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'^^è* ^^r THE UNIVERSITY OF ILLINOIS LIBRARY OAK ST. HDSF Le Culte de Tlncompétence LES ÉTUDES CONTEMPORAINES Le Culte de incompétence par EMILE FAGUET DB LACAOKMIB FRANÇAISE PARIS BERNARD GRASSET Éditeur 61, Rue des Sai nts -Pères, 51 19-3 Oc i^o LES ÉTUDES CONTEMPORAINES Sous ce titre paraît une série d'études criti- ques et documentaires sur ce temps. Par son caractère, cette collection ne ressem- ble à aucune de celles qui, sous des appellations analogues, ont paru jusqu'à ce jour. ^ Elle se propose d'apporter à la connaissance , de l'époque contemporaine une contribution mé- \ thodique, et de susciter au profit des idées et des \ individus du présent la même curiosité historique qu'on applique aux choses du passé. Reconnaître dans la société française d'au- . Jourd'hui un certain nombre de tendances essen- , tielles et de courants, dont on s'efforce de déter- I miner l'origine, la direction et les effets; retrouver \ à travers les diverses manifestali ms littéraires , l scientifiques, artistiques, sociales, les traits épars . d'une phgsionomie caractéristique, qui est celle I de notre temps ; discerner de la foule les indivi- 309043 6 LE CULTE DE l'iNCOMPÉTENCE dus d'élite qui la dominent et lui imposent ses idées, ses goûts, ses modes ; observer les institu- tions dans leur influence sur les mœurs et l'esprit public; analyser les mentalités collectives et ano- nymes qui consliluenl ce que l'on appelle propre- ment les milieux, tel est son but. Une synthèse de ce genre nécessite la collabo- ration d'un grand nombre de spécialistes, tra- vaillant sous une direction et sous une pensée communes. Par la variété des sujets qui y seront traités, par l'esprit d'impartialité critique, sou- cieux de comprendre plutôt que de juger, qui restera le sien, par la solidité et l'abondance de sa documentation, la collection des Études Contemporaines est destinée à constituer un ré- pertoire universel de la société, des lettres, des sciences et des arts en France au début du XX« Siècle. (Note de l'Editeur.) LE CULTE DE L'INCOMPÉTENCE I PRINCIPES DES RÉGIMES On s'est toujours demandé quel est le principe des différents gouvernements, chacun devant avoir le sien ; c'est-à-dire quelle est l'idée géné- rale inspiratrice de chaque régime politique ? Par exemple Montesquieu prouvait que le prin- eipe de la monarchie est l'honneur, que le prin- cipe du despotisme est la terreur et que le prin- cipe de la République est la vertu, c'est-à-dire le patriotisme, et il ajoutait avec beaucoup de raison, que les gouvernements déclinent et tom- bent par l'excès ou par l'abandon de leur prin- cipe. Et cela est vrai, quoique paradoxal. On ne voit 8 Ll CULTB DB L'iNCOMpéTENCB pris, au premier abord, comment le despotisme pe-ut tomber pour ceci qu'il inspire trop de ter- reur, la monarchie tempérée pour ceci qu'elle développe trop le sentiment de l'honneur et la République pour ceci qu'elle a trop de vertu. C'est pourtant très vrai. A abuser de la terreur on Tépuise ; et c'est le cas de citer le mot excellent d'Edgar Quinet: « Quand on veut faire de la terreur,il faut être sûr qu'on en pourra faire toujours. » — Il ne saurait y avoir trop d'honneur ; mais quand, ne faisant appel qu*à ce sentiment, on multiplie les dignités, les distinctions, les panaches, les galons, les hon- neurs^ comme on ne peut pas les multiplier indé- finiment, on a contre soi et ceux qui n'en ont pas, et ceux qui, en ayant, ne trouvent jamais en avoir assez. Et enfin il est bien incontestable qu'on ne peut avoir trop de vertu, particulièrement trop de pa- triotisme, et c'est bien ici que les gouvernements tombent bien plutôt par l'abandon que par l'ex- cès de leur principe. Cependant n'est-il pas vrai qu'à demander trop de dévouement au pays on finit par outrepasser les forces humaines et par lasser les vertus les plus prodigues d'elles-mêmes? PBIMCIPES BBS BiGIMBS C'est ce qui est arrivé à Napoléon, qui, peut-être sans absolument le vouloir, a trop demandé à la France pour l'édification de < la France plus grande ». — Mais ce n'était pas une République I — Au point de rue des sacrifices demandés au citoyen pour sa patrie, c'était une République analogue à la République romaine et à la Répu- blique française de 1792 ; c'était : « tout pour la gloire du pays > ; c'était « de l'héroïsme encore, de l'héroïsme toujours 1 » A trop demander à la vertu civique, on l'épuisé. Il est donc très vrai que les gouvernements ne se ruinent pas moins par l'excès de leur principe que par l'abandon de leur principe. Montesquieu avait sans doute puisé cette pensée générale dans Aristote qui dit, non sans humour : < Ceux qui s'imaginent avoir trouvé la base d'un gouverne- ment poussent les conséquences de ce principe à l'extrême : ils ignorent que si le nez, tout en s'écartant de la ligne droite, qui est la plus belle, pour devenir aquilin ou retroussé, conserve en- core une partie de sa beauté, cependant si l'on poussait cette déviation à rexcès,on ôterait à cette partie de la personne la juste mesure qu'elle doit 10 U CULTB DB L'iNCOMPéTBNCB avoir, sans compter qu'en un certain cas on pour- rait arriver à ce résultat qu'il n'y aurait plus de nez du tout. » Cette comparaison s'applique à tous les gouvernements. Partant de ces idées générales, je me suis sou- vent demandé quel est le principe des démocra- tes pour ce qui est de leur gouvernement inté- rieur et il ne m'a pas fallu de très grands efforts pour apercevoir que c'est le culte de Tincompé- tence. Considérez une maison de commerce ou d'in- dustrie bien ordonnée et qui prospère. Chacun y fait ce qu'il a appris à faire et ce qu'il est le plus capable de faire bien ; l'ouvrier ici, le comptable là, l'administrateur plus loin, le préposé aux re- lations extérieures à sa place. Il ne viendrait pas à l'idée de dire au comptable d'aller faire une tournée de commis-voyageur et de le remplacer pendant ce temps-là, soit parle commis-voyageur lui-même, soit par un contremaître, soit par un mécanicien. Considérez les animaux ; plus ils s'élèvent dans l'échelle des êtres organisés, plus la division du travail physiologique est grande et plus la spécia- PBtNCIPSS DBS BéGIMBS 11 lisatioD des organes est précise. Tel organe pense, tel organe agit, tel organe digère, tel organe res- pire, etc. Y a-t-il des animaux qui n*ont qu'un organe, ou plutôt qui ne sont qu'un seul organe respirant, apréhendant, digérant, le tout à la fois ? Oui bien. On cite l'amibe. Seulement l'amibe est au plus bas degré de ranimalité et très inférieure même à un végétal. De même, sans doute, une société bien faite est une société où chaque organe a sa fonction bien précise et c'est-à-dire où ceux qui ont appris à administrer administrent, où ceux qui ont ap- pris la législation font les lois ou réparent celles qui sont faites, où ceux qui ont appris la juris- prudence jugent et où l'on ne confie pas les fonc- tions de facteur rural à un paralytique. La société 4oit procéder en prenant son modèle sur la na- ture. Or la nature procède chez les êtres bien faits par spécialisation des organes ; « elle ne procède pas mesquinement, dit Aristote, comme les couteliers de Delphes, dont les couteaux ser- vent à plusieurs usages ; elle procède pièce par pièce et le plus parfait do ses instruments n'est pas celui qui sert à plusieurs travaux, mais à un fiftuJ - » — « A Garthage, dit-il encore, c'est un bon- 13 LB CULTB DB L'iNCOlIPiTBNCB nour de cumuler plusieurs emplois; cependant un homme ne fait très bien qu'une seule chose ; le législateur doit prévenir cet inconvénient et ne pas permettre au môme individu de faire d^s fouliers et déjouer de la flûte. » — Une société bien faite est celle encore où Ton ne confie pas toutes les fonctions à tout le monde, où l'on ne dit pas à la masse elle-même, à tout le corps social : < Vous gouvernerez, vous administrerez, vous ferez les lois, etc. » Une société où les choses seraient ainsi, serait la société-amibe. Une société est d'autant plus élevée dans l'é- chelle des sociétés humaines que le travail social y est plus divisé, que la spécialisation des orga- nes y est plus précise, que les fonctions y sont plus exactement données en raison de la compé-^ tence. Or les démocraties ont au moins une forte ten- dance à n'être pas de cet avis et à être de l'avis contraire. Il existait à Athènes un grand tribunal qui était composé d'hommes élevés à connaître les lois, qui les connaissaient et qui les appliquaient avec précision. Le peuple ne pouvait pas le souf- frir et mit tout son effort prolongé à le détruire PaiNCIPBS DBS RioilCBS 13 et à le remplacer par le peuple môme. Le raison- nement était le suivant : « Je puis bien appliquer les uploads/Litterature/ le-culte-de-l-x27-incompetence-emile-faguet.pdf

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