1 LA VIOLENCE DANS LA BIBLE Personne ne le contestera, la Bible est remplie de
1 LA VIOLENCE DANS LA BIBLE Personne ne le contestera, la Bible est remplie de violence. Pire, le Dieu de la Bible semble être, au premier abord, un Dieu violent. Et l’on s’interroge : « Pourquoi une telle violence dans la Bible ? Pourquoi tant d’être violents au fil des pages ? (…) La présence massive de la violence en particulier dans le premier Testament dérange, en effet. A cause d’elle, d’aucuns voudraient que les croyants renvoient ce livre aux oubliettes de l’histoire avec d’autres ouvrages anciens du même genre, comme un sombre témoignage du potentiel destructeur que constitue toute religion. A cause d’elle, des chrétiens préfèrent ignorer des pans entiers de ce livre, qui est pourtant au centre de leur foi et leur est indispensable pour comprendre le cœur du message du Nouveau Testament1 ». Voilà qui éclaire la réflexion que je me propose de conduire avec vous ce soir. Avec trois temps : le rappel de quelques épisodes ou passages bibliques qui ne fera que confirmer ce que nous ne savons que trop ; quelques tentatives de solution ou d’explication de la présence de la violence dans la Bible ; enfin, une autre voie possible, où à partir d’une lecture des grands textes fondateurs de la Bible, on essaiera d’accueillir cette violence, sans la rejeter. Le scandale de la violence Celui qui s’intéresse à la présence de la violence dans la Bible ne peut que le noter : à l’origine de l'Alliance que Dieu va conclure avec celui qui deviendra son Peuple, il y a déjà une action violente. Car on l’oublie parfois, la libération d’Egypte s’est soldée par la mort des Égyptiens. Et, fermant les yeux sur cet aspect des choses, Myriam plutôt le triomphe de Dieu qui a « jeté à la mer chevaux et cavaliers » (Ex 15,21b), tandis que le Psaume 136 s’émerveillera : « Il frappa l'Égypte en ses premiers-nés, car éternel est son amour ». Dans le prolongement de la libération d’Egypte et du séjour dans le désert, comment ne pas évoquer également la violence qui caractérise la conquête de Canaan par les troupes de Josué. On y voit Dieu guerroyer à la tête de son peuple en demandant que soient voués à l'anathème (massacrés) les ennemis et leurs biens. La prise de Jéricho donne lieu d’ailleurs à un scénario qui semble s’être reproduit maintes fois : « Le peuple poussa le cri de guerre et l’on sonna de la trompe. Quand il entendit le son de la trompe, le peuple poussa un grand cri de guerre, et le rempart s’écroula sur place. Aussitôt le peuple monta vers la ville, chacun devant soi, et ils s’emparèrent de la ville. Ils dévouèrent à l’anathème tout ce qui se trouvait dans la ville, hommes et femmes, jeunes et vieux, jusqu’aux taureaux, aux moutons et aux ânes, les passant au fil de l’épée2 ». Mais on pourrait mentionner bien d’autres récits ou 1 A.WENIN, La Bible ou la violence surmontée, DDB, Paris, 2008, p.7. Le problème n’est pas nouveau, car si la tradition juive n’a guère vu dans la violence un obstacle à son étude des Ecritures, il n’en a pas été de même chez les chrétiens. La première « hérésie » n’est autre en effet que celle de Marcion qui, dès l’an 150, rejetait l’Ancien Testament, affirmant, si l’on en croit Irénée de Lyon, que « le Dieu qu’ont annoncé la Loi et les Prophètes est un être malfaisant, aimant la guerre, inconstant aussi dans ses jugements et en contradiction avec lui-même » cité in ibid., 2 Jos 6,20-21 (cf.16-17.27) ; 10,12-14.25.30-32 ; 24,8 2 passages de la Bible, comme le chapitre 20 du livre du Deutéronome qui indique la manière (mode d’emploi) dont le peuple de Dieu doit traiter les villes qui résistent à la conquête3. Or, note Jean-Pierre Prévost, « on ne voit jamais Moïse ni Josué ni l’un des Juges exprimer quelque compassion que ce soit pour les populations qu’ils doivent exterminer sur leur passage. On n’entend pas non plus Samson ni David exprimer la moindre compassion par rapport à leurs ennemis, ni même le prophète Elie, par rapport à ses rivaux, les prophètes de Baal. On dira peut-être ‘à la guerre comme à la guerre !’, mais pourquoi aucun serviteur ou prophète de YHWH ne s’est-il levé au nom de la plus stricte justice sinon de la compassion, pour prendre la défense de populations, incluant femmes et enfants, qui avaient droit elles aussi à l’existence4 » Dans un contexte différent, les prophètes, quelques siècles plus tard, annoncent le châtiment de Dieu sur le peuple qui n’a pas respecté l’alliance qu’il avait conclue avec lui. Et là aussi, on assiste à un déferlement de violence. Dénonçant les abus des puissants et les manœuvres des femmes de Samarie, Amos, par exemple, a ces paroles terribles : « Écoutez, vaches de Bashân, qui êtes sur la montagne de Samarie, qui exploitez les faibles, qui maltraitez les pauvres, qui dîtes à vos maris : ‘Apporte et buvons ! ». Le Seigneur l’a juré par sa sainteté : voici que des jours viennent sur vous où l’on vous enlèvera avec des crocs, et jusqu’aux dernières, avec des harpons de pêche ; vous sortirez par des brèches, chacune droit devant soi, et vous serez repoussées vers l’Hermon, oracle de YHWH » (Am 4,1-3). C’est aussi sous l’influence du prophète Amos que le « Jour de YHWH » - qui rappelait initialement à Israël l'intervention libératrice de Dieu, et était donc considéré comme un motif de confiance - devient un jour de malheur et de ténèbres : « Malheur à ceux qui soupirent après le Jour de YHWH ! Que sera-t-il pour vous, le Jour de YHWH ? Il sera ténèbres, et non lumière5 ». A l’image de ce passage du livre d’Isaïe, il y a aussi les diatribes et les menaces violentes que les prophètes prononcent à l’encontre des nations païennes : « Oui, YHWH fulmine contre toutes les nations, il s’enflamme contre toutes leurs troupes, il les voue au 3 « Lorsqu’il s’agira des cités de ceux des peuples que YHWH ton Dieu te donne en héritage, tu n’y laisseras pas subsister âme qui vive. Oui ! Hittites, Amorites, Cananéens, Perizzites, Hiwwites, Jébusites, tous tu les voueras à l’extermination, ainsi que te l’a ordonné YHWH ton Dieu » (Dt 20,16- 17) 4 Les scandales de la Bible, Bayard, 2006, p.154. « Il y a bien sûr, dans l’A.T, des textes remarquables de non violence (les quatre Chants du Serviteur : Is 42,1-4 ; 49,1-6 ; 50,4-11 ; 52,13-53,12), le poème de Lamentations 3 sur l’homme dévasté par la chute de Jérusalem au temps de Nabuchodonosor, les dénonciations des guerres fratricides de la part des prophètes (Am 1-2), de flamboyantes annonces de la fin des guerres et de l’instauration d’une paix sans entrave (Is 2,1-4 ; 11,1-9 ; 65-66), des relectures ‘démilitarisées’ de l’histoire d’Israël dans les deux livres des Chroniques, etc. Mais a-t-on vraiment tiré les leçons de ces textes ? Sont-ils vraiment lus aujourd’hui et, pour parler à la manière rabbinique, traduits pour la compréhension du grand public ? C’est seulement à partir d’un dialogue avec et entre les textes bibliques pro ou anti-violence, qu’on pourra mieux comprendre la problématique complexe de la violence et y apporter une réponse appropriée » p.154-155. 5 Am 5,18 cf. Am 2,4-6.13 ; Jr 1,14-16 3 massacre, à l’extermination. On jettera leurs corps troués, leurs carcasses empesteront, leurs sang ruissellera des montagnes » (Is 34,2-3)6. Bref, comme le note R. Schwager à propos de la violence dans l’Ancien Testament, « aucune autre activité ou expérience humaine n'est si souvent mentionnée, ni dans le monde du travail ou de l'économie ni dans celui de la famille et de la sexualité ou de la nature et de la science. Pour les auteurs bibliques, l'expérience la plus impressionnante et obsédante a été, semble-t-il, celle des hommes qui se battent et s'entre-tuent7 ». Plus redoutable encore, il y a ce constat de G.Barbaglio : « Le thème de la vengeance du sang de la part de Dieu se trouve dans l'Ancien Testament encore plus souvent que la problématique de la violence humaine. Dans un millier de textes, on voit que la colère de YHWH s'enflamme, qu'il punit par la mort et la ruine ; comme un feu dévorant, il juge, se venge et menace d'anéantissement. Il manifeste sa gloire dans la guerre et, tel un vengeur plein de colère, il juge. Aucun autre thème n'apparaît aussi souvent que celui de l'agir sanguinaire de Dieu8 ». Ce à quoi cet auteur ajoute : « Ce ne sont pas les récits de violences nombreuses et terribles qui font problème, mais les évaluations éthiques et religieuses qui les présentent comme voulues et commandées par Dieu9 ». Ici aussi les statistiques sont impressionnantes : plus de cent passages attestent que Dieu ordonne explicitement de tuer les hommes. Et seuls, si l’on s’en tient à l’Ancien Testament, le livre de Ruth, le Cantique des Cantiques et le uploads/Litterature/ la-violence-dans-la-bible-p-deberg-01-2015.pdf
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- Publié le Apv 02, 2021
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