllabes, de rimes au sein des phrases trahit une nette tension vers le langage poétique qui fait de ces poèmes un exemple frappant d’odes en prose. En ce qui concerne la langue elle-même, nos deux poètes laissent volon- tiers transparaître hellénismes et latinismes. Les premiers sont surtout perceptibles dans l’emploi hölderlinien des participes déterminatifs et subs- tantivés 7, comme dans la tournure du datif impersonnel, équivalent alle- mand de la voix moyenne grecque 8. Il célèbre le dieu par des épiclèses à l’antique, en procédant par juxtaposition, tandis que Guérin préfère bâtir toute une période autour du nom divin qui en devient l’acmé (comme l’invo- cation à Bacchus dans La Bacchante, p. 218). Cet écrivain romantique construit effectivement ses phrases selon une logique de l’emboîtement et de l’enchâssement héritée de la syntaxe latine. Dans une magnifi que période de La Bacchante (p. 221), célébrant l’infl uence de Saturne sur les fl euves, il fait jouer de manière très ferme coordination et subordination pour que la phrase progresse tout en se retournant sur elle-même. Cette langue si par- ticulière est enfi n émaillée de mots directement latins, comme ces destins (fata), cette fontaine (fons) ou cette étrange expression au passif « quelques- uns sont racontés », reprenant le dicuntur 9 des écrivains romains. D’autre part, le décor de ces odes est construit selon le topos du locus amœnus. Tous les éléments y sont : herbe, arbres et bien sûr, fl euves et rivières. Comme l’indiquent les noms de lieux que Guérin place dans La Bacchante — à la différence du Centaure qui n’en comporte pas — la scène est en Grèce. Mais cette « Thessalie » (p. 218), ces « montagnes de la Thrace » (p. 219) diffèrent de la Grèce de Hölderlin, bâtie autour de monu- ments et de sites comme l’« Olympeion », « Sunium », et Athènes (Der Main). Cependant, il s’agit aussi d’un paysage d’âge d’or. L’ode au Main en esquisse le tableau ensoleillé et fécond à traits de « Limonenwald » (forêts de citron- niers), « Granatbaum » (grenadiers) et « purpurne Äpfel » (pommes pour- pres), monde où l’on fête le vin et où l’on danse au son du tambourin et de la cithare (v. 23-24). Bien qu’il soit le support d’une rêverie sur la disparition de la grandeur ancienne (qui uploads/Litterature/ l-x27-ode-fluviale-chez-friedrich-hoelderlin-et-maurice-de-guerin.pdf
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- Publié le Apv 04, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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