UNE VISION DU RUISSELLEMENT DE L’UN Éric Laurent L'École de la Cause freudienne
UNE VISION DU RUISSELLEMENT DE L’UN Éric Laurent L'École de la Cause freudienne | « La Cause du Désir » 2021/1 N° 107 | pages 62 à 69 ISSN 2258-8051 ISBN 9782374710341 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-la-cause-du-desir-2021-1-page-62.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour L'École de la Cause freudienne. © L'École de la Cause freudienne. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. 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Le départ du texte souligne en effet fortement que son texte est une réponse. « Partir, ici est répartir 1 ». La première conception de la lettre à laquelle il se frotte est celle de Joyce qui « glisse d’a letter à a litter, d’une lettre […] à une ordure 2 ». Je voudrais ici souligner le Un, ou plutôt le Une, d’emblée mis en exergue. Lacan enchaîne sur l’écrivain qui a d’abord été élève de Joyce, Samuel Beckett, dans l’œuvre duquel le déchet, l’ordure et la poubelle tiennent une place majeure. Et il introduit sa question. Ce qui fait littérature est-il « affaire de collocation dans l’écrit 3 », de ce qui est d’abord chanté ou parlé ? S’agit-il dans la littérature d’une simple transcription ? La lettre est-elle simple médium, commodité de transcription ? Il souligne alors l’originalité du conte de Poe avec lequel il ouvre les Écrits, qui rompt avec cette perspective. Ce conte oppose la matérialité de la lettre et le message qu’elle porte. La lettre ne participe pas, par son message, à l’histoire racontée dans le détail de ses péripéties. Le conte ne raconte pas d’histoire, il ne dépeint pas de « situations dramatiques ». Le circuit de la lettre produit des effets en étant séparé de tout message. « Le conte consiste en ce qu’y passe comme muscade le message dont la lettre y fait péripétie sans lui. 4 » C’est ce que Lacan qualifie de « message sur la lettre ». Le message sur la lettre que Lacan veut mettre au départ de son texte est que la lettre ne note rien d’autre que le « trou 5 » qu’elle opère dans la parole qui la précède, et du savoir qui s’en dépose quand les achoppements de la parole sont recueillis, sériés, dans une psychanalyse. La lettre, toujours au singulier, dessine « le bord du trou dans le savoir 6 ». 62 Éric Laurent est psychanalyste, membre de l’École de la Cause freudienne. 1. Lacan J., « Lituraterre », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 11. 2. Ibid. 3. Ibid., p. 11-12. 4. Ibid., p. 12. 5. Ibid., p. 13. 6. Ibid., p. 14. © L'École de la Cause freudienne | Téléchargé le 23/07/2021 sur www.cairn.info par Keli Cristina Pacheco via Cité internationale universitaire de Paris (IP: 193.52.24.6) © L'École de la Cause freudienne | Téléchargé le 23/07/2021 sur www.cairn.info par Keli Cristina Pacheco via Cité internationale universitaire de Paris (IP: 193.52.24.6) La Cause du désir no 107 Le trou est la conséquence des ratés qui se produisent dès que du langage, un être vivant fait usage, qu’il l’habite en parlant. Se produit alors un certain nombre d’effets que Freud a nommé l’inconscient, qui accompagne celui qui parle, comme son ombre. L’hétérogénéité des deux ordres, l’Un de la lettre d’un côté, et de l’autre le flux, le flot de la chaîne signifiante est, dans ce texte, maximale. Lacan lève d’abord un certain nombre de malentendus sur son rapport à la littérature. Il note qu’il n’a pas choisi la voie littéraire pour transmettre son enseignement. Il s’est plié aux rapports, aux textes de circonstances, aux échanges avec des interlocuteurs variés. Par contre, il a introduit un usage quasi- mathématique de la lettre pour noter des fonctions qui se dégageaient de la lecture de Freud, et ainsi guider cette lecture. Les deux usages de la lettre, l’usage littéraire et l’usage mathémique se distinguent, et entrent à l’occasion en opposition. La dit-mension de la lettre selon Lacan implique une certaine instance, une certaine insistance, un certain forçage pour s’inclure dans la trame signifiante et les significations qui s’en déduisent. L’instance, mise en valeur dans le texte « L’instance de la lettre 7 », désigne dans la lettre « ce qui, à devoir insister, n’est pas là de plein droit si fort de raison que ça s’avance 8 ». Pour faire entendre à nouveaux frais la tension, l’insistance entre l’ordre de la lettre et celui du signifiant, Lacan entreprend alors une « démonstration littéraire », un apologue sur la lettre, une cybernétique amusante. Lacan y anime sa conception de la lettre comme bord. Une vision qui défait Lacan part de son expérience japonaise, de ce qu’il a ressenti de l’affectation éminente de la langue japonaise par l’écriture. Il s’agit de ce que démontre, Lacan ne dit pas montre, « le mariage à la lettre […] sous la forme de la calligraphie » 9. Lacan va dérouler sa démonstration comme une opération de séparation, de traversée de l’expérience esthétique, pour la ramener à son noyau réel. Cette opération de séparation se fait au cours d’un développement, comme de bien entendu chez Lacan, organisé en un temps logique. D’abord l’instant de voir. Lors de son voyage de retour, survolant la plaine sibérienne, le ruissellement des grands fleuves sur la plaine déserte lui apparaît surgissant « d’entre-les-nuages » comme une grande écriture cursive. « Tel invinciblement m’apparut, cette circonstance n’est pas rien : d’entre-les-nuages, le ruissellement, seule trace à apparaître, d’y opérer plus encore que d’en indiquer le relief en cette latitude, dans ce qui de la Sibérie fait plaine, plaine désolée d’aucune végétation que de reflets, lesquels poussent à l’ombre ce qui n’en miroite pas. 10 » Arrêtons-nous d’emblée sur le choix de ruissellement pour décrire l’écoulement d’un fleuve. Comme le note le Trésor de la langue française, ce choix accentue la continuité, l’abondance, le mouvement ondoyant, l’éclat miroitant 11. Mais 63 Éric Laurent Une vision du ruissellement de l’Un 7. Cf. Lacan J., « L’instance de la lettre dans l’inconscient ou la raison depuis Freud », Écrits, Paris, Seuil, 1966. 8. Lacan J., « Lituraterre », op. cit., p. 13. 9. Ibid., p. 16. 10. Ibid. 11. Cf. TLFi, Le Trésor de la Langue Française informatisé, disponible en ligne, entrée « Ruissellement ». © L'École de la Cause freudienne | Téléchargé le 23/07/2021 sur www.cairn.info par Keli Cristina Pacheco via Cité internationale universitaire de Paris (IP: 193.52.24.6) © L'École de la Cause freudienne | Téléchargé le 23/07/2021 sur www.cairn.info par Keli Cristina Pacheco via Cité internationale universitaire de Paris (IP: 193.52.24.6) Yad’lun surtout, ce ruissellement d’entre les nuages vient faire écho au schéma que présentait Saussure, où d’autres types de flots et de flux 12 étaient représentés entre des nuages. Lacan en parlait ainsi dans son séminaire de 1956, lorsqu’il établissait le « point de capiton » dans le glissement fondamental du flot signifié sous le flot du signifiant : « Saussure essaie de définir une correspondance entre ces deux flots, qui les segmenterait […] sa solution reste ouverte puisqu’elle laisse problématique la locution, et la phrase toute entière 13 ». Ces traits passent à travers des sortes de nuages venant représenter la « masse amorphe 14 » du signifiant avec la masse amorphe des significations pour segmenter de façon momentanée le courant. Lacan évoque aussi « le schéma célèbre de Ferdinand de Saussure où l’on voit représenté le double flot parallèle du signifiant et du signifié, distincts et voués à un perpétuel glissement l’un sur l’autre 15 ». L’écriture sur la terre et le trait magdalénien L’apparition qui saisit Lacan, conjoint à la fois un phénomène naturel, la matérialisation d’un trait, et l’évocation d’une représentation autre des rapports signifiant/signifié et du trait de la lettre. Vient alors un long développement, un temps pour comprendre, que nous ne suivrons pas ici dans ses méandres rigoureux qui ne peuvent se déchiffrer qu’en s’appuyant sur les développements du cours de Jacques- Alain Miller : « L’Un-tout-seul 16. » L’écriture cursive que forme uploads/Litterature/ lcdd-107-0062.pdf
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- Publié le Fev 07, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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