L’OBSTINATION DE TOUTE UNE VIE RÉFLEXIONS PARTIELLES ET APPAREMMENT PARTIALES S
L’OBSTINATION DE TOUTE UNE VIE RÉFLEXIONS PARTIELLES ET APPAREMMENT PARTIALES SUR L’ÉPOQUE ET LE MONDE TEL QU’IL VA INTRODUCTION 1) LES DEUX JEAN-CLAUDE (MICHÉA, MILNER) NOUS MÈNENT EN BATEAU 1) MODE D’EMPLOI POUR SABORDER LA FLOTTILLE MICHÉENNE 2) COMMENT ARRAISONNER L’ARROGANCE DU PRÉSENT 2) MAI 68, ENCORE 3) UN ÉTAT DES LIEUX 1) SUR LES MOEURS 2) SUR L’ART (ET LA POÉSIE) 3) SUR L’ÉTHIQUE AUTRE DIALOGUE ENTRE LE VOYAGEUR ET SON OMBRE INTRODUCTION Le rétablissement de l’homme s’opérera fatalement sur le monceau de tout ce qui l’a fait André Breton Le travail de la critique révolutionnaire n’est assurément pas d’amener les gens à croire que la révolution deviendrait impossible Guy Debord Dans une lettre adressée en décembre 1938 à son ami Théodor W. Adorno, Walter Benjamin écrit ceci : “Dans mon travail, j’essayais d’articuler les moments positifs aussi nettement que vous y êtes parvenu pour les négatifs. Je vois donc qu’une des forces de votre travail réside là où le mien trahissait une faiblesse”. Ne pourrait-on pas dire la même chose de chacun de ceux dont le “travail” s’articule autour d’une telle polarité ? Et puis, par delà le cas particulier du livre sur Baudelaire ayant provoqué cet échange épistolaire, cette remarque ne renvoie-t-elle pas à toute pensée critique cherchant dans la négativité des raisons d’espérer en un monde meilleur ? Essayer d’y répondre nécessite de replacer ce propos dans ce monde qui est le notre. Deux premières constatations peuvent être avancées. Benjamin, déjà, dans ce fragment de correspondance, traduisait quelque chose d’une relation déséquilibrée entre les pôles “positif” et “négatif” de ce qui perdurerait comme exigence critique. La nouveauté serait que ce négatif là, du moins sous des aspects bien particuliers, très partiels (sur lesquels je reviendrai dans le détail), apporterait autant d’eau au moulin de ce monde là (auquel le terme de “société du spectacle” rend le plus justice) qu’il ne fourbirait comme il va de soi des armes à l’un des deux “partis” s’affrontant depuis des lustres, celui justement qui voudrait que cette société disparaisse. Il faut cependant revenir en arrière pour relever les prémices de ce constat. Aux formes classiques de reproduction du monde tel qu’il va, bien analysées par de bons auteurs, d’autres, plus inédites, initiées par d’anciens ennemis de cette société (ou considérés tels), sont venues apporter du sang neuf et une nouvelle légitimité à la cause jadis combattue. C’est traduire la capacité de la dite société à recycler une partie de ceux qui la combattaient (ou étaient censés la combattre) pour redonner de l’élan à une machine sociétale qui s’essoufflerait. Une première vague, constituée par les anciens communistes, parait trop disparate ou trop localisée (c’est plutôt du coté des historiens qu’elle a donné des résultats) pour être véritablement prise en considération. La vague suivante, en revanche, celle des anciens gauchistes, de part son importance quantitative et “qualitative”, mérite qu’on lui consacre plus de place. D’abord à l’aune de deux facteurs jouant un rôle de vases communicants : le phénomène générationnel et mai 68. L’opération dite des “nouveaux philosophes” avait représenté un premier ballon d’essai. D’autres, moins médiatisées, enfonceront le clou : portant indifféremment le nom de démocratie représentative, de libéralisme ou de droits de l’homme sur fond d’horizon indépassable du capitalisme. On remarque également qu’en quittant le gauchisme ses anciens cadres ne sont pas pour autant tombés dans l’anonymat. Bien au contraire si l’on en croit les “brillantes carrières” de nombre d’entre eux (la règle n’est pas absolue mais la tendance très forte) : un tel s’est recyclé dans les médias et l’édition, tel autre dans la haute administration ou la publicité, tel autre encore au Parti socialiste. C’est dire que ceux-ci et ceux-là occupent des positions stratégiques dans des lieux influents. Enfin ces “nouveaux convertis” (plus tellement de fraîche date au moment où nous écrivons) apportaient un réel savoir-faire, des compétences et une pugnacité qui, sur le plan idéologique, n’étaient nullement dédaignés en ces temps de giscardisme ou de mitterrandisme. On verra, dans la partie (la seconde) consacrée à mai 68, en quoi les “événements” se trouvent aussi récupérés et recyclés par ceux qui, faute d’avoir su “révolutionner” le monde, se sont mis à le gérer au mieux de leurs intérêts (ou de ceux qui les emploient). Il ne s’agit ici que d’un rappel : le sujet, maintes fois traité, est aujourd’hui bien connu. Il n’en va pas de même d’une troisième vague, moins conséquente, moins repérable, plus récente : celle des anciens “radicaux”. Alors que les deux premières vagues possédaient de nombreux traits communs, celle-ci se distingue des deux précédentes principalement sur un point précis : elle recycle moins des individus (la moindre notoriété acquise dans les milieux radicaux l’explique en partie) que des idées ; du moins certaines, je dirai plus loin lesquelles. Il y a cependant une logique qui prévaut dans les trois cas de figure : les uns et les autres finissent par brûler ce qu’ils avaient jadis adoré (avec toutes les nuances que l’on voudra selon l’appartenance à l’une de ces vagues, ou pour des raisons plus strictement biographiques). Ou encore, pour le dire autrement, les critiques, autrefois adressées au pouvoir (quelque soit la forme alors donnée) et à ses représentants, se retournent contre ceux qui persisteraient à vouloir “transformer le monde” ou “changer la vie”. C’est dans le ton aussi que cette troisième vague fait entendre sa différence. Les certitudes d’hier se sont transformées en constatations désabusées. Parler de révolution sociale ou d’affrontements dans une perspective d’émancipation n’a plus aucun sens. Ce ne sont que des illusions qui remettent toujours à plus tard la seule prise de conscience possible : quoique nous fassions ou voudrions faire, c’est déjà trop tard. On évacuera donc tout ce que peu ou prou recouvre le mot radicalité tout en en conservant cependant la pose. Ceci n’étant pas sans parfois abuser des esprits pourtant “avertis”. Sur le mode de l’inversion, la notion de “progrès” devient la plus sollicitée : elle finit par se confondre avec le “mal absolu”. A ce jeu le “progressiste”, en terme d’opprobre, prend la place jadis assignée au “réactionnaire”. S’il faut trouver là un lointain précédent historique, le nom de Joseph de Maistre peut être cité. Et avec lui le courant très justement qualifié de “contre-révolutionnaire”. Ou bien se référer, en la dotant d’un autre contenu, à l’expression philosophique que Nietzsche appelait dans ses derniers ouvrages le “nihilisme passif”. Un autre facteur, contemporain, doit être mentionné : la “fuite en arrière” d’une écologie d’abord radicale, puis désignant la société industrielle comme étant à l’origine de tous nos maux et malheurs. D’où la mise en place de discours “catastrophistes” ou spéculant sur “l’effondrement” de la civilisation occidentale. Une autre manière, en quelque sorte, de réactualiser une “fin de l’histoire” (ou encore de “fin du monde”) que le brave Hegel, et longtemps après Fukuyama ne pouvaient certes pas imaginer. Ceci posé, pour reprendre la formulation benjaminienne de “moments négatifs”, je ne reviendrai que partiellement, incidemment ou de façon indirecte sur ce triple recyclage : les deux premières vagues ne feront l’objet que d’utiles ou indispensables rappels, et j’ai consacré à la troisième, du moins sa composante “anti-industrielle”, un petit essai auquel je renvoie le lecteur (1). Il ne sera cependant pas dit, bien au contraire, que nous en serons quitte avec elle, comme on pourra le vérifier dans les première et troisième parties de cet ouvrage. Donc, toujours pour illustrer ces “moments négatifs”, mon choix s’est porté sur deux penseurs, Jean-Claude Michéa et Jean-Claude Milner, dont les travaux me paraissent chacun à leur manière symptomatiques de l’époque présente, surtout dans la mesure où ceux du premier ne sont pas sans entretenir la confusion (et sur un mode qui porte très précisément la signature de l’époque), quand ceux du second fascinent une fraction du monde intellectuel (tel le serpent fasciné par la flûte du charmeur). Michéa représente une bonne transition avec les paragraphes précédents si l’on observe tout d’abord que ce philosophe renvoie aux trois vagues évoquée plus haut. Cet ancien communiste a traversé une période gauchiste, et plusieurs aspects de sa pensée entrent en parfaite résonance avec les thèmes de prédilection des “anciens radicaux”. Une telle lecture resterait pourtant partielle, voire superficielle. Jean-Claude Michéa s’est fait connaître en publiant un livre, Orwell anarchiste tory, alors qu’il avait depuis longtemps quitté les rangs communiste et gauchiste. C’est donc un “penseur indépendant”, si l’on veut, qui apparaît en 1995 sur la scène intellectuelle pour ne plus la quitter. Cet agrégé de philosophie n’a sans doute pas la réputation de quelques uns de ses collègues, ni ne bénéficie au sein de l’université d’un statut comparable à celui des philosophes les plus en vue de sa génération. Cependant ses lecteurs s’avèrent plus nombreux que ceux de la très grande majorité de ces chers collègues. Sans que ce lectorat puisse être comparé à celui qui fit, par exemple, la réputation et le succès des duettistes Comte-Sponville et Ferry. Mais ceci parait relativement secondaire en regard de la très grande diversité de ces lecteurs. uploads/Litterature/ l-x27-obstination-de-toute-une-vie.pdf
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- Publié le Mar 10, 2021
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